L'association a pour but: - de promouvoir le rayonnement de la Faculté de Médecine de Nancy - de soutenir l'enseignement post-universitaire - d'aider les étudiants en médecine - de favoriser les relations entre étudiants actuels et anciens étudiants ou amis de la Faculté - d'aborder des sujets de réflexion générale concernant la vie de notre Faculté, son enseignement et l’évolution des professions médicales et paramédicales
samedi 26 décembre 2015
mercredi 25 novembre 2015
De fil en aiguille de Maurice Ravey l'Internat, l'Assistanat,le Clinicat suite et fin
L'Internat (1967-1973)
Le Concours de l'Internat
Le Monde de l'Internat
(le Baptême, la Revue, le
Banquet)
Le
temps de l'Internat
La Chirurgie Infantile
Le Service Militaire
La Clinique
d'Orthopédie-Traumatologie
Service des Voies Urinaires
Service de Chirurgie C
Service de Chirurgie B
Assistant-Chef de Clinique (1973-1976)
Chirurgie B
Le
CONCOURS de l ' INTERNAT
Concourir
Qui dans son
existence, devant passer un examen, n'a jamais eu le sentiment de se
soumettre à une épreuve ; si la synonymie de ces mots s'est
établie ainsi, cela tient probablement au vécu que l'on en a en
général. Passe, subit, une épreuve le candidat face à sa copie ou
un interrogateur curieux d'en connaître sur son savoir ou ses
capacités : en faire les preuves tient donc le plus souvent de
l'épreuve !
Le Concours de
l'Internat, avant qu'il ne se dissolve il y a quelques années dans
l'Examen classant national (ECN) s'imposant à tous les carabins
arrivés en fin de cursus, était basé sur un principe premier
fondamental, à savoir celui du volontariat ; concourir à
l'Internat des Hôpitaux ne tenait pas de l'obligation subie mais le
fruit d'un choix, expression à la fois d'une liberté et d'une
volonté. Ne pas s'y soumettre pouvait tenir d'un autre choix,
l'avenir s'ouvrant alors soit vers la Médecine Générale, soit vers
une spécialité par la voie des C.E.S. (certificats d'études
spécialisées) sous réserve de l'accord du patron en ayant la
charge ou d'un examen probatoire. Au final, il me semble que
l'immense majorité des étudiants au terme de leurs années de
formation était en mesure de satisfaire à leur projet professionnel
de manière plus libre et choisie qu'aujourd'hui, ou devrais-je dire,
de façon moins subie et imposée qu'actuellement, où l'avenir pour
beaucoup peut être scellé sans recours possible pour quelques
centièmes de points. Au plan sémantique, l'Examen classant actuel
semblerait privilégier l'idée d'établir une simple hiérarchie
tirée d'un résultat à celle de compétition comme l'induit le
fait de concourir. Et pourtant... : il décide non seulement des
possibles quant au métier futur, mais aussi de la ville et du CHU où
on s'y préparera; de quoi changer nombre de destinées.
L'épreuve,
pour qui avait décidé de se donner les meilleures chances de
réussite à ce concours, résidait déjà et avant tout dans sa
préparation et le temps à y consacrer; dans cet esprit le postulant
devait se pénétrer de l'idée de devoir y sacrifier deux ou trois
années de manière quasi-exclusive; c'était comme entrer en
religion pour cette durée où seraient bannies sorties,vacances,
nombre de distractions, pour bosser,bosser... L'entourage, la
parenté,la fiancée, connaissaient aussi leur part d'épreuve par le
temps à eux chichement octroyé, une humeur offerte pas toujours
plaisante, un esprit vagabond quittant volontiers la conversation du
moment. Rappelant que la chambre que je partageais en commun avec mes
deux frères me faisait aussi office de bureau, que n'ai-je,
travaillant les soirs jusqu'à une heure avancée, gêné leur
endormissement et mis à mal leur patience , même si je faisais
en sorte que la lumière soit la plus discrète possible et le son de
la radio, pour un bruit de fond stimulant ma veille, distillé avec
le minimum de décibels. Même si les choses ont changé en passant
du concours sélectif à l'examen classant pour tous, je ne doute pas
que ce temps déterminant qui fait de l'étudiant un futur médecin,
nécessairement spécialiste en quelque chose aujourd'hui, soit
toujours vécu comme celui d'une épreuve marquante.
Motivé
Si la voie de
l'Internat
s'imposa assez vite à moi comme allant quasiment de soi, cela
n'exclut pas d'en légitimer les motivations, espérant que le regard
que j'y porte au présent reste fidèle à ce qu'elles étaient
alors.
On aura compris
qu'au cours de mon parcours d' Externe j'ai bénéficié d'une
première approche du monde hospitalier et de ses hiérarchies ;
par là même,j'ai eu la faculté et la chance de rencontrer divers
personnages qui, pour ce qu'ils étaient, savaient, faisaient, m'ont
donné l'envie d'accéder à leur univers pour être, savoir, faire
comme eux ; sans doute pour leur ressembler et peut-être même
m'identifier à certains d'entre eux. Premier constat.
J'avais 23 ans au
moment où se terminaient mes années fac; rien ne me pressait pour
poser ma plaque. Mais avant d'évacuer l'idée d'une carrière comme
Médecin Généraliste,encore fallait-il en connaître un peu ;
à cet effet, rien de tel que se lancer dans un premier remplacement
et quoi de mieux qu'un plongeon en médecine de campagne. J'en eus
l'opportunité en fin de 5ème année en accédant à la demande du
Dr. Froment, via son fils alors mon interne en Dermatologie ; il
exerçait en solo à Lerrain, un petit village perdu au cœur de la
Vôge et figurait comme le type même du médecin de campagne. Je
n'insisterai pas sur mon stress né de la perplexité qui m'assaillit
lors de la visite commentée de son cabinet : dans une vitrine,
des daviers pour extractions dentaires côtoyant des instruments de
petite chirurgie et le nécessaire à leur stérilisation ; sur
une tablette, la trousse pour accouchements, forceps compris
(l'angoisse!) ; dans une pièce à part, une installation
radiologique sommaire, mais de quoi réaliser soi-même des radios
thoraciques et des membres ; ce qu'il faut pour gérer la petite
traumatologie ; et enfin tous les papiers et formulaires divers
avant de faire la connaissance de la personne chargée de mon
entretien et être initié à la géographie du secteur à couvrir,
ses routes, ses villages, ses hameaux perdus. Ouvrant pour la
première fois la porte donnant sur la salle d'attente, j'y vis cinq
ou six personnes ; ma première consultante venait pour un suivi
de grossesse: un début prometteur ! (ma hantise vis-à-vis de
l'obstétrique aura été une constante) ; ouvrant la même
porte pour le consultant suivant, il n'en restait qu'un seul... Ce
remplacement m'apprit beaucoup : sur les réalités difficiles
et exigeantes de la Médecine Générale (d'autant que le recours au
spécialiste et aux examens complémentaires devait être des plus
mesurés), sur la place de leur médecin au cœur des gens, sur
l'apprentissage à la confiance autant qu'à trancher dans ses
doutes. De cette expérience -et de cette parenthèse- j'en retins
aussi que la Médecine Générale ne serait pas « mon truc »,
même si j'y revins à la faveur d'autres remplacements, toujours en
milieu campagnard, et y trouvai beaucoup d'intérêt en même
temps qu'un peu plus d'assurance. De toute évidence,je n'étais
pas mentalement prêt pour une installation quelconque ;
prolonger mon temps d'apprentissage en milieu hospitalo-universitaire
pour le minimum des quatre années promises par l'Internat me
convenait parfaitement.
Second constat.
Cette
plongée momentanée dans les réalités de la Médecine Générale
eut également un autre avantage : la prise de conscience de mon
ignorance de pans entiers de la pathologie et la thérapeutique ;
à ma décharge, précisons que lors de mes années fac.
l'enseignement par modules n'était pas encore d'actualité, si bien
que des domaines complets et essentiels n'étaient pas traités ou si
peu. Le programme du concours était tellement vaste que sa
préparation apparaissait comme la garantie d'acquérir une culture
médicale élargie, ne serait-ce qu'au plan théorique.
Troisième
constat.
Enfin, il reste que petit
à petit, le rêve puis l'ambition pour la Chirurgie m'envahit
l'esprit. Pour y parvenir,un passage obligé et incontournable :
l'Internat.
Ultime
constat.
Les
règles du jeu
Elles devaient être bien
connues, conditionnant le mode de préparation au concours.
Pour
la période qui nous concerne,si elles étaient fixées dans un cadre
univoque au plan national, il revenait à chaque faculté
d'organiser son propre concours ; on pouvait se présenter au
plus à trois endroits différents et deux années consécutives :
ce qui n'est déjà pas mal !
Le concours
comprenait un écrit puis un oral. Les jurys pour ces deux groupes
d'épreuves étaient
différents, leurs membres tirés au sort parmi les collèges de
professeurs titulaires et agrégés.
A l'écrit, quatre matières à l'honneur :
Médecine, Chirurgie, Anatomie, Biologie ; pour chacune, un
programme listant un ensemble de grandes questions. Au jour J, le
jury après avoir tiré au sort une question déterminait par le
choix du libellé le cadre de ce qui devait être traité, sous forme
d'un texte rédigé lisiblement et en bon français de manière à
juger autant des connaissances que de la clarté à les
exposer .Autant dire que le choix des sujets proposés pouvait
toucher à l'infini, tantôt plutôt généraux, souvent très
étroits ; à titre d'exemples, les jurys nancéiens lors des
années précédentes avaient questionné sur «les fistules et
kystes congénitaux du cou », « les fistules
carotido-caverneuses », « les anévrismes
intra-crâniens »... Avis
aux amateurs !
L'oral opérait
une seconde et ultime sélection sur le groupe des admissibles à
l'écrit. Il remplaçait en fait l'épreuve dite « du Malade »
qui avait cours auparavant et abandonnée depuis peu car jugée trop
aléatoire et source de trop d'iniquités. Son programme reprenait
celui de l'écrit auquel s'ajoutait une série de questions
spécifiques. Les candidats passaient par groupes de dix, devant
traiter un sujet de Médecine, un de Chirurgie, tirés au sort, en
cinq minutes maximum pour chacun d'eux après un temps de
préparation de vingt minutes ; un réveil placé devant le
président du jury jouait l'arbitre du temps à courir, son tic-tac
ajoutant à la pression sur l'orateur. Tout dire était très bien,
mais bien le dire était encore mieux.
Une compétition
sous forme d'une longue épreuve de fond se concluant par une course
contre la montre, tel pouvait apparaître le Concours de l'Internat
des Hôpitaux d'alors.
S'y
préparer
Pour cela, d'abord
se fixer une méthode, un rythme, et ensuite s'y tenir dans la durée.
Tout est là.
Première
obligation : constituer les dossiers.
Pour chaque question
figurant au programme, il faut d'abord établir ou rassembler les
documents idoines en les enrichissant au fil du temps. Dommage qu'à
cet égard les cours de pathologie dispensés en 4ème et 5ème
années fussent en règle trop partiels ou tenant du survol. Il
fallait donc puiser ailleurs.
Pour l'Anatomie, il
suffisait de se procurer des ouvrages conçus dans l'esprit du
concours comportant force schémas et croquis non dépourvus parfois
d'une certaine esthétique. Il en était de même pour la Biologie où
des tableaux synoptiques et divers graphiques se voulaient plus
explicites qu'un texte volontiers dense et abscons.
La même facilité
n'était pas offerte s'agissant des pathologies médicales et
chirurgicales Quelques revues avaient l'avantage de publier comme
suppléments des questions rédigées dans le même esprit : ils
constitueront en quelque sorte le fond de ma collection. Ceci étant,
ces documents avaient avantage bien souvent à être annotés ou
enrichis du fruit de la lecture d'articles puisés à droite et à
gauche ; à cet égard, l'excellente Revue du Praticien aura
servi de bible à quantité de futurs internes comme d'ailleurs à
autant de médecins pour leur exercice. A la faveur du tri que je me
décidai à faire un jour dans les documents accumulés au fil du
temps, je fus étonné
par le nombre de questions que
j'avais entièrement réécrites, travail à la fois de synthèse et
d'approfondissement ; cette reconstruction des sujets à mon
goût et leur personnalisation ne serait-ce que par l'instrument de
ma propre écriture conduisaient à un peu plus d'exhaustivité
parfois, mais surtout à une forme d'appropriation bénéfique pour
une mise en mémoire plus aisée. « Signes, diagnostic,
traitement » : tel était le libellé le plus habituel des
questions de Pathologie ; pour en traiter valablement, il ne
s'agissait pas de retranscrire une encyclopédie, mais de se
concentrer sur les points d'intérêt essentiels, donner les
caractéristiques principales de l'affection considérée, les
éléments majeurs de nature à orienter ou affirmer le diagnostic,
les difficultés ou pièges pouvant égarer, et offrir en tout une
démarche cohérente.
On peut être porté à
penser que l'apprentissage tient ensuite d'un travail de mémorisation
semblable à celui destiné à se mettre en tête des fables de La
Fontaine. C'est méconnaître l'effort de compréhension préalable
qui demande de creuser les mécanismes physio-pathologiques des
maladies, s'attarder sur les données anatomo-pathologiques et/ou
épidémiologiques, voire revenir à certains fondamentaux comme
s'intéresser à quelques notions historiques ; ayant intégré
que tel phénomène ou anomalie explique ce qui en découle aide à
déduire en toute logique certains éléments figurant au tableau
clinique tout comme les fondements de la prise en charge et la
thérapeutique à mettre en œuvre avec leurs limites ; et c'est
une économie d'autant sur l'effort de mémorisation à consentir.
Ce propos peut tenir de l'évidence, mais , dans le domaine qui nous
occupe, qui n'a eu la faiblesse de supposer qu'apprendre par cœur
pouvait pallier en tout ou partie à un travail de compréhension en
profondeur préalable ?
Deuxième
obligation : s'intégrer à des groupes de préparation, un en
Médecine, un autre en Chirurgie.
Selon un usage
ancien, à Nancy tout au moins, il était dans le rôle des Internes
en fonction de jouer les tuteurs à de petits groupes d'Externes pour
les soutenir et conseiller dans leur préparation au concours :
comme un devoir moral envers la génération montante autant que
l'acquittement d'une dette pour l'aide reçue de la précédente. Se
constituaient ainsi des écuries autour de « conférenciers »,
Internes jeunes ou anciens, choisis selon leur réputation ou des
liens de sympathie contractés à la faveur de l'un ou l'autre stage.
Participer à de tels groupes avait au moins deux avantages :
les réunions étant fixées à un rythme convenu, habituellement
hebdomadaire, un programme était déterminé : restait à
chacun de s'y tenir et s'organiser en conséquence . Chaque
participant ayant « planché » sur une question, une
discussion s'en suivait. Le conférencier donnait alors son avis,
ajoutait des compléments utiles à une meilleure compréhension du
sujet, pour gagner en clarté dans l'exposé ou une plus grande
exactitude dans les termes à employer . Mais là où son apport
était le plus intéressant résidait dans les notions pratiques et
concrètes qu'il pouvait transmettre ; à cet effet, quoi de
mieux que de citer des anecdotes ou des observations vécues ;
de la sorte, ce que nous apprenions dans la théorie retrouvait
quelque peu les couleurs de la vie et un goût d'humanité.
Pour le groupe de Médecine
que nous avions constitué à quatre ou cinq, nous avions fait appel
à un futur pneumologue comme conférencier : David de son nom
mais son prénom m'échappe -désolé- . Assez patelin, sa diction
était légèrement troublée par un subtil zézaiement, lequel
n'était pas amélioré par la présence habituelle d'une pipe au
coin des lèvres. Il avait des choses une vision dépouillée,
volontairement simplifiée ; reconnaissant avec humilité là où
la Médecine ne peut pas tout, son conseil était d'avoir la sagesse
à l'admettre sans se dévoyer dans une culpabilisation ou des
interrogations ne menant à rien.
Je ne sais par quelle voie
je me trouvai mêlé au groupe de Chirurgie placé sous la houlette
de Roger Piccioli, un personnage d'une toute autre nature. Pied Noir
pur jus, il avait dû quitter son Algérie natale dans la
précipitation en 1962, y laissant tout. Les Internes rapatriés de
la faculté d'Alger se retrouvèrent alors un jour donné à Paris
pour une répartition inédite : en fonction de leur ancienneté,
leur classement au concours et selon les postes offerts par les CHU
métropolitains, ils avaient à décider de leur point de chute, une
ville dont le plus souvent ils ignoraient tout et où ils auraient à
bâtir une nouvelle vie : un pari sans retour possible pour
chacun d'eux, sans autre alternative que tourner irrémédiablement
le dos à leur passé par la force -ou la faute- de l'Histoire. C'est
ainsi qu'il se retrouva dans la capitale lorraine sans jamais l'avoir
prémédité, si loin du soleil et des plages de son enfance. Son
accent, sa faconde, la chaleur émanant de sa personne témoignaient
sans conteste de ses origines et de la fierté qu'il en tirait. Quant
à son esprit rigoureux, méthodique, exigeant, il cadrait
parfaitement pour le destin chirurgical qu'il s'était choisi.
Je peux me
prévaloir d'avoir partagé ma peine à son école avec des camarades
promis à une grande carrière mais ne le sachant pas encore ;
je citerai d'abord Michèle Debar, future Mme. Kessler, et qui
portera les destinées du service de Néphrologie avec, puis à la
suite du Professeur-Sénateur Huriet ; ensuite Jacques Roland
dont le futur sera de devenir patron en Radiologie, puis Doyen de la
Fac de Médecine de Nancy et enfin Président de l'Ordre National des
Médecins.
La méthode
Piccioli consistait à chaque séance à nous placer dans la
situation du concours : à savoir rédiger telle une
dissertation une question tirée au sort pour ensuite lire ce que
nous avions écrit sans ajouter ni retrancher quoi que ce soit. De
ses conseils je retiens d'abord la pertinence de savoir introduire
en précisant en quoi la question posée est intéressante ou
d'actualité, remerciant quasiment le jury pour son heureuse
initiative de l'avoir soumise ; ensuite l'importance à faire
ressortir les points essentiels, annoncés tels « des
coups de trompette » (sic), et éviter de s'enliser dans des
détails trop accessoires ou hasardeux, sources de perte de temps
autant que de points bien souvent. Il nous fit percevoir l'Anatomie
autrement qu' à travers les seuls aspects descriptifs, pour la
replacer dans un contexte fonctionnel et une perspective
chirurgicale, rappelant à juste titre que les correcteurs étaient
des chirurgiens et non des anatomistes pour la plupart ;
préciser en particulier en quoi elle
explique certaines pathologies
ou évolutions, en quoi elle détermine certains choix ou contraintes
au plan opératoire, était des plus judicieux ; sous réserve
de ne pas se fourvoyer. A titre d'exemple, il nous fit cette
question: s'il y a un rapport essentiel à citer pour l'uretère,
quel est-il ?: le péritoine, tout simplement, auquel il est
tellement attenant qu'en mobilisant ou décollant ce dernier, comme
dans les abords rétro péritonéaux de l'abdomen, il monte et se
trouve refoulé en même temps que lui : un notion capitale pour
l'opérateur ; écrire ces quelques lignes, c'était déjà se
garantir la moyenne en même temps qu'une indulgence probable en cas
d 'erreur ou d'oubli jugés véniels en comparaison. Terminer un
sujet d'anatomie par la ou les voies d'abord propres à la structure
étudiée devait tenir de conclusion chaque fois que possible,
informations qu'il nous communiquait avantageusement.
Je ne puis
conclure sur R. Piccioli sans évoquer le drame qu'il connut alors
qu'il était Chef de Clinique peu avant son installation privée. Se
trouvant dans un canot à moteur sur le plan d'eau de
Pierre-la-Treiche, il tomba à l'eau pour une raison que j'ignore,
laissant seule son enfant dans le bateau qui continuait à tourner en
rond et menaçait de se fracasser sur la digue ; bon nageur, il
réussit à s'en approcher pour bloquer l'hélice de son corps, lui
broyant une fesse, l'avant-bras droit et une partie du visage. Après
de multiples interventions, dont certaines de réparation nerveuse
effectuées à Londres, il gardera entre autres séquelles une
paralysie sciatique et un déficit moteur partiel au niveau de la
main droite, toutes choses auxquelles il dut faire face puis
s'adapter pour poursuivre son métier de Chirurgien Gynécologue.
Admiration.
Dernières
longueurs avant le jour J
Dans toute course de fond, ce
sont, paraît-il, les derniers hectomètres les plus durs :
tenir la distance, maintenir l'effort sans se désunir, tel est
l'objectif dont l'athlète ne doit se départir jusqu'à la ligne
d'arrivée. Quant à moi, les dernières semaines furent
vouées à réviser sans relâche : m'en tenir strictement à la
programmation initiale comme la garantie de tout couvrir sans impasse
hasardeuse, tel fut le mien ; en conséquence, pas question de
quitter ma table de travail sans avoir rempli le contrat journalier
fixé avec moi-même. Mais combien de fois n'ai-je eu le sentiment
inquiet d'aborder une question comme la toute première fois, mêlé
à celui non moins préoccupant d'avoir tout oublié ; la
réétudiant, en quoi pouvais-je être assuré que cette fois-ci elle
serait gravée durablement dans mes neurones. S'ajoutant à
l'impression fâcheuse que l'on en sait de moins en moins à mesure
qu'approche l'instant fatidique, que dire du saisissant vertige face
au vide dû à un trou subit et improbable dont la prise de
conscience aiguë peut tenir du cauchemar. Cette instillation
insidieuse du doute de soi, qui ne l'a jamais ressentie à un moment
donné après un dur labeur comme une épreuve supplémentaire à
surmonter avant un examen décisif ? Au-delà de ces creux de
vague, il fallait bien repartir, soutenu ici par un mot
d'encouragement, là en retrouvant la conviction de ses choix, et
toujours par le besoin de ne point décevoir les proches ayant foi en
vous.
De
ces dernières semaines de préparation, j'en retiens le souvenir
d'un effort continu d'une intensité extrême qui n'aurait pas
supporté une prolongation imprévue ; je n'imaginai guère
alors pouvoir le renouveler à l'identique que ce soit pour une
nouvelle tentative en cas d'échec ou toute autre perspective.
L'envie que cette expérience fût
unique dans mon existence participa du rêve se fondant avec celui de
gagner mes galons d'Interne : en finir avec ce foutu concours et
s'ouvrir à d'autres horizons devint une motivation décisive pour me
pousser à un ultime et puissant coup de collier.
Faut-il voir
dans ce fait que je ne m'inscrivit qu'au seul concours nancéien,
négligeant les deux autres tickets possibles ? Avec le recul,
ce choix m'apparaît comme avoir été plus qu'audacieux, imprudent.
Le
jour J
Ce fut un jour de mars 1967
Pour dix-neuf places
avaient postulé un peu plus de deux cents candidats.
Tombèrent comme
sujets :
en
Médecine : les hypothyroïdies de l'adulte et l'enfant
en
Chirurgie : les tumeurs bénignes du sein
en
Anatomie : le nerf récurrent gauche
en
Biologie : le débit cardiaque
Certains m'inspirèrent
plus que d'autres ; après vérifications à posteriori, il ne
m'a pas semblé avoir commis d'erreurs ni d'oublis majeurs ; en
conséquence de quoi, j'avais avantage à embrayer sans tarder sur la
préparation de l'oral et profiter d'un délai de grâce de trois
semaines, le temps de connaître les résultats de l'écrit ; à
ce sujet, il est bon de rappeler que les membres des jurys se
retrouvaient en soirée pour les corrections, lecture des copies
étant faite par les Internes titulaires.
Reconnu admissible et
soulagé de l'être, j'abordai l'oral avec confiance ; je n'eus
pas besoin des dix minutes réglementaires pour traiter des
complications des fibromes utérins puis du diagnostic des purpuras ;
ce dernier tenant d'un inventaire à la Prévert, j'avais eu la
judicieuse idée de revisiter ce sujet la veille ! Je m'en tirai
avec un 18/20 à chacune de ces questions.
A la publication de
la liste des reçus, je trouvai mon nom à la troisième place. Je me
souviens en avoir ressenti une joie profonde mêlée d'un soulagement
intense ; sans en tirer gloire ni vanité, je reçus d'abord ce
résultat comme une récompense dépassant mes espérances, ensuite
comme la promesse d'un avenir dont je m'étais donné les clés.
Comme aux Jeux
Olympiques eut lieu quelques mois plus tard, sous le mécénat des
Laboratoires SPECIA, une remise de médailles aux trois premiers de
la promotion 67 ; j'eus donc droit au bronze. L'or, pour le
major, distingua J.M. André,futur neurologue et patron de l'Institut
Lorrain de Réadaptation ; l'argent revint à F. Boileau, dont
le parcours fut assez inédit : après un double clinicat en
Orthopédie puis en Chirurgie Viscérale, il atterrit à l'hôpital
de Neufchâteau, connut ensuite un interlude d'un quinquennat à la
direction du journal L'Est Républicain ; il revint après un
revers de fortune à son poste néocastrien , dont il démissionna
quelques années plus tard, excédé par l'évolution de ses
conditions d'exercice.
Maintenant derrière
moi, le chemin ardu menant à l'Internat débouchait sur différentes
voies possibles également offertes. A l'heure du choix définitif,
ce sera la Chirurgie, avec un grand C, sans préjuger encore d'une
spécialité particulière . Voie royale par excellence, en tous
cas perçue comme telle à l'époque : la constance selon
laquelle la majorité des premiers classés optait en sa faveur en
témoigne . Voie royale de l'excellence sans doute aussi :
non par le fait d'une hiérarchisation indue et prétentieuse des
savoirs, mais en raison du niveau élevé des exigences pour une
formation réputée des plus sévères et contraignantes en même
temps que la plus longue de toutes ; ajoutons que l'Internat
constituait alors la seule filière possible pour qui se destinait
l'exercer tandis qu'existait la voie parallèle du CES pour toutes
les autres spécialités . Exigence élevée, voilà en fait le
maître-mot accompagnateur de qui fera de la Chirurgie son métier,
quel qu'il soit, un vrai fil rouge tout au long de sa pratique,des
premiers jours de sa formation au dernier coup de bistouri. Cette
conviction nourrie de ma propre expérience ne fit en réalité que
prolonger celle née des leçons reçues de mes aînés.
Le
Temps de l' Internat
La
Chirurgie Infantile
1er Octobre
1967 : premier jour de mon premier stage d'Interne des Hôpitaux
ès qualité. Au moment de franchir le seuil du Service logé dans le
pavillon Virginie Mauvais, je connais comme le goût de l'émotion de
l'élève à sa première rentrée au Collège, ou encore de celle du
premier communiant.
En compagnie de
mes deux compagnons pour l'année à venir, F. Boileau et N. Bodart
(mon futur voisin de Remiremont) nous faisons la connaissance des
lieux. On ne peut qu'en décrire le souvenir puisque ce pavillon
n'est plus, rasé lorsque l'ouverture de l'Hôpital d'Enfants à
Brabois lui aura retiré toute utilité. Le hall d'entrée tient de
la place de village où convergent les principales ruelles ; le
regard invite à emprunter de suite le monumental escalier de pierre
qui en part pour desservir le niveau supérieur (pas d'ascenseur),
lequel est dédié d'une part à l'hospitalisation des « Grands »
(au-dessus de 7 ans), une salle commune pour les garçons, une autre
pour les filles, et par ailleurs au bloc opératoire composé de deux
modestes salles et d'une pièce pour plâtres et soins divers.
Revenant au rez-de-chaussée, à gauche de l'escalier se trouve
l'hospitalisation des « tous petits » (0-2 ans) intégrant
une petite unité de réanimation, à droite la salle commune des
« Moyens » (2-6 ans) ; enfin, dans l'axe de
l'entrée, dans un renfoncement, l'espace réservé aux
consultations. Au sous-sol, deux secrétaires logées à l'étroit
dans un secrétariat qui sert aussi de vestiaire public aux
médecins : un modèle de mélange des genres...
Si cette
segmentation par grandes tranches d'âges tient de la logique même,
on saisit de suite qu'elle répond du même coup à une gestion
différenciée des pathologies qui leur sont spécifiques.
Commençons par
le début, le nouveau-né. Sa chirurgie est d'abord d'urgence vitale,
dominée par certaines malformations vitales ; citons les
occlusions néo-natales dans leurs étiologies multiples, les
atrésies de l'oesophage, les graves malfaçons pariétales causes
d'éviscération, d' extrophie vésicale, de hernies
diaphragmatiques, ou encore les spina bifida etc... L'échographie
prénatale par ses performances actuelles, jointe à la possibilité
de l'avortement dit thérapeutique, a transformé la donne.
L'infection peut aussi conduire l'enfant à peine né au chirurgien
par certains de ses ravages, telles les
staphylococcies pleuro-pulmonaires ou les ostéo-arthrites de
hanche. Il n'était pas besoin d'être dans ces murs depuis longtemps
pour avoir à saluer les dévouement et savoir-faire des infirmières
en charge des « plus-que-petits » en situation plus que
précaire et chez lesquels les espoirs nourris des audaces
chirurgicales peuvent se conclure douloureusement bien vite et
apparemment pour peu de choses.
Le nourrisson
n'est pas exempt d'autres situations aiguës propres, style hernie
étranglée, invagination intestinale ou sténose du pylore;mais
d'autres pathologies sont là dès la naissance, patentes ou cachées,
qui, si elles n'ont pas la même incidence vitale immédiate que les
précédentes pèseront par leurs conséquences sur ses futurs
proche et lointain, à des degrés variables évidemment. Ainsi au
plan digestif de l'atrésie des voies biliaires ou de la maladie de
Hirsprung ; au plan urinaire des variétés d'hypospadias, des
problèmes d'hydronéphrose, reflux vésico-urétéraux voire
méga-uretères avec leur potentiel d'insuffisance rénale. Au plan
des anomalies les plus voyantes, sources des plus grandes inquiétudes
parentales allant parfois jusqu'au rejet de l'enfant, figurent en
bonne place les becs-de-lièvre avec leurs différentes échelles de
gravité ; dans le même ordre d'idées mais au plan
orthopédique se placent les pieds-bots ; les concepts actuels
poussent à les opérer tôt, alors qu'à l'époque étaient
privilégiés, outre les manipulations, des immobilisations
progressivement correctrices par attelles de Denys Brown (pieds fixés
dans des attelles solidarisées par une barre d'union) puis des
bottes plâtrées successives pour réserver la chirurgie à un stade
ultérieur, mais de déformations parfois trop fixées pour espérer
un bon résultat.
Restons à
l'Orthopédie pour nous attarder un peu sur la maladie luxante de la
hanche : le prototype de la pathologie cachée et sournoise mais
aux conséquences jamais innocentes tout au long de l'existence. Son
dépistage systématique n'en étant qu'à ses débuts, son
diagnostic à l'âge de la marche n'était pas exceptionnel. La
méthode de réduction progressive de Lorentz restait la base de son
traitement ; c'est ainsi que la visite consistait à passer en
revue une succession de lits occupés d'enfants aux membres
inférieurs emballés comme des momies dans des bandelettes adhésives
et reliés à des systèmes de poids et de poulies pour une traction
et une mise en abduction-rotation interne très progressives
demandant plusieurs semaines. Ces enfants supportaient étonnamment
bien cet alitement forcé et prolongé, dans une position surprenante
pour le visiteur et cause des plus grandes interrogations pour les
parents, privés de surcroît de les prendre dans leurs bras.
L'appréciation de l'évolution radiologique, du dosage tant de la
traction que du positionnement des membres, était le sujet régulier
d'interrogations et controverses autour de ces lits ; le dernier
mot revenait en règle à l'expert reconnu en la matière à savoir
« Popol » Collignon, lequel rendait son verdict avec la
curieuse habitude de se gratter les fesses ; dans le débat
figurait le moment opportun pour l'étape suivante, celle consistant
à relayer la traction- suspension par une immobilisation dans un
plâtre pelvi-bipédieux, membres inférieurs écartés et tournés
vers l'intérieur selon la meilleure position de recentrage
de la tête fémorale dans son
cotyle au dernier contrôle; à tenir au moins deux mois.
Pour les catégories
d'âge supérieur, la hanche reste menacée par des pathologies
acquises qui ont aussi leur sévérité telles que les
ostéochondrites ou les épiphysiolyses et dont le potentiel
dégénératif rejoint in fine celui de la précédente.
Restant dans
l'orthopédie, les inégalités de longueur qu'elles qu'en soient les
causes, étaient, et restent sans doute, sujets aux mêmes débats,
tant pour décider du geste adéquat, épiphysiodèse ou allongement,
que de leur moment opportun selon l'âge osseux et les abaques de
croissance prévisible. L'allongement extemporané en raison de ses
risques et limites, commençait à céder le pas aux méthodes
progressives par fixateurs externes , lesquelles autoriseront des
possibilités étonnantes sur la base de nouveaux concepts,
d'Illizarov notamment.
Dans ce registre,
une place particulière mérite d'être réservée aux conséquences
éloignées de l'épidémie de poliomyélite qui a traversé le pays
dans les années 1950. Les enfants touchés alors devenus adolescents
étaient atteints de handicaps à corriger dans la mesure du possible
avant l'état adulte ; les paralysies, outre leurs effets
moteurs, ont des conséquences sur la croissance squelettique et la
formation des articulations placées sous leur emprise : rachis,
hanches, genoux, pieds, voyaient se développer des anomalies
acquises spécifiques contraignant à des interventions correctrices
multiples et itératives ; leurs prétentions étaient modestes
en référence aux situations de normalité, mais audacieuses en
référence aux objectifs de redonner à ces enfants les capacités à
se tenir droits, à marcher sans aide extérieure, et encore mieux,
sans canne ; pour nombre d'entre eux, ces handicaps et leurs
traitements avaient une autre incidence : l'obligation de
séjours prolongés au Centre Spécialisé de Flavigny, jouant à la
fois les rôles de domicile premier, de seconde famille , et de
milieu scolaire principal.
Un autre domaine
de la chirurgie orthopédique commençait à se développer, à
savoir celui des déformations rachidiennes grâce à l'apparition de
l'instrumentation de Harrington ;le Dr.
Guillaumot s'était fait une spécialité de ces interventions à
hauts risques tant neurologiques qu'hémorragiques. Les méthodes
d'ostéosynthèse du rachis connaîtront dans les décennies
suivantes des progrès fabuleux ; en bénéficieront entre
autres et avantageusement les enfants gibbeux et scoliotiques.
Ce survol non
exhaustif des pathologies du ressort de la Chirurgie Infantile
témoigne d'une diversité peu imaginable du commun des mortels.
Parmi les thèmes non traités et méritant ne serait-ce qu'un
paragraphe, se place la traumatologie en milieu pédiatrique.
Importante par le nombre d'enfants concernés, les solutions
thérapeutiques restent assez univoques et n'ont pas connu de
révolution fondamentale par rapport à ce que j'ai connu ;
elles exploitent toujours les ressources de l'orthopédie la plus
classique : réduire, plâtrer, surveiller les suites immédiates
et contrôler dans la durée, ou encore poser une traction continue
avant de plâtrer. Les fractures chez l'enfant ne demandant qu'à
évoluer vers la consolidation, en respecter la physiologie autant
qu'être le moins agressif possible constituent l'axiome de base en
la matière; qu'il y ait quelques imperfections de réduction est
sans gravité voire souhaitable, sous réserve de certaines
conditions et limites bien sûr : le potentiel de croissance
existant les corrigera. De ce fait l'ostéosynthèse à ciel ouvert,
déjà exceptionnelle alors, le sera davantage quand sera inventé
l'embrochage élastique stable à foyer fermé : mais celui qui
en sera le créateur lors de son clinicat dans ce service, J.P.
Métaizeau, n'en était qu'au début de ses études médicales à
l'époque qui nous retient. Au demeurant, même si un génie avait
voulu le précéder, cette technique n'eût guère été applicable,
l'amplificateur de brillance commençant seulement à se répandre
et crachant trop de Rayons X pour un usage un tant soit peu prolongé.
Il faut préciser
que pour les radiographies effectuées dans le service on s'en
remettait encore à un appareil mobile hors d'âge. Un des premiers
apprentissages pour tout nouvel interne, pour les heures et jours non
ouvrés, consistait à jouer au radiologue : tourner les bons
boutons pour délivrer ce qu'il faut en m.Amp, en KW, disposer la
bonne cassette comme il se doit, centrer le faisceau au bon endroit,
inviter les présents à se cacher derrière un paravent, et alors
enfoncer le déclencheur ; pour la suite, faute de machine à
développer, on poursuit dans l'artisanat : s'enfermer dans la
chambre noire, accrocher le film sur le support ad hoc, révélateur,
fixateur, rincer, charger la cassette d'un nouveau film, et enfin
juger du résultat... pas toujours terrible ! Mon noviciat
radiologique en remplaçant à Lerrain me fut d'un secours
appréciable.
Qui étaient
les Chirurgiens « pédiatres » d'alors et qu'en dire à
partir de ce que j'ai pu en connaître.
A la tête du
Service, le Pr. Beau, éminent anatomiste, personnage distingué ;
du chirurgien je ne me sens autorisé d'en dire quoi que ce soit,
d'autant qu'en raison de ses autres responsabilités et la proximité
de la retraite ses apparitions étaient rares, ses venues au bloc
opératoire exceptionnelles.
Le vrai patron
était sans conteste son agrégé, le Pr. Prévot. A cette époque,
son statut l'autorisait à une activité privée en cabinet de ville,
situé rue de la Monnaie : un détail qui ne manquait pas d'être
régulièrement exploité lors des revues de l'Internat. Pour autant
sa présence dans le service était effective et le contrôle qu'il
en avait indéniable. Personnage exigeant et intraitable, il était
redouté tant de ses collaborateurs, des divers personnels que des
étudiants assistant à ses enseignements cliniques ; tout en
caressant sa calvitie luisante, il pouvait d'un regard froid, d'une
répartie caustique et sans appel, déstabiliser son interlocuteur.
Quand il devait opérer, allergique à l'attente et son temps étant
compté , son équipe devait se mobiliser de manière suffisamment
anticipée pour qu'à son arrivée le patient fût non seulement
installé et anesthésié, mais les champs posés, l'instrumentation
déployée, les personnes chargées de l'aider dans les
starting-blocks ; nul ne se serait avisé d'une remarque
quelconque sur un retard de sa part coupable d'un temps
d'endormissement inutile, retard dont il savait s'excuser
courtoisement : la gent anesthésique n'avait qu'à se soumettre
elle aussi ; les temps ont bien changé depuis... S'il se
réservait comme domaines privilégiés les chirurgies néo-natales
et urologiques, il ne s'interdisait pas d'être présent sur les
autres domaines où excellaient ses compétences et sa riche
expérience ; lorsque plus tard le Service sera divisé en deux
entités, il optera pour le secteur orthopédique. Opérateur rapide
et efficace mais jamais brutal, ses interventions étaient des leçons
de chirurgie ; manquaient cependant les explications afférentes,
dommage.
Deux Chefs de
Clinique se partageaient les responsabilités du quotidien, référents
constants et obligés des trois jeunes internes. J. Dossman était un
garçon particulièrement brillant autant qu'un opérateur élégant ;
il semblait cependant à plus d'un que ses compétences étaient
sous-employées et qu'il s'ennuyait parfois ; son charme n'était
pas sans effet sur une secrétaire qui dans son genre sortait aussi
du lot. J.M. Babut, son alter ego, s'il n'offrait pas le même
charisme, s'avérait être un chirurgien solide, ultra-consciencieux,
et doué d'une grande patience : une qualité indéniable quand
il s'agit d'enfants, d'expliquer aux parents, d'apprendre les
premiers rudiments de chirurgie à des Internes à leurs débuts ;
à l'issue de son clinicat il prendra en charge le jeune service de
Chirurgie Infantile de Rennes.
Pour
mes premiers pas en chirurgie, le temps passé dans ce service eut en
quelque sorte valeur de voyage initiatique ; ce le fut d'abord
par l'approche de savoirs inédits, éloignés pour la plupart des
apprentissages théoriques tirés de ma préparation au concours. Ces
savoirs relevant majoritairement de l'exercice spécialisé
exclusif, on est en droit de penser que leur bénéfice essentiel
n'aura guère été plus que d'enrichir ma culture générale, ce qui
n'est déjà pas mal ; en réalité, certains acquis que j'y ai
faits me seront précieux ; ils me permettront entre autres,
mais pas seulement, d'offrir ultérieurement ma part en complément
du savoir-faire en ce domaine de mon ami et futur « associé »
P. Poisson, de sorte qu'un ensemble de pathologies infantiles pût
être assuré dans la continuité et avec crédibilité au CH
d'Epinal.
Quant aux
savoirs-faire, mon niveau initial au-delà de la suture était proche
de zéro ; le premier apprentissage demandé aux Internes du
service étant d'ordre radiologique, le second consistait à ce
qu'ils sachent au plus vite dénuder une veine radiale au poignet ou
saphène à la cheville pour y introduire l'indispensable cathéter
prélude à toute intervention, faute d'autres solutions en vue de
perfuser les tous petits de manière suffisamment garantie et
prolongée ; dans le même registre se place celui de disséquer
la crosse saphène au pli de l'aine afin d'y glisser en situation
ilio-cave le même cathéter pour l'exsanguino-transfusion salvatrice
d'une incompatibilité sanguine foeto-maternelle. Au fil du temps,
peu à peu, grâce à la patience des Chefs de Clinique et en
s'aidant mutuellement entre Internes, étaient appris puis
perfectionnés divers gestes de pratique courante tels que : les
cures de phimosis, les réductions-plâtre, le traitement des sacs
herniaires, la correction des ectopies testiculaires, la pêche aux
appendices plus ou moins gravement malades...
A cet égard me
revient en tête une anecdote : elle concerne F. Boileau dont
eut à souffrir son amour-propre qu'il avait grand. Bataillant à la
recherche d'un appendice récalcitrant depuis une bonne demie-heure,
son calot tombe malencontreusement dans le champ opératoire au
moment où le Pr. Beau pénètre pour une fois dans la salle d'op.
pour jeter un coup d'oeil sur ce qui s'y passe ; estomaqué de
ce qu'il a vu, il tourne les talons et invite « Popol »
C. qui passait par là à s'intéresser au problème ; le nom de
l'enfant lui rappelle quelque chose ; la fouille menée
dare-dare aux archives remonte effectivement un dossier certifiant
que le dit appendice n'avait plus lieu d'être mis en cause ni
recherché ! S'en rapproche le cas où devant une même
situation infructueuse le même Popol, jetant un coup d'oeil
négligent sur la radio thoracique affichée, fut le seul à
s'étonner d'un cœur placé à droite, signature d'un situs inversus
complet : l'appendice était à rechercher à gauche !
La vie dans un service
d'enfants n'inspire pas la tristesse, je crois l'avoir mentionné ;
que ceux-ci soient là pour des traitements chirurgicaux n'est pas de
nature à modifier cette impression, me semble-t-il. Il y a bien sûr
des pleurs, des souffrances et des détresses exprimées avec ou sans
les mots, le manque de papa maman ; tout cela, les soignants
s'efforcent par plus de présence, de don de soi, de tendresse
offerte, de les soulager, les apaiser ; et l'art de tromper
leurs inquiétudes du moment par un jeu, une histoire, une
chansonnette n'y est pas pour rien.
Il y a même des
circonstances où infirmières, médecins, se mêlent aux petits
hospitalisés comme on le ferait dans une vaste famille recomposée.
En février 1968 se sont déroulés les J.O. d'hiver à Grenoble,
ceux qui les ont vécu s'en souviennent encore ; alors les uns
et les autres, regroupés devant les postes TV, ont communié
ensemble aux exploits des JC Killy, G. Périllat, des sœurs
Goitschel et autres, vivant les mêmes attentes, les mêmes émotions,
poussant les mêmes cris de joie.
Dans le rapport aux
troubles qui l'affectent, l'enfant ne triche pas , n'incline pas à
la recherche de bénéfices secondaires ; et s'il y a des
anomalies dans leur expression, il faut y voir avant tout les effets
d'interférences perturbatrices provenant de leur entourage immédiat
. Ainsi, un regard attentif et on ne doute pas de la réalité d'une
boiterie dont il reste à comprendre la cause ;ailleurs un
regard, quelques mots, les bons gestes , et on ne doute pas de la
réalité d'une douleur qu'il reste à expliquer. Dans un cas comme
dans l'autre, la réponse n'est pas nécessairement la chirurgie bien
sûr, mais combien de fois, faute de l'attention nécessaire dans le
regard, l'écoute, l'examen, n'a-t-on vu des hanches malades vues
trop tard ou des péritonites gravissimes conclure un mal de ventre
mal compris. Au demeurant les pathologies qui atteignent l'Enfant
sont habituellement uniques, sans intrication avec d'autres et sans
somatisation parasite, jusqu'à l'adolescence tout au moins. Par ces
motifs, dans leur traduction, comment ne serait-on pas enclin à y
déceler comme une forme de « pureté » ?; le terme
peut surprendre, mais si on se réfère à certains constats tirés
de l'approche de l'Adulte malade, il contient une part de vérité
indéniable.
Comme quoi, si cela
devait être encore à démontrer, l'Enfant n'est pas un Adulte en
miniature mais bien un être à part entière et à traiter comme
tel. Quant à voir ce qui dans l'Adulte tient du grand Enfant, le
débat est ouvert.
Première
chanson de Beau
(Air : Et
moi, et moi, et moi. J. Dutronc)
Sept-cent-cinquante
« première année »
Et moi, et moi, et moi
Doyen de la faculté
Mon mal de tête,
Mon point au foie,
J'y pense et puis
j'oublie,
C'est la vie, c'est la
vie.
Soixante titulaires et
agrégés,
Et moi, et moi, et moi,
Et Seurot par d'ssus le
marché
Avec son cortex
atrophié,
J'y pense et puis
j'oublie,
C'est la vie, c'est la
vie.
Tout le p'tit monde d'la
rue Lionnois,
Et moi, et moi, et moi,
Et Burg mon p'tit bras
droit
Qui s'prend déjà pour
moi,
Pourquoi, pourquoi,
pourquoi,
Il m'ennuie, il
m'ennuie.
Dans cette foutue
boutique,
C'est
moi, c'est moi, c'est moi,
Avec
mes manies et mes tics
Qui
en fin de compte suis le roi
De quoi, de quoi, de
quoi.
(Revue Internat
1967)
Deuxième
chanson de Beau
(Air :
Adieu Monsieur le Professeur. H. Aufray)
Les agrégés font des
cabrioles
Et le vieux Beau est tout
ému.
Demain ce ne sera plus lui
l'idole
De cette vieille faculté
bien vermoulue
Refrain
Adieu Monsieur le
Professeur
Vous serez bientôt
oublié
Et nous pensons du fond
du cœur
Qu'on est enfin
débarrassé
Nous n'allons pas verser
des pleurs
ça nous fait plutôt
rigoler
Vous serez bientôt
oublié
Adieu Monsieur le
Professeur
Il a brûlé ses dernières
cartouches
Pour saborder la Faculté
Mais son dentier est tombé
de sa bouche
Quand il a su qui lui a
succédé
Refrain
(
Revue
1971)
Chanson
de Prévot
(Air :
Il est 5 heures, Paris s'éveille. J. Dutronc)
J'suis
le chirurgien du p'tit matin,j'suis le chirurgien des p'tits gamins
Les
bistouris sont affûtés, les scialytiques sont allumés
J'suis
pas le seul à opérer, y aurait besoin d'un coup de balai
Les
cliniques sont très encombrées, les malades vont bien payer.
Il
est cinq heures, Prévot s'éveille, Prévot s'éveille
Il
est sept heures, Lesure se lève,
Il
est sept heures, ce n'est pas une heure.
Et
Lesure est dans la place, son sourire brise la glace
Il
a trop d'clients, ça m'tracasse, je ne peux pas le voir en face.
Il
est huit heures,Prévot opère, Prévot opère.
Les
moutards sont dans les plumards, au service j'ai toujours la barre.
Il
est neuf heures, Tony paraît, Tony paraît.
J'me
précipite pour failloter, j'lui dis pas qu'il me fais rigoler.
Mais
le téléphone retentit, aussitôt le voilà parti.
Il
est minuit, j'ai des soucis, j'ai des soucis.
Je
pense beaucoup à Gentilly, pour les confrères je serai gentil.
Je
sourirai aux ennemis, le péril jaune sera fini.
(Revue
1968)
Intermède :
le Service Militaire
Traiter de mon
Service Militaire peut sembler à priori hors sujet au chapitre du
Temps de l'Internat. Au premier motif qui m'y pousse, je retiens que
ce temps aux Armées dût s'inscrire au sein du précédent par la
décision qu'il me fallut prendre de mettre fin à ma situation
sursitaire à un moment jugé le plus opportun. Pour second motif,
pendant les seize mois que m'a pris l'Armée pour soi-disant en faire
don à la Nation, j'ai vécu sous un statut d'Interne dans sa
définition la plus stricte : le civil appelé militaire ou
devenant militaire appelé (le résultat est le même) avait
l'avantage pendant tout ce temps d'être nourri, logé et même vêtu
aux frais de la dite Nation, et tout cela pour des utilités dont on
reparlera. Enfin ce temps militaire par conscription est
définitivement révolu : raison de plus pour en dire quelque
chose.
Deuxième
Classe
Le parcours du
futur combattant commence par sa convocation au Conseil de Révision,
dans sa 18ème année : une pseudo-visite médicale de masse au
cours de laquelle défilent les futurs conscrits en slip devant des
médecins et autorités militaires. Outil de sélection principal :
le SIGYCOP ; après une évaluation sommaire de l'état
physique, sensoriel et psychique de la probable recrue future, chaque
lettre est affectée d'un coefficient ; si vous bénéficiez
d'une note éliminatoire ou si leur total dépasse un certain seuil,
vous rejoignez la cohorte des Réformés (rien à voir avec les
Huguenots) ; dans le cas contraire vous serez jugé bon pour le
Service Armé (BSA) : ce fut mon cas, ayant subi cette formalité
en novembre 1962. Comme pour m'en récompenser, je reçus un «Livret
Individuel » dûment signé et tamponné de rouge, précieux
document à conserver absolument tout au long des périodes d'active
et réserve sous peine de … En effet, à sa lecture et pour
le conscrit qui s'en donnait la peine, son contenu augurait d'un
futur peu engageant ; après les premières pages réservées à
son identification, il découvre successivement celles destinées aux
vaccinations à subir, puis des grades, campagnes, blessures et
décorations à venir ; aux dernières pages, son enthousiasme
éventuel risque de pâlir en s'attardant sur les peines applicables
aux crimes et délits justiciables du Tribunal Militaire : il
apprendra les mots et significations de désertion, insoumission,
sabotage, révélation de secret, complicité de trahison et
espionnage, auxquels correspondent des échelles d'amendes, d'années
de prison, travaux forcés, et ultime punition, la mort. C'est un
arrêté qui le dit : celui du 29-7-1939. Voilà pour la mise en
condition mentale.
Mon projet était
d'effectuer mon temps de Service en Coopération, une forme de
Service Civil à l'étranger ou en DOM-TOM. Hélas, les événements
de Mai 68étaient passés par là ; à leur suite, les départs
dans ce cadre avaient été suspendus . Pas de chance ; je
n'eus pas d'autre choix que de revêtir l'habit militaire.
Je partis un beau matin de
novembre 68, direction Metz et une des casernes de cette place forte.
Les médecins et autres professionnels de Santé du grand Est de la
classe de mobilisation 68 2/C étaient affectés à la 6ème SIM. Les
adieux à ma famille et à ma fiancée n'avaient pas été exempts
d'émotions et recommandations ;suspendus à une première
question : quand se reverra-t-on? Quelle ne fut pas leur
surprise me voyant réapparaître trois jours plus tard, après
« avoir fait le mur » (à un endroit il ne dépassait pas
le mètre de hauteur, une vraie provocation) pour ne pas souffrir le
premier week-end d'armée à la caserne ; mon père, ancien
militaire de carrière exemplaire, n'en dit rien derrière un sourire
poli mais pas vraiment approbateur.
Les premiers jours au
Quartier ne s'annoncèrent pas trop mal. Après une séance
d'information générale tenant du Club Med et une visite organisée
du domaine, nous avions trouvé une planque à l'abri des regards et
des gradés tenant lieu de tripot. Il fallut bien abandonner bridge
et tarots quelques instants, comme pour le temps d'une nouvelle
séquence de SIGYCOP et surtout la séance paquetage ; si
l'habit ne fait pas le moine il commence par faire le Militaire.
Etonnement, quolibets et rigolades en se découvrant les uns les
autres pour la première fois sous l'uniforme, en ajustant le béret
et le casque sur nos têtes peu habituées à être coiffées, mais
déjà préparées à ces effets par la coupe de cheveux
réglementaire.
Cela ne dura pas,
évidemment. La phase suivante fut consacrée aux tests. Tests
physiques d'abord : pompes, barre fixe, mille mètres... Pour
beaucoup -dont j'étais- leurs limites furent vite atteintes ;
l'échantillon médical présent s'avéra moyennement ou peu sportif
dans l'ensemble. Tests culturels ensuite : tous étaient invités
à s'y soumettre, les lettrés comme les illettrés. Un peu de calcul
-addition, soustraction, multiplication, division-, une dictée
- « la discipline faisant la force principale des
armées... », une rédaction - « vos impressions à
votre arrivée au Quartier », en dix lignes ; j'en
profitai pour y exprimer tout mon émerveillement face à tant de
beautés et de nouveautés, à cette élégance vestimentaire avec
port obligé de la cravate, accessoire que j'ignorais dans le civil y
compris le dimanche, etc... ; la saveur de mon texte ne fut pas
parfaitement perçue de la hiérarchie comme j'ai pu le comprendre
par les échos plus que critiques qui me parvinrent via mon chef de
section : déçu mais pas attristé, mais déjà fiché !
Les choses sérieuses
pouvaient commencer,s'ouvrant le chapitre de l'Instruction militaire
dans ses premiers rudiments : « faire ses classes ».
On saisit vite que l'essence première de cette instruction vise à
façonner les « Bleus » selon un modèle où le penser et
le vivre collectifs priment; faire prendre conscience à l'individu
civil devenu soldat du contingent qu'il ne compte plus que comme un
modeste élément d'un vaste ensemble, d'un tout où tout est pensé
d'avance, à sa place ; lui faire aussi
admettre qu'il doit se fondre
dans un groupe organisé et façonné pour agir et réagir,
obéissant, comme un seul homme aux ordres de qui le commande ;
un groupe voulu tellement homogène, uni, qu'on lui affecte le
qualificatif d'unité : régiments, bataillons, compagnies,
autant d'unités et sous-unités, faisant corps.
Première leçon :
savoir se présenter en mode réglementaire -à six pas, saluer,dire
son grade, son nom, son unité et demi-tour.
Deuxième leçon , à
valeur de symbole : apprendre à marcher au pas, tous d'un même
pas, calqué sur celui de l'homme de base, en colonnes, dans un
alignement parfait -une seule tête-, gauche, gauche, gauche...
Troisième leçon .
Garde à vous : le maniement d'armes ; en quelques gestes
précis et enchaînés dans un ensemble exigé parfait, conduire le
fusil où le chef l'ordonne : présenter, reposer -arme-, sur
l'épaule -droite-(les gauchers : silence dans les rangs) ;
gare à celui qui exécute le mouvement ou trop tôt, ou trop tard,
ou de travers : toute la section, la compagnie, devront
recommencer l'intégralité de l'exercice.
Après des heures de marche
au pas cadencé, de maniement d'armes, la recrue devient donc soldat,
un bon soldat s'il agit dans l'automaticité, à l'unisson des
autres, sans manifester, finissant par accéder à l'uniformité du
groupe, aux ordres.
Voilà pour
le premier objectif. Repos.
Deuxième
objectif : tous les incorporés se retrouvent sur une même
ligne de départ, qu'ils soient professeurs ou paysans, fortunés ou
miséreux, bretons ou basques, séminaristes ou mécréants. Les
compteurs sont remis à zéro : principe d'égalité si cher à
la République une et indivisible. Celui qui commande n'est pas
nécessairement le plus âgé, le plus intelligent ni le plus fort :
c'est le plus gradé. Monter dans la hiérarchie est possible, mais à
partir de normes et mérites définis et spécifiques aux Militaires,
pas toujours accessibles à la logique de l'homme du rang.
J'observe
que le groupe de médecins que nous formions, nous connaissant
préalablement à l'incorporation pour un certain nombre, s'est
plutôt bien entendu avec les sergents et caporaux-chefs, à peine
vingt ans et niveau bac zéro ou à peine plus pour la majorité
d'entre eux. Connaître les règles du jeu et s'y conformer était la
condition première pour que ce séjour obligé se passe dans la
bonne humeur sans tenir pour autant de vraies vacances ; peu
importe l'opinion que chacun pouvait en avoir, sous réserve de la
garder pour soi.
Quant aux
apprentissages proprement guerriers -passez l'expression- je ne m'y
attarderai guère. Notre responsable au quotidien était l'adjudant
Kern, un alsacien pur jus. Au premier contact, il figurait comme le
prototype du sous-officier gueulard et mal embouché ; au fil du
temps passé en sa compagnie sur les terrains d'exercice, un dialogue
a pu se nouer, et au cours duquel la plaisanterie n'était pas
absente. Parmi nous, il y en avait un, Dominiani, qui par son allure
apparemment empruntée et volontiers candide, avait l'art de le
mettre en joie ; en conséquence, dès lors que son humeur
virait au risque de nous devenir préjudiciable, on lui envoyait
Dominiani. Au final il était ce qu'il ne voulait pas paraître :
un brave homme, rude, mais pouvant
Les séances de
tir, sans y exceller, j'ai bien aimé, en tous cas plus que le lancer
de grenade. Quant aux activités sur le terrain de manœuvres, j'ai
surtout le souvenir de longues attentes et m'être gelé les pieds ;
les frites sortant de la roulante auraient été bonnes si elles
n'avaient pas été si froides.
Pour une longue
marche, d'aucuns certifiaient que l'important résidait dans la
préparation psychologique préalable ; bien qu'ouvert à tout,
je n'y ai pas trouvé le soutien espéré en pataugeant dans la
glaise avec le barda et un flingue inutile. Quel émoi
dans la caserne quand on se rendit compte que mon copain Caspard (il
occupait le lit en-dessous du mien) manquait à l'appel au retour
d'une randonnée en forêt de 25 km ; sans doute la conséquence
d'une préparation psy mal comprise ! Sonna le branle-bas de
combat pour sa recherche. En toute logique militaire, le sous-off
dont il dépendait a probablement « plongé », voire
même pris quelques « pains ».
De cette
période d'instruction, je vous livre quelques autres leçons :
L'unité de temps entre
deux actions se définit comme celui mis à fumer une cigarette...ou
deux...ou trois...
A l'Armée, on en fait
peu mais on le fait tôt.
Voici quelques adages non
écrits mais bien établis. Gardez-les pour vous, secret militaire
oblige.
Un mois de
« classes » pour des médecins était jugé suffisant.
Tant mieux. Dire pour autant qu'en sortaient de vaillants guerriers,
personne ne pouvait le croire, les intéressés moins que tout autre.
Au moment des célébrations du centenaire du début de la première
guerre mondiale, j'imagine les gamins envoyés au front à peine
mieux préparés ; quant à ce qu'ils ont enduré, est-ce
seulement imaginable ?
Pour la
suite, le but n'étant que d'en faire des Médecins Militaires, un
stage dit « d'initiation professionnelle » d'un mois dans
une infirmerie de corps de troupe constituait l'étape suivante.
J'échouai au 15ème Régiment d'Artillerie implanté au Camp de
Suippes ; Suippes est un petit village mal loti - et mal
desservi- qui offre son nom à un vaste champ de manœuvres au coeur
de la Champagne pouilleuse. En ce mois de décembre, une bise
glaciale la balaie, ne rencontrant aucun obstacle pour la freiner ;
elle pousse la neige qui tombe par intermittence en vastes
tourbillons sur un sol crayeux durci par le gel, à peine moins blanc
qu'elle. Voilà pour le décor, triste et uniforme (l'uniforme fait
partie du quotidien chez les Militaires). Un lieu de réclusion :
une manière de récompense suite à ma fameuse rédaction ?
Bref, rien à voir.
Rien à faire non
plus, d'utile en tous cas. On saisit vite l'intérêt plus que
relatif du travail médical en corps de troupe ainsi que son côté
stérilisant.Les consultants viennent majoritairement pour être
exemptés -de marche, sport, tir..-prétextant un motif de santé ;
reste au Médecin-chef à faire le tri dans les demandes, celles lui
paraissant justifiées et
celles abusives. Au-delà de la « bobologie » classique
et des cas justifiant d'Aspirine, voire d'un antibiotique, un bon de
consultation ou d'hospitalisation pour l'hôpital militaire le plus
proche constitue l'essentiel de l'acte médical. On peut avoir des
doutes sur l'hygiène des vaccinations faites en batterie ;
passons sur les scarifications en croix et bien appuyées pour y
déposer le BCG : un souvenir indélébile garanti.
De cette initiation j'ai
retenu l'image d'une médecine où l'efficience est inversement
proportionnelle à la bureaucratie qui y règne mais qui, il est
vrai, ne coûte pas cher. On n'insistera jamais assez sur la
diversité des documents à remplir et tamponner, la palme revenant
au Registre des Constatations : c'est en effet à partir des
mentions qui y sont portées que le militaire passé en ces lieux
pourra un jour prétendre à pension pour blessures reçues lors de
services rendus.
En semaine le temps
est long. Mais que dire des week-ends,sinistres d'ennui.Je m'en
échappai une première fois par l'invitation de mon ami F. Sestier,
habitant à Reims et où son père exerçait comme pneumologue ;
retrouver des gens raisonnant normalement et parlant de vraie
médecine me fit du bien. François obtint de partir en Coopération
à Montréal ; il s'éprit d'une charmante québécoise ;
son internat à Nancy une fois terminé, il repartit dans la belle
province pour s'y fixer définitivement et y faire carrière comme
pneumologue et chercheur. Un autre week-end je pris le risque
d'une « fausse perm » ; à défaut de tout
moyen de transport je rentrai à Nancy en auto-stop ; pour
regagner mon corps (voyez la terminologie), ma fiancée se dévoua,
contre le gré de ses parents, pour me reconduire à ma
villégiature ; pour son retour, seule dans sa petite R8,la
route fut longue pour elle. Merci Françoise, toute ma reconnaissance
est pour toi.
Se conclut
ici ma première tranche de vie militaire.
Mon récit peut
paraître tendancieux, abusivement critique de l'Institution
Militaire, chargé de clichés conventionnels mais que j'assure
fondés pour nombre d'entre eux. Aujourd'hui je m'autorise à
reprendre ma réflexion sur certains points.
La conscription
rappelait au principe d'égalité ; pas seulement devant la
loi,mais dans un certain quotidien. Notre pays en l'abandonnant pour
se tourner vers la professionnalisation de l'Armée s'est délesté
d'un outil utile à son apprentissage dans la société. Chacun
construisant son individualité à partir de ses racines,son milieu,
son éducation, cette notion apparaît de nos jours de plus en plus
abstraite, mal appréhendée,voire contestée. L'égalité bien
comprise, c'est l'égalité des chances, à partir de laquelle peut
s'exprimer la liberté de progresser comme d'entreprendre. L'égalité
mal comprise, c'est l'égalitarisme, ramenant celui en mesure de
s'élever ou se distinguer au niveau, au mieux, d'une moyenne.
Imposer cette dernière en règle commune, et la Dictature n'est pas
loin.
L'Armée, école du sens
collectif : en soi, rien que de très légitime. Transposé en
modèle social, si ce sens collectif débouche sur un sentiment
d'appartenance lui-même source de créativité et doublé d'un
esprit de solidarité, ce n'est que du positif. S'il a pour effet de
transformer la société en groupes ou masses - reprenant une
certaine dialectique- soumis à un pouvoir qui se dispense de rendre
compte, alors la Dictature est là
La vie militaire est
riche de codes, règles et règlements. Une société qui s'abstrait
de règles, et c'est l'anarchie. A l'inverse, faire évoluer les
règles en règlements est simple, le chemin en est tout tracé
surtout au prétexte du bien commun comme plus de sécurité.
Décider, agir dans le cadre de règles impliquent la mise en jeu
d'une responsabilité ; s'en remettre à des règlements en
dédouane commodément ; la responsabilité reposant sur la
capacité à faire des choix, elle suppose à l'évidence des espaces
de liberté. Une société réglementée en tout, alors bonjour la
Dictature.
Les extrapolations
ainsi formulées peuvent s'appliquer à d'autres univers, celui de la
Santé par exemple . On l'aura bien compris
E.
O. R.
Etape suivante,
le CNIEORSS : Centre National d'Instruction des Elèves-
Officiers de Réserve du Service de Santé. En effet, la véritable
finalité du séjour aux Armées des médecins , pharmaciens,
dentistes, vétérinaires, vise à les muter en officiers de réserve,
mais avec un temps d'active préalable ès qualités de douze mois.
L'Armée, c'est
aussi le voyage et le dépaysement. En ce début de janvier 1969,
destination Libourne, dans le Bordelais ; pour un exil de six
semaines.
Premier
souvenir : à notre arrivée en gare de cette ville une femme
chute, sans cri, au départ du train et finit broyée sur la voie :
accident, désespoir ? Notre groupe assiste impuissant, glacé,
à l'événement.
Toutes les casernes
se ressemblent. Pour qui le souhaitait, échapper à la chambrée
tenant de la salle commune était autorisé en logeant chez
l'habitant ; ce que nous avons fait avec mes amis A. Joly et B.
Mentré en louant un petit deux-pièces.
Le premier jour,
nous étions invités à une rencontre individuelle avec le
Médecin-Colonel Rondeau, comme au confessionnal. En authentique père
du régiment, on bénéficia même sous son contrôle personnel d'une
inspection vestimentaire également individualisée ; il est
vrai que certains étaient affublés tels des clochards ; on ne
néglige pas les questions de tenue !
Hormis la
nécessité d'avoir à se lever tôt, le rythme de vie n'avait rien
d'infernal. Inévitablement la journée commençait par les corvées
du matin, l'appel et la montée des couleurs. Les exercices de
maniement d'armes et le temps passé sur les champs de tir ou de
manœuvre étaient fort acceptables. En fait l'essentiel se passait
en salles de cours pour y être enseignés comme à la fac :
L'organisation du
service de santé en temps de guerre semblait encore très inspiré
de celle prévalant lors des deux derniers conflits mondiaux et les
leçons émanant de celui en cours au Vietnam n'étaient pas encore
intégrées.
Les concepts et moyens en
lien avec la guerre NBC (nucléaire, bactériologique, chimique)
avaient de quoi faire frémir. Pour se protéger des radiations, deux
choses à savoir : déployer la cape ad hoc en quelques
secondes, et ne pas perdre la brosse à habit très utile pour se
débarrasser des poussières radio-actives ! Pour la
décontamination : rincer, doucher ; si un tel traitement
de masse devait se faire et dans l'aigu, autant craindre le pire.
Les principes en chirurgie
de guerre sont fort éloignés de ceux régissant la chirurgie
réglée ; il y a d'abord la nécessité et l'importance d'un
triage, sachant malheureusement que tout et le mieux ne pourront être
faits , une responsabilité qui revient au plus expérimenté ;
il faut organiser les moyens logistiques et la ventilation des
blessés en conséquence : la Médecine de Catastrophe s'est
inspirée de la science militaire à cet égard. Dans le traitement
des plaies, savoir exciser, drainer, ne pas refermer d'emblée :
des notions dont la méconnaissance en pratique civile face à des
plaies souillées et contuses peut être source de catastrophes.
Passons sur la gestion
des sanitaires et feuillées en campagne, un sujet traité avec
délectation par le capitaine « Nounours » ; mais
qui a campé sait tout le sérieux qu'il faut y accorder pour le
meilleur confort.
Quelques cours étaient
donnés par un vieil artilleur sur les armes, sur le montage et
démontage de quelques-unes avec travaux pratiques à l'appui. On
saisit alors que le génie mis par l'Homme à vouloir réparer et
traiter n'est surpassé que par celui à savoir détruire.
Parmi les quelques
principes éthiques enseignés, j'en ai retenu un : rendre
compte de l'exécution de la mission à son terme. Une leçon de
portée universelle.
Dans le cadre d'une formation
voulue riche et éclectique, nous fûmes même conviés à une
conférence-débat-dégustation sur les vins de Bordeaux. Les
officiers, colonel en tête, étaient largement représentés,
attestant de leur conscience à se soumettre à une formation
continue pour tester et améliorer leurs connaissances ; le
visage rubicond du chef de corps à la fin des travaux pratiques
attestait qu' il avait bien participé.
Occuper les temps
libres était un souci. Les utiliser pour étudier les cours pouvait
représenter une solution sachant que le séjour libournais se
concluait par un
concours déterminant, selon
le classement obtenu, le choix du poste futur. Ce n'était pas le cas
de la majorité des présents. Faire du tourisme dans cette région
dont les gars de l'Est ignoraient tout supposait posséder une
voiture ; à moins, à défaut, de se lier avec un camarade qui
en était doté. Par ce dernier biais, j'ai parcouru les coteaux de
St. Emilion, goûté à la gastronomie locale, suis monté sur la
dune du Pilat, et ai pu connaître de la saveur des huîtres
d'Arcachon arrosées d'un muscadet.
Le seul
moment pouvant justifier d'un aller-retour sur Nancy vue la
longueur du voyage
correspondait aux quelques jours laissés libres après le concours.
Mais une règle exigeait qu'un EOR participe au quotidien à la garde
à l'entrée du quartier ; vérifier les entrants, les sortants,
lever la barrière, saluer le colonel à son passage : sans
intérêt . Une liste avait été établie après tirage au
sort : pas de chance pour moi, mon tour se calant au milieu de
cette période de carence... : fallait-il y voir comme un autre
dommage collatéral de ma contestable rédaction ?
De cette promotion comptant
190 EOR, je me classai au concours à la 46ème place avec une note
moyenne de 16,5 (ref : mon livret militaire), ce qui pourrait
passer comme assez flatteur, surtout en raison de la passion et du
temps consacrés à l'étude.Mon vœu était d'être affecté dans un
hôpital militaire en secteur chirurgical et de préférence dans
l'Est ; à mon tour de choisir, ne s'offrait dans cette
perspective que l'Est outre-Rhin, aux FFA (Forces Françaises
d'Allemagne). Va pour les FFA.
Ultime
souvenir marquant, celui du dernier jour au CNIEORSS :la prise
d'armes puis le défilé des élèves-officiers promus Aspirants (la
totalité de la promotion à deux ou trois exceptions près) ,le
regard supposé martial – tête droite- , devant le général, aux
airs guerriers d'une fanfare dépêchée spécialement . Les
fusils utilisés pour la circonstance étaient d'antiques MAS 36 (c.à
d. modèle 1936) au percuteur scié et donc inutilisables : une
anticipation au principe de précaution.
Des
ustensiles de parade, pour le folklore.
Aspirant
Je franchis le
Rhin le 3 mars 1969 (dixit la page 5 de mon livret militaire).
Petit rappel
historique. La 1ère Armée Française du général De Lattre de
Tassigny franchit le même fleuve, bien avant moi car à peine né,
au début de 1945. Notre pays, se retrouvant à la table des
vainqueurs le 8 mai, se vit octroyé une zone d'occupation s'étendant
de Trèves et Mayence au nord à Friedrichshafen sur les rives du
lac de Constance au sud. Les FFA où j'eus l'honneur et le devoir
de servir
pouvaient être vues comme une
des scories du deuxième conflit mondial ; Baden-Baden siège de
l'Etat-Major en
était le cœur. Précisons qu'à cette époque nous étions en
pleine guerre froide, de fait la véritable justification de la
pérennité de cette présence militaire importante en territoire
allemand.
Nous étions quinze
ou vingt Aspirants du Service de Santé fraîchement émoulus à
connaître la même destination outre-Rhin, et donc à nous retrouver
dans cette capitale en ce jour timidement ensoleillé. Nous fûmes
d'abord gratifiés d'un nouveau paquetage, avec de nouvelles tenues
agrémentées d'épaulettes pourpres portant la barrette de notre
grade. Autre signe distinctif de notre nouvel état, un képi du même
coloris ; pas facile de trouver le couvre-chef parfaitement
calibré au tour de chef de chacun et qui ajouta un peu plus de
respectabilité à l'allure du même chacun.
Après ces
prémices, il restait à déterminer les affectations définitives.
Pour ce qui concernait Dédé Joly et moi-même, deux postes en
chirurgie étaient proposés ; mon ami m'ayant damé le pion au
concours, il choisit en premier et logiquement l'établissement le
plus recommandé, à savoir l'hôpital de Baden-Baden. C'est ainsi
que sans autre forme de procès je reçus mon ordre de mission pour
l'H.A. « A. Limouzin » à Fribourg-en-Brisgau.
Avant de filer
vers nos destinées respectives, le Médecin-Général nous reçut
entre deux portes. Son briefing laconique tint davantage de la mise
en garde et de l'admonestation que du discours de bienvenue :
plutôt assez mal venus donc ; nous assimilait-il aux lanceurs
de pavés de mai 68, à une jeunesse qu'il fallait mater ? Allez
savoir ! Ceci dit et indépendamment de tout procès
d'intention, il considérait ces appelés du contingent face à lui
comme appelés à se tenir à carreau, à la disposition des cadres
de carrière et soumis à leurs exigences via des règlements établis
à leur bénéfice ; voilà pour une impression première qui se
mua vite en certitude seconde.
Fribourg. Vivre aux FFA.
La
route menant à Fribourg est pleine de charme. Elle parcourt une
plaine où abondent les cultures les plus variées
et
traverse de gros bourgs d'allure prospère dont les maisons
traditionnelles se distinguent par leurs toits pentus et leurs
façades barrées de colombages ; une plaine, des architectures
rappelant l'Alsace. Un massif montagneux domine
la région, la Forêt Noire, et qui ne manque pas de ressemblances
avec nos Vosges.La « Hochschwarzwaldstrasse » conduit le
touriste à de jolis lacs enserrés de forêts profondes -tels le
Titisee, le Schluchsee- , à des sommets en rondeurs tels le
Schauinsland, le belvédère de Belchem, ou le Feldberg son point
culminant, à 1432 m ; de là-haut, le regard tourné vers
l'ouest, on voit « chez nous ». Par endroits cependant,
c'est un air de notre Savoie qu'offre le mélange harmonieux de
reliefs boisés et de vastes prairies parsemées de fermes imposantes
esseulées, tournant leurs façades parées de bois vers les vallées
qu'elles surplombent ou comme pour mieux s'offrir au soleil.
Fribourg se veut
comme la ville principale de la zone sud-ouest du Bade- Wurtemberg.
Sur la même latitude que Colmar, le Rhin-frontière suivant son
cours à équidistance de ces deux villes, celles-ci connaissent des
similitudes les rendant sœurs : une importance équivalente, un
cœur de ville ancien aux ruelles étroites qui portent les noms de
confréries et métiers artisanaux pour la plupart disparus ; le
Moyen-Age et la Renaissance sont encore largement figurés dans
certains bâtiments et sur de nombreuses façades. Entre autres
particularités, Fribourg
est le siège d'une Université renommée, ce qui en
fait une cité jeune et animée ; sa rue principale, pavée, est
sillonnée par un tramway typiquement germanique qui sort de
l'ancienne enceinte fortifiée en glissant sous le porche de la Tour
de la Souabe, laquelle sert de référence au temps qu'il est par les
vastes horloges qui se détachent sur ses façades baroques.
Mais s'il
est un monument qui justifie une attention admirative, c'est sans
conteste sa somptueuse Cathédrale, sa « schön Munster » ;
de style gothique rhénan, habillée de grès rose,elle est dominée
par une tour octogonale, elle-même surmontée d'une élégante
flèche en dentelle de pierre . Sa longue nef abrite un buffet
d'orgues imposant ; des concerts y étaient donnés chaque
vendredi soir en période estivale par les plus grands organistes du
moment ; je n'en manquai guère, profitant des temps d'écoute
ainsi offerts à détailler les merveilleux vitraux
datant du XIVème siècle et le retable à la Vierge fermant le fond
du choeur ; je tiens probablement de cette période mon goût
pour cette musique aspirant au sacré, même si Bach n'est pas
nécessairement du programme. A la sortie, il n'était pas
désagréable de flâner dans les alentours de sa vaste place ;
terminer la soirée entre copains dans une « Weinstube »
ou plutôt une « Bierhaus », où l'unité de boisson
tient au choix du demi-litre ou du litre entier -de bière
évidemment-, n'était pas déplaisant non plus.
Fribourg-en-Brisgau
pèche au moins sur un point par rapport à sa sœur alsacienne :
l'absence de vignobles sur les pentes avoisinantes, même s'il y a
une Route du Vin badoise mais qui a l'inconvénient de sinuer bien
trop au nord pour qu'elle prétende à un rôle de capitale du vin.
Des arguments
pouvant porter à croire que nous étions chez nous, ou comme chez
nous, en terre conquise, il n'en manquait donc pas : tant de
ressemblances, de proximités, par les paysages, la géographie ,
par l'importante présence concitoyenne tant militaire que civile
associée, sans omettre une digne représentation de notre
Gendarmerie Nationale ! Je passe sur l'idée encore vivace chez
quelques-uns qu'ils se trouvaient là parce qu'en pays vaincu ,
oublieux que les temps avaient changé, passés de l'hostilité
d'antan à ceux de la réconciliation puis de l'amitié
franco-allemande.
En réalité, on
était ici plus loin de la France qu'on ne pouvait le croire à
priori. D'abord par l'obstacle de la langue, rares étant les
Allemands rencontrés dans la rue ou les magasins parlant celle de
Molière ; il nous restait à nous plier aux exigences de celle
de Goethe, et pour cela à réactiver les réminiscences puisées aux
souvenirs de nos années lycéennes ; à défaut on pouvait
toujours s'en remettre au
langage des gestes et
mimiques. Ensuite, à parcourir les rues, fréquenter les mêmes
magasins, on avait tôt fait de se persuader que les fiers
descendants des Gaulois étaient davantage en situation de recevoir
des leçons de leurs voisins germains que de leur en donner. De ce
fait, s'il nous prenait l'envie d'une balade en ville, autant la
jouer modeste et discrète, et délaisser l'habit militaire pas très
bien vu de la population locale pour une tenue civile permettant de
s'y fondre et s'y sentir à l'aise.
Au sein de ce
monde ami mais étranger, les Français en poste et leurs familles y
formaient alors comme une colonie vivant en autarcie, enclose dans
ses quartiers réservés, possédant ses écoles, ses magasins, son
hôpital, son chapelain. Les mess -des officiers, sous-officiers-, à
la fois hôtels-restaurants réservés à ces catégories de
personnels et cercles-clubs propres à leur société, figurent comme
un lieu de rencontres privilégié, voire obligé , et où le
bar compte pour beaucoup... ! S'agissant des Aspirants officiant
à l'hôpital, ils en étaient des abonnés assidus par la nécessité
au quotidien d'y prendre leurs repas ; au sous-groupe qu'ils
formaient avait été assigné un coin à distance respectable des
espaces octroyés aux « guerriers ». Pour tout dire,c'est
la couleur des képis autant que le nombre de barrettes qui
orientaient les convives vers leurs tables respectives : on se
mêlait peu.
Autres lieux de
ralliement appréciés des expatriés : les Economats, des
établissements où ils étaient conviés à se délester de leurs
francs pour autant d'économies promises ; en tout cas, sachez
que j'y ai laissé les miennes. Magasins un peu bric-à-brac ou
fourre-tout, leurs rayons étaient étonnamment bien achalandés en
articles de luxe, pour la bonne raison que tout ce qui était proposé
était vendu hors taxes. Celles-ci s'élevant alors dans l'Hexagone à
30% pour les produits classés luxe, on comprend l'intérêt des
personnels FFA à fréquenter l'endroit.. A ces conditions, se monter
en ménage en commençant par le beau était bien tentant : oser
l'argenterie, un service de cristal... Le « hic » tenait
au retour de ces acquisitions de l'autre côté de la frontière en
conservant le bénéfice de la détaxe ; or, notre pays vivant
un moment de crise aiguë, un sévère contrôle des changes avait
été imposé : en corollaire, l'inquisition douanière se
trouvait renforcée et la contrebande à hauts risques. Pour déjouer
la curiosité des fonctionnaires placés sur ma route aux
postes-frontières, le képi reçu en cadeau connut une fonction plus
noble que celle de couvrir mon chef ; posé de manière anodine
sur la plage arrière de ma Peugeot 206 d'occasion en remplacement de
ma 2 CV à bout de souffle, il cachait tout ce qu'il pouvait contenir
de cristal et de couverts en argent à chaque passage. Les douaniers
dans leur zèle visitèrent ma voiture dans le détail à plusieurs
reprises, jusque dans les entrailles des sièges, méprisant
systématiquement le képi pourpre pourtant bien en évidence .
Il en rougit encore... ! Quant aux objets ne pouvant s'y loger,
pas d'autre choix que tenter la chance avec subtilité : se
renseigner des postes-frontières réputés peu regardants, choisir
un moment peu incitatif pour le gabelou à s'extraire de sa guérite
-de nuit, par mauvais temps.-... Au final, au jour de mon ultime
passage frontalier, le contrat fixé avec moi-même fut idéalement
rempli.... Il y en eut sous le képi... !
Cette colonie, comme toute
autre de même nature, possédait ses règles, des codes plus ou
moins convenus ou établis. Entre autres usages, citons celui de
s'inviter, se ré-inviter entre personnes de mêmes cercles, sans
doute plus par convenance, obligation ressentie, nécessité
d'entretenir ses relations que par le besoin simple de cultiver,
entre hôtes, estime ou amitié. Pour être juste, il arrivait que
des Français en Allemagne allassent à la rencontre des Allemands.
Passons sur les cérémonies officielles tout comme sur la
fréquentation des grandes surfaces pour affaires, les« Kaufhaus ».
En période de Carnaval, événement festif majeur, il était facile
de se mêler aux autochtones pour qui le voulait. Avaient lieu aussi
sur le mode associatif de temps à autre des événements culturels
franco-allemands mixant civils et militaires ; je n'en dirai pas
grand chose car ils étaient peu ouverts aux appelés. La seule
opportunité que je connus dans ce cadre fut de participer à un
rallye automobile commun : une journée bien sympa agrémentée
de la visite guidée de jolis coins à la périphérie de Fribourg.
Interne
à l'Hôpital A. Limouzin
L'Hôpital
Ancien hôpital de
la Wehrmacht, je ne sais s'il a connu de grandes mutations depuis
que l'Armée Française en prit possession. On peut le supposer pour
partie devant la modernité relative du bâtiment qui s'étire à
droite de l'entrée principale, abritant l'administration et certains
services médicaux . Le temps que le planton d'astreinte lève la
barrière qui en commande le passage, le regard de tout entrant ne
peut qu'être attiré par la haute et incongrue cheminée de briques
posée au cœur de l'espace ouvert devant lui, peu différente de ce
que nous offraient les usines textiles du côté de chez nous ;
vue la fumée qui s'en échappe, le chauffage des bâtiments
s'annonce central et au charbon.
Il est assez comparable à ce
que l'on pouvait rencontrer dans nos petites villes, comme j'ai pu en
connaître à la faveur de divers remplacements. C'est vrai pour ses
capacités d'hospitalisation, la nature des services existants et la
polyvalence relative de chacun d'eux. Sa fonction étant d'être à
la disposition des militaires stationnés dans la région et leurs
familles, sa clientèle est composée de personnes jeunes ou dans la
force de l'âge, globalement en bonne santé (ceux ne l'étant pas
ayant été réformés -cf supra). En conséquence, première
spécificité, la gériatrie est absente au bataillon. Seconde
spécificité, l'importance de la Neuropsychiatrie, ou plutôt de la
Psychiatrie tout court ; les déprimes, tentatives de suicide,
troubles comportementaux étaient monnaie courante en corps de
troupes ; les mythomanes et simulateurs de tout poil à
débusquer ne manquant pas non plus, il y avait matière à faire.
Avant d'en venir à la
Chirurgie, quelques mots sur
les deux spécialités chirurgicales présentes. L' ORL était tenue
par un célibataire policé semblant traîner un long ennui ; il
est vrai que les amygdales à extirper et les sinus à ponctionner
n'étaient pas légion ; son intérêt pour la musique et
d'autres activités culturelles l'aidaient à passer le temps dans
son exil. Le service pompeusement qualifié Maxillo-facial se
résumait pour l'essentiel à la dentisterie ; l'aspirant qui en
était chargé, fier de ses racines gasconnes et son accent , n'avait
pas à se plaindre de son supérieur, si peu présent.
Chaque service
était placé sous l'autorité d'un médecin ou pharmacien militaires
de carrière, leur grade pouvant comporter de trois à six
barrettes ; leurs collaborateurs immédiats étaient tous des
appelés du contingent, jeunes docteurs en médecine, pharmacie ou
internes des Hôpitaux, avec le même rôle de cheville ouvrière
qu'en milieu civil . Etre Aspirants ou Internes : de ce
point de vue, rien de
très différent.
Ceci étant, en
matière hospitalière, le militaire se différencie du civil sur
bien d'autres points. A commencer par le chef d'établissement :
pas un directeur extrait de cadres administratifs, mais un
Médecin-Chef. Chef en tout : gestionnaire en chef, chef des
médecins, surveillant suprême du bon respect de la discipline et
de l'application des règlements. Il exerce moins une fonction de
direction que de commandement, imposant également son autorité
hiérarchique sur tous les personnels d'un grade inférieur au sien,
qu'ils soient médecins, pharmaciens, infirmiers, administratifs ou
fantassins. Susciter l'idée de concertation tiendrait de la
grossièreté anarchiste. Le Médecin-Colonel Patridge tenait de
l'archétype de ce modèle : tel le Pacha d'un navire, seul
maître à bord, et s'il devait respect et obéissance à quelqu'un,
ce n'était pas à Dieu, mais au Médecin-Général son supérieur.
« Le Coyotte » -c'était son surnom-,bénéficiait d'une
réputation détestable auprès des appelés ; il se méfiait on
ne peut plus des Aspirants, ces pseudo-militaires allergiques aux
règlements et de prime abord responsables des désordres pouvant
survenir (pas toujours faux...). Il avait la manie de la note de
service, qu'il s'agisse de préciser le modèle d'imprimé à
employer,la manière et le moment de l'établir sous peine
d'invalidation (les demandes de permission étant du lot), ou de
faire part de la gradation des punitions pour qui aurait l'idée
saugrenue de fouler les quelques plantations censées orner les
allées.
La Chirurgie
L'évoquer, c'est
d'abord parler du Chirurgien, le Commandant Lemaire.
Taillé en armoire à
glace, il impressionnait au prime abord, surtout quand il
apparaissait dans son uniforme de l'Armée de l'Air. Il ne se cachait
pas figurer comme un pur produit du sérail ; fils de
médecin-général, son cursus s'inscrivait exclusivement dans le
giron de la Médecine Militaire. Après des études passées à la
« Boîte » comme « Sant-Ar » à Lyon, il
fréquenta quelque temps les Hôpitaux d'Instruction des Armées via
un système de sélection propre à ceux-ci. Ses véritables
premières armes chirurgicales, il les effectua à Marrakech dans
le cadre de l'Aide
Technique au Maroc.Une
formation sur le « tas », en grande partie autodidacte et
où l'exigence du résultat n'était pas de celle que l'on connaît
de nos jours et dans nos frontières hexagonales. Par les
« histoires de chasse » qu'il en rapportait, nul doute
qu'il avait dû faire face à des situations qu'il ne risquait guère
de rencontrer à Fribourg. Il se rangeait en définitive dans le
modèle du chirurgien polyvalent, avant tout viscéral, comme il y en
avait tant alors, exerçant isolément ou au sein d'équipes réduites
dans nombre d' hôpitaux ou cliniques de province : une race qui
n'a plus cours.
Les chirurgiens militaires en
France se voulaient à l'époque autonomes de l'Université et du
monde hospitalier civil. Outre une expérience outre-mer pour la
plupart et leur cadre d'exercice particulier, s'expliquent ainsi des
différences de culture et dans nombre de savoirs-faire. Le cas du
Cdt Lemaire était à cet égard emblématique. A côté de
connaissances théoriques indéniablement étendues, sa pratique
opératoire était concentrée à certains actes et domaines ;
aux motifs précédemment cités s'ajoutaient les effets d'une
présélection inévitable de la clientèle, et donc des pathologies
possibles, ainsi que ceux d'une difficulté d'accès aux nouvelles
techniques tant pour une question de moyens que d'isolement
professionnel relatif.
Ainsi en urologie,
monter des sondes urétérales pour calcul récalcitrant lui était
aisé : « 20 ans de métier, mon p'tit vieux » !;
il manquait de généraux retraités pour les opérer de la prostate,
sachant par ailleurs que de toute évidence le Val de Grâce aurait
leur préférence. En digestif, à côté des appendicites, hernies
ou hémorroïdes du quotidien, la chirurgie des voies biliaires se
faisait rare, celle du colon exceptionnelle. S'agissant de la
traumatologie, l'ostéosynthèse était quasi absente, l'attirail
hétéroclite des boîtes invitant d'ailleurs à exploiter les
traitements orthopédiques selon toutes leurs palettes ; c'est
ainsi que pour fixer une fracture du scaphoïde carpien il fit appel
à une vis à bois achetée à la quincaillerie de proximité, et
préalablement stérilisée tout de même ; je ne connais pas la
suite de l'histoire, et sais encore moins si l'os se montra tolérant
vis à vis de l'acier germanique du commerce. Il ne rechignait pas à
la chirurgie gynécologique, mais il arrivait que le doute fut permis
sur la pertinence de certaines indications.
Il y avait
aussi une Maternité (pour 200 accouchements par an en moyenne) tenue
par deux sages-femmes et à laquelle était affecté un aspirant
obstétricien, l'ami Forgerit, un épicurien sans complexes. Elle
était administrativement sous sa responsabilité, laquelle ne
s'exerçait en pratique que pour les césariennes ; dans
l'imminence de leur réalisation, sa hantise se transformait en un
stress qui le tenaillait tant que c'en était manifeste aux yeux de
tous ; dans un tel contexte, comment ne pas comprendre son
angoisse, sachant de plus que si réanimation néo-natale il devait y
avoir, les moyens du bord étaient bien limités.
Autre source de
tracas pour lui : comment utiliser ses 45 jours de permission
réglementaires, comment seraient gérées les affaires pendant son
absence ; l'Armée avait anticipé sur la cinquième semaine de
congés payés si ce n'est sur les RTT ! L'honnêteté invite à
préciser qu'il en occupait une partie à la préparation du concours
d'agrégation des Hôpitaux
des Armées, moyen de promotion et de mutation autant que passage
obligé pour rester dans le sillage paternel . En son absence et
en cas de besoin, on devait faire appel à un ancien chirurgien de
l'ex-Wehrmacht, manifestement cirrhotique, et ne gardant que de
vagues souvenirs sur la façon d'opérer ; la consigne
officieuse donnée était d'ailleurs de le solliciter le moins
possible. Pour parer au danger potentiel qu'il représentait, la
solution logique eut été de transférer les cas aigus à l'hôpital
voisin de Baden-Baden , mais exclue de principe par un orgueil
mal venu ; je connus quelques situations où celle-ci me
semblant malgré tout plus que judicieuse, je fus conduit à faire
appel au Médecin-Colonel P. ; en réponse, je me heurtai, outre
à son peu d'aménité coutumière, à sa totale incompréhension.
Une situation tenant de la quadrature du cercle au centre duquel il
valait mieux ne pas se trouver !
La question de l'anesthésie
était solutionnée simplement : confiée à un aspirant,
titulaire ou en voie de CES, régulièrement renouvelé au rythme des
évolutions de la durée légale du Service Militaire. En l'espèce,
je n'en connus qu'un seul, du même contingent que moi, JM Pradet.
Limougeaud d'origine, d'un physique en rondeur, il offrait volontiers
la mine réjouie d'un moine de boîte de camembert ; j'ai le
souvenir d'un garçon charmant, aussi peu militaire que moi dans
l'âme, mais sachant être diplomate en cas de besoin. Anesthésiste
sûr et consciencieux , il faisait preuve d' expérience ,
si bien qu' il bénéficia sans réserve de la confiance du chef de
service et des divers personnels. Pour ce qui est de l'astreinte, pas
de problème non plus ; logé sur place comme les copains, il
était censé être disponible en permanence, comme les copains, et
tout cela pour une solde tenant de l'aumône, comme les copains. Nous
nous entendîmes parfaitement et établirent des liens d'amitié qui
nous facilitèrent notre séjour fribourgeois, à l'un comme à
l'autre. Il était secondé par une infirmière aide-anesthésiste
qui avait connu l'Indochine, dévouée mais seulement expérimentée
en anesthésies basiques ; sa mission première fut de l'initier
à un appareil d'anesthésie également basique, possiblement
réchappé du désastre de Dien Bien Phu à moins qu'il ne fut puisé
aux stocks américains.
Le secteur d'hospitalisation
était divisé en deux entités bien distinctes. La première,
plutôt confortable, pouvait donner le change avec une petite
clinique privée soignée ; elle était réservée aux gens de
carrière, leurs familles, ainsi qu'aux troupiers opérés récents ;
elle était servie par un personnel féminin PFAT (personnel féminin
de l'Armée de Terre) assez sympa.
La seconde, destinée
aux hommes du rang, se trouvait dans une aile éloignée de la
précédente ; à l'évidence datant d'une autre époque,elle
tenait de la salle commune en double exemplaire, avec des lits et des
mobiliers métalliques à la peinture blanche ou grise écaillée,
serrés côte à côte : on pouvait croire retrouver un hôpital
de l'arrière au cours de la guerre de 14-18 tels qu' illustrés par
certains films documentaires ! Le sol était fait d'un parquet
disjoint, aussi grinçant sous le pied que les lits sous le poids de
leur occupant. Pour les soins, pas de mignonnes, mais de solides
infirmiers placés sous l'autorité d'un surveillant sergent-chef ;
un gaillard dominant son monde par sa taille mais sachant être
compréhensif et même protecteur à son égard. Quant au travail de
nettoyage, entretien, service des repas, il était le fait de
« malades travailleurs » ; une invention ne coûtant
rien, puisqu'il s'agissait d'autoriser ou inviter des « biffins »
suffisamment rétablis ou peu malades à jouer les ASH au prétexte
d'une convalescence prolongée ; en contrepartie,ils
bénéficiaient d'un retour dans leur unité d'origine d'autant
retardé avec en prime la promesse d'une permission à la durée
proportionnelle au degré de satisfaction du cadre infirmier.
J'ai donc
travaillé dix mois en tandem avec le Dr. Lemaire : lui le
Chirurgien, devant, et moi l'Interne, derrière. Dans cette fonction,
mon rôle ne fut pas fondamentalement différent de ce qu'il pût
être ailleurs ; je ne m'y attarderai donc pas. Sauf sur un
point, chargé que j'étais plus particulièrement de la gestion du
secteur « Hommes de Troupe ». Les consultations étaient
en règle abondamment pourvues; le travail m'était facilité grâce
au concours efficace d'infirmiers connaissant bien les rouages du
système, notamment pour ce qui est des écritures -les bons
imprimés, les bons registres-, pour le bon dosage dans les décisions
médico-militaires -exemptions de ceci, de cela, sur telle durée-....
Se déroulant sans perte de temps, en compagnie de jeunes gars ne
renâclant pas à la tâche et voulant faire du mieux possible, j'ai
apprécié ces moments. Mêmes constatations en secteur
d'hospitalisation par les meilleurs rapports entretenus avec les
soignants ; mon chef y passait une visite hebdomadaire, seul
habilité au demeurant à décider des permissions-convalescences,
celles récompensant les « malades travailleurs » entre
autres.
Pour conclure sur le versant
professionnel de mon expérience à l'hôpital A. Limouzin, je
retiens avoir été confronté à deux modèles :
celui d'une chirurgie
polyvalente esseulée et en vase clos, vouée à disparaître,
celui d'une médecine
administrée, telle que je la verrai s'imposer irrémédiablement par
étapes successives dans le monde hospitalier au long de ma carrière.
La vie aux Armées peut
offrir comme partout ailleurs quelques bons moments et des instants
de fantaisies.
De garde de tour
général le 20 juillet 1969, je passai ma soirée et l'essentiel de
la nuit rivé devant l'écran TV (noir et blanc à l'époque) à
suivre en direct la conclusion de l'odyssée de la mission
Apollo 11 : l'approche et la pose du LEM (module lunaire) sur la
Lune, Amstrong puis Aldrin premiers humains à en fouler le sol, à
évoluer sur une planète qui n'est pas la Terre : « un
petit pas pour l'Homme, un grand pas pour l'Humanité ».
Comment ne pas garder en mémoire à vie les images des deux
astronautes posant à côté de la bannière étoilée déployée et
leur allure de « bibendums » habillés en extraterrestres
se déplaçant d'un pas à la fois étonnamment léger et balancé.
En regagnant ma chambre peu avant le lever du jour, la Lune offrait à
voir dans la nuit son disque plein ; comment imaginer que
là-haut s'écrivait à cet instant une page fabuleuse de l'Histoire
des Hommes, grâce à deux aventuriers découvreurs de la Mer de
Tranquillité tandis qu'un troisième, Collins, tournait en orbite
dans le Module de Commande en attendant de les récupérer. En
scrutant sa face avec plus d'attention, il pouvait sembler s'y
dessiner deux grands yeux étonnés : était-ce à cause de
l'audace de ces terriens posés sur elle tels des moustiques ou de se
voir dotée d'un satellite volant autour d'elle tel un drôle
d'insecte dépourvu d'ailes...
Au plan des
activités sportives, il y avait dans l'enceinte de l'hôpital un
court de tennis en terre battue qui nous était accessible sous
réserve d' une modeste redevance -rien n'est gratuit- et de se
trouver un partenaire. Il n'était pas rare alors de voir passer « le
Coyotte » assis à l'arrière de sa voiture de fonction,
roulant au pas, pour s'assurer de qui jouait et débusquer un
éventuel intrus...No comment.
Au plan des
activités intellectuelles, il y en avait une, obligatoire et avec
appel, qui s'adressait à tous les gradés, sans distinction pour une
fois : des cours d'allemand. Une bonne idée en soi, à
l'initiative du « Coyotte ». Les leçons étaient
confiées au Médecin-Commandant De Teufel, neuro-psychiatre, en
vertu de ses ascendances alsaciennes et sans doute se sa connaissance
de la langue de Goethe. En élèves studieux, il n'est déjà pas
simple d'assimiler conjugaisons et déclinaisons en der, die, das, de
dérouler des phrases où placer le verbe à la fin semble tenir de
l'anarchie organisée. La mobilisation des militaires composant la
classe tenait tellement du dilettantisme que la dépression et le
désespoir faillirent atteindre notre dévoué professeur, le seul,
hélas, à donner le meilleur de lui-même.
En guise de
distractions, il y eut bien un certain nombre de soirées festives en
comités plus ou moins élargis, comme la possibilité par exemple de
fréquenter l'une ou l'autre fêtes du Vin tant du côté badois que
colmarien. Je garde avec émotion le souvenir de la musique magique
sortie de la clarinette de J.C. Michel magnifiée par son
accompagnement à l'orgue à la faveur d'un concert donné sous les
voûtes de la Cathédrale de Strasbourg.
Pour les week-ends où un
retour sur Nancy n'était pas loisible, faire du tourisme dans la
région n'était ni désagréable ni sans intérêt. J'invite qui
voudrait y consacrer de sa curiosité à s'arrêter à Donaueschingen
-à voir son château , la source du Danube au sein du
parc-,descendre sur Schaffhausen pour s'attarder aux chutes du Rhin,
flâner sur les rives du lac de Constance où les châteaux et les
belles demeures ont poussé comme chez nous aux bords de la Loire ou
du côté de Deauville ; une étape sur l'île de Mainau
s'impose, chantée par Goethe dans « Mignon » comme le
pays où fleurit l'oranger....Un peu plus loin, je conseille la
visite des châteaux où vécurent les derniers rois de Bavière,
riches des délires de Louis II et des fantasmes wagnériens.
Tous les Aspirants logeant à
la même enseigne au même étage du même immeuble au sein de
l'hôpital -un véritable internat comme déjà dit- en découlait
une vie de groupe pouvant déboucher sur des conduites adolescentes.
Ainsi, les fruits
portés en abondance par les pruniers du voisinage n'intéressant
étrangement personne, un
collègue pharmacien jugea cet état de fait fort regrettable.N'y
avait-il pas lieu de profiter de ce don de la nature et fabriquer un
peu de gnôle aussi écologique que bon marché pour des instants de
convivialité futurs ? Un avis partagé à l'unanimité. Les
fruits ramassés furent déposés dans une grosse poubelle récupérée
sur un trottoir où l'on estima qu'elle n'avait rien à y faire ;
en y ajoutant ce qu'il fallait de sucre et d'alcool à 90, la bonne
nature se mit au travail . Afin d'homogénéiser la fermentation
en développement, il était dans la fonction de l'Aspirant de tour
général de passer de temps à autre dans la pièce où était
planquée la poubelle pour remuer le mélange avec un bâton de ski
et informer la confraternité de l'évolution du produit. Le moment
était proche du dénouement, à savoir celui de filtrer le breuvage,
quand une inspection du Médecin-Général fut annoncée ; dans
cette perspective, l'officier d'administration visita notre immeuble
pour s'assurer que tout était en ordre. A mesure qu'il avançait
dans le couloir central, la curieuse odeur qu'il percevait à
l'entrée ne fit que se préciser comme étant un arôme de quetsche
à mesure qu'il s'approchait de la pièce où s'élaborait la potion,
et ce bien que la porte fut strictement fermée.En y entrant,
assailli du fumet tenant de celui d'un alambic autant que par un
essaim de mouches n'appréciant pas le dérangement,la syncope le
guetta à ce que les témoins rapportent. Le contenu de la poubelle
finit tristement dans les égouts. On dit que « le Coyotte »
ne fut pas content, pas content du tout !
Une autre anomalie attira
l'attention de ce visiteur inattendu : plusieurs trous dans une
porte ! Le colonel alerté certifia son diagnostic :
impacts de balles. Les protagonistes de l'affaire convoqués
assurèrent qu'ils n'étaient que le résultat de coups de parapluie
véhéments concluant une soirée animée . Réfutant le propos,
en guise de contre-expertise, il somma l'auteur du préjudice de
reproduire devant lui la même agression sur la même porte avec la
même arme; ce dernier, d'abord dubitatif face à un tel ordre,
s'exécuta ; le coup porté créa une perforation en tout point
comparable à celles préexistantes, attestant simultanément de la
médiocre qualité des portes de nos
chambres, ce dont on aurait pu
se plaindre. Encore pas content, « le Coyotte », mais
rassuré quand même.Restait à occulter au plus vite les trous,tant
pour ne pas susciter une curiosité mal placée du Général que
d'avoir à donner des explications embarrassées.
D'expériences nouvelles,
mon séjour aux Armées n'en a pas manqué.
Il en reste une à
conter.
Interné à
l'Hôpital A. Limouzin
A me lire , je
conçois que certains puissent me voir comme rebelle à
l'institution militaire. Critique, certainement ; abusivement,
je ne sais, tant il suffit du seul effort d'objectivité face à ses
nombreux travers estimés comme excessifs pour se montrer d'une
sévérité qui, exprimée sans prudence suffisante, peut être
comprise par les gens de carrière comme la traduction d'un
antimilitarisme condamnable; en d'autres termes, une contestation
insupportable de leur modèle et du système auquel ils
appartiennent.
En permission à Nancy pour
Noël, je présentai une méchante bronchite pour laquelle je fis
appel comme il se devait au Médecin de garnison d'astreinte ;
visité par un copain de promo, confirmant mon état, il fit en sorte
d'informer mon établissement d'origine selon la procédure
réglementaire que mon retour serait retardé de quelques jours et
en donnant la raison. A peine rentré, je fus convoqué par le
Médecin-Colonel ; il m'accusa d'avoir fait en sorte d'obtenir
un certificat de complaisance pour m'octroyer une prolongation de
permission indue. Résultat : un mois d'arrêt de rigueur pour
moi, une mise en cause du collègue prescripteur incompréhensible
pour lui. Aucun moyen de se faire entendre, appel rejeté : la
peine était exécutoire ; à l'évidence plus pour l'exemple
que pour les deux jours de retard tels qu'indiqués dans le rapport
officiel. En d'autres temps, c'est le peloton d'exécution qui
menaçait (cf livret militaire) ; ceci pour se rassurer. Pour
information , à la fin de ma peine, un collègue pharmacien
prit ma suite ; bonjour l'ambiance !
En pratique, je fus
consigné dans une chambre située à l'écart du service de
Médecine, avec interdiction d'en sortir sauf pour une promenade de
15 à 16 H. : comme à la Santé (la prison évidemment). Il
arriva que sur ordre du « Coyotte » un officier
d'administration vint s'assurer de ma présence. En ce sinistre mois
de janvier 70 où on dit les journées plus courtes, je trouvai le
temps long ; je l'occupai à lire, travailler des cours de
Médecine du Travail, écouter la radio ; en soirée, je
m'autorisai à m'évader – l'esprit seulement- en allant regarder
la télé dans une pièce voisine, ou bien à recevoir discrètement
quelques collègues et amis. Je me donnai comme objectif d'écrire un
Dictionnaire du Militaire en 25 définitions ; une par
jour de détention, riche d'une profondeur et d'une réflexion
aboutie comme en témoignent ces quelques exemples :
Avancement : de
même que c'est le piston qui fait marcher la machine, c'est le
piston qui fait avancer le militaire.
Cheveux : la
valeur du militaire est inversement proportionnelle à la longueur de
ses cheveux ; au même titre, le militaire est sans pattes, y
compris le fantassin.
Humour :
absent ! L'humour est une forme de subversion et à ce titre
ne peut être compris dans l'esprit militaire . A telle
enseigne, que si l'humour est parfois peint en noir, ce n'est jamais
en kaki. Etc...
Pour qui cela
intéresse, je suis toujours en possession de son unique exemplaire.
Il m'arrivait de temps à
autre d'aller faire un brin de causette dans mon ancien service. Il
arriva une fois que le Cdt L. me proposa de suturer la plaie d'un
blessé venant d'arriver : hélas, lui répondis-je, je ne puis,
car je ne suis pas libre ! Ce qu'il reçut 5/5.
Le 2 février 1970 je passai
la frontière dans le sens inverse à celui où je la franchis le 3
mars de l'année précédente, ne gardant rien de ma garde-robe
militaire, sauf le képi : il restait les derniers verres à
passer...
Retrouver
l'air, libre. Respirer à nouveau l'air du temps, librement. Vivre à
nouveau selon les choix et les obligations que l'on se donne.
Le
projet central du moment tournait autour de notre mariage avec la
jolie et tendre Françoise, patiente Françoise aussi ; à la
fois la fin d'une attente et le début d'espérances.
Dans
la perspective du premier jour du printemps de l'an 1970 qui devait
voir le scellement de notre union, rien de tel que d'effectuer
quelques périodes de remplacements en médecine générale pour se
retrouver au mieux et au plus vite dans la vraie vie active..., et
garnir un porte-feuille qui en avait bien besoin. Ce retour aux
réalités se fit en se plongeant dans la ruralité profonde du nord
meusien -Stenay, Montmédy-, en allant s'occuper de patients de
milieux en règle plus que modestes, et en sillonnant des routes de
campagne gelées ou inondées, en s'y perdant parfois.
Il
y avait aussi à préparer notre nid : une petite maison du
quartier d'Haussonville, louée à la mère de ma belle, et qui
méritait un coup de jeune. Pour l'électricité, les plâtres et
autres éléments de rénovation, je bénéficiai de l'aide précieuse
de mon frère Denis ; un jour, nous connûmes une frayeur à la
hauteur du vacarme produit par la chute d'une armoire sous laquelle
il se trouva : heureusement, rien de cassé, sauf la glace qui
en habillait la porte. Cette maison abrita six années de bonheur,
pendant lesquelles ses habitants passèrent de deux à cinq avec les
arrivées successives de Laurence, Jean-Noël et Antoine.
La
Clinique d' Orthopédie et Traumatologie
Mon
nouveau service. Pour un an.
1er Avril
1970. 8 heures. En ce jour de rentrée, pas question d'être en
retard, ne serait-ce que d'une minute : le Patron n'apprécierait
pas ! Les cinq Internes formant la nouvelle équipe se trouvent
donc à cet instant précis, tenue verte et blouse blanche de
rigueur, dans le petit hall face au tableau opératoire, devant les
portes des ascenseurs qui, grâce à un automatisme révolutionnaire,
n'ont de cesse de s'ouvrir et se fermer seules avec un bruit de
piston. L'ancien, M.Jandeaux, a tout juste commencé à informer ses
quatre nouveaux compagnons des us et coutumes locaux qu'apparaît le
Patron, le Pr. Sommelet ; après un vague salut de courtoisie,
il démarre aussitôt sa visite dans l'unité de Réanimation toute
proche ; ce sera chaque matin, à la même heure exacte le même
rituel, Assistant, Internes, tous présents et placés sous le regard
inquisiteur du maître, dans une attitude d'écoute attentive et
silencieuse pour se réserver à n'intervenir qu'à bon escient ou à
sa demande. Et gare à qui se glisserait dans la cohorte avec retard,
aucune justification n'étant de mise à ses yeux ; une fois,
l'un de nous qui crut bon donner en guise d'explication avoir
travaillé l'essentiel de la nuit précédente se vit répondre
sèchement -« Ce n'est pas la Poste, ici ! »...
Effectivement, elle
ne tenait rien d'un bureau de poste cette grande clinique flambant
neuve, en service depuis deux ans seulement. C'est peu dire qu'elle
tranchait par sa modernité avec le style Monument Historique de
l'Hôpital Central et ses annexes. Curieuse histoire que celle de sa
genèse.
Elle fut conçue
et construite en toute indépendance du CHR pour solutionner des
besoins en orthopédie et traumatologie que ce dernier était
incapable à satisfaire. Indépendance par le site choisi, au cœur
de Nancy, rue Hermitte, et donc loin de l'avenue de Strasbourg, et
encore davantage de la future implantation du CHU à Brabois.
Indépendance par le choix de l'instance qui en assurera à la fois
le financement, la maîtrise d'ouvrage et la gestion future, à
savoir la CRAM (Caisse Régionale d'Assurance Maladie) de Lorraine ;
pour son fonctionnement, existe un Directeur Administratif placé
théoriquement sur un pied d'égalité avec le Pr. Sommelet, qualifié
de Directeur Technique. Hormis les Internes liés contractuellement
au système hospitalier public, les autres personnels bénéficient
des statuts plus avantageux propres à la Sécurité Sociale. Le
concept initial visait à organiser sous l'égide de l'organisme
payeur, la S.S., une sorte de « trauma center »
ostéo-articulaire en lien avec la chirurgie orthopédique réglée
pour rester fidèle au modèle français, très éloigné de ce fait
de l'allemand. Strasbourg, sous l'impulsion du Pr. Kempf, produira
dans le même temps une réalisation de ce type mais plus aboutie :
à titre d'exemple, on y trouvera une unité de radiologie vasculaire
et elle intégrera les chirurgies du rachis et de la main
contrairement au modèle nancéien.
Les architectes
ont voulu donner au bâtiment une allure de paquebot. Les niveaux
inférieurs regroupaient les locaux techniques ( consultations,
radiologie, rééducation...) et administratifs. Le bloc opératoire
se trouvait au premier étage sur le même palier que le bureau du
Patron, le secrétariat, la réanimation : le cœur du navire.
Le besoin d'innover à tout prix s'est curieusement concrétisé dans
la configuration donnée aux salles d'opérations : des allures
de bunkers semi-sphériques, les voûtes incluant une série de gros
spots, tels des hublots, disposés pour concentrer leurs faisceaux
lumineux sur la table d'opération au centre de l'espace ;
l'époque étant aux missions Apollo, on aurait pu se croire dans une
capsule spatiale en plus grand à moins que l'imagination stimulée
par ces lieux ne ramène à celle de J. Vernes dans sa création du
Nautilus avec le Capitaine Némo à la barre. Les utilisateurs
constateront rapidement combien l'originalité du design a primé sur
le côté fonctionnel, à commencer par l'éclairage qui devra se
soumettre à l'ajout de scialytiques conventionnels.
Quatre étages
étaient destinés à l'hospitalisation ; le dernier dit « le
cinquième » se trouvait réservé aux malades septiques, comme
si on souhaitait les cacher en les éloignant le plus possible du
cœur du système : il est vrai que pour beaucoup ils
symbolisaient un échec mal venu d' une des plus nobles chirurgies
qui
soit. Les chambres, à un ou
deux lits, les espaces de soins, étaient lumineux et d'un confort
inusité pour l'époque. Autre concept passant alors pour très
innovant : des lits au sommier articulé et servant aux
déplacements des malades, lesquels n'avaient pas lieu de connaître
de transbordements pénibles pour se rendre tant au service de
radiologie qu'en salle de plâtre ou au bloc opératoire. Que de
modernités contrastant avec les services antérieurement
fréquentés ! Enfin, le pont supérieur était occupé par une
cafétéria s'ouvrant sur une terrasse où l'on pouvait prendre l'air
ou le café tout en bénéficiant d'un joli coup d'oeil sur la ville.
Le
Professeur Sommelet
Le maître à
bord, incontesté, incontestable. A la fois Patron de la Clinique et
titulaire de la chaire d'Orthopédie à la Faculté, il dominera la
spécialité pour plusieurs générations d'Externes, Internes et
Assistants. Il est vrai que pour mener un tel bâtiment, la main
tenant la barre doit être ferme, déterminée sur les caps à
suivre ; il n'avait alors pour le seconder en qualité de
chirurgien senior qu'un seul Assistant Chef de Clinique, en attente
d'agrégation, D. Schmitt ; sa présence effective en première
ligne et au quotidien ne s'imposait que davantage.
Avec le même
regard bleu, autant il savait paraître affable et charmeur en
société -ses succès auprès de la gente féminine en attestent-,
autant il pouvait se montrer cassant et d'une exigence intraitable
avec ses collaborateurs ; plus que respecté, il était craint,
et ceci à tous les étages et à tous les échelons.
Après son
passage en Réa., sa visite matinale se poursuivait par celle d'un
étage d'hospitalisation. Il était de l'intérêt de l'Interne en
ayant la charge de peaufiner sa connaissance des dossiers, de ne rien
ignorer de l'histoire comme du stade d'évolution de ses patients,
d'avoir sous la main les bonnes radios et les derniers examens ;
sachant que la curiosité du Patron ne l'invitait pas qu'à regarder
les draps, il avait avantage à s'assurer de l'efficience et la
qualité de la pose d'une traction, de ce que les appareils plâtrés
et les pansements répondissent strictement aux canons exigés, et en
conséquence à remédier à temps à ce qui devait l'être .
Malgré les précautions prises, son intuition ne tenait pas du
hasard pour débusquer l'anomalie inaperçue, le vice caché, « un
loup »...L'Externe connaissait sa part de stress lorsqu'il
exigeait « le document » -la feuille d'observation-,dans
l'attente de ses commentaires publics comme à guetter ses silences
pour interprétation.
Lorsqu'on dépistait
un malade présentant un problème susceptible de provoquer son
courroux, s'offraient deux solutions ; la première était de le
soustraire à la visite au prétexte d'un examen complémentaire ;
la seconde consistait à solliciter sa rencontre, de préférence en
tête à tête dans son bureau, pour lui faire part du souci en
cause, surtout s'il était consécutif à une gestion inappropriée
du patient ; il appréciait en règle la démarche et au besoin
savait se montrer rassurant et donner le bon conseil.
Dire que la
qualité de ses visites tenait à celle ce son humeur est une
évidence. S'y ajoutait parfois une dose de mauvaise foi ou de
prévention plus ou moins justifiée à l'égard de certains ;
je me souviens de l'une d'elles, où, poussant la porte de la
première chambre, celle-ci émit un grincement qui le contraria
vivement ; c'était à l'étage de P. Colombel, un type charmant
(futur urologue) mais qui ne figurait pas dans ses bons papiers
-allez savoir pourquoi- ; la suite, d'un bout à l'autre, tint
de l'enfer pour lui.
La
visite terminée, le travail opératoire pouvait commencer.
L'opérateur entrant en salle n'avait plus qu'à inciser . Tout
était prêt : malade endormi, calé sur la table dans la
position adéquate, champs posés et jersey collé sur le site
opératoire, instruments sortis des boîtes et rigoureusement rangés
sur la table-pont ou l'assistant muet selon leur nature et leur ordre
d'utilisation ; et l'instrumentiste prête à glisser le
bistouri dans la main à peine tendue du chirurgien ! Car toutes
les interventions étaient instrumentées. Un modèle d'efficacité
et d'organisation qui donne à rêver de nos jours...Le Patron et D.
Schmitt avaient chacun leur instrumentiste dédiée (ce qui ne
pouvait être le cas pour les Internes –et sans inconvénient pour
eux). De toujours, le premier était secondé par Mlle Seitz ;
grande, mince, austère, vieille fille, son univers semblait se
restreindre depuis toujours au service du Maître auquel elle était
dévouée avec une fidélité de chienne d'aveugle ; en
contrepartie,il lui rendait bien mal son dévouement par un
comportement à son égard odieux à maintes reprises : le
regard qui fusille quand ne tombe pas dans sa main à l'instant
précis l'instrument attendu, la pince jetée méchamment si elle ne
convient pas, l'apostrophe blessante quand ce n'est pas un vigoureux
coup de pied dans les tibias.. ! Quand l'ambiance était à
l'orage, il va sans dire que les aides se tenaient cois, concentrés
sur leurs écarteurs.
Autre cible
récurrente de sa vindicte : l'Anesthésie, régie sous
l'autorité du Dr. Bouchet, seul médecin-anesthésiste attitré de
la Clinique, secondé par quelques CES et infirmières
aides-anesthésistes. Un garçon on ne peut plus sympathique, dévoué
et compétent. L'anesthésie générale restait la règle pour ne
laisser qu'une place restreinte aux anesthésies régionales.
« Bouchet, ça
saigne ; faites quelque chose ! ». Le ton était
donné, la mise sous tension amorcée.
Un matin, le geste
programmé consistait à un abord du rachis lombaire pour Mal de
Pott. L'incision de lombotomie pratiquée, son bistouri s'arrêta au
plan aponévrotique : « ça saigne » ; quelques
minutes d'attente dans un silence absolu ; puis, retirant le
champ de tamponnement, inspection du site ; et sans un mot, à
la stupéfaction générale, il referma la plaie et s'en alla.
Quelles explications il donna au malade et ce qu'il advint de ce
dernier : mystère.
Etre Professeur
implique aussi d'être un enseignant, et idéalement un Maître
d'Ecole. En Chirurgie, l'enseignement se fait d'abord par l'exemple :
montrer ce que l'on fait, comment et pourquoi. A l'élève d'en tirer
le meilleur profit ; de faire preuve de sens critique tout
autant.
Première
leçon en chirurgie orthopédique : se soumettre de manière
absolue aux exigences de l'asepsie la plus rigoureuse, à commencer
par une discipline et une attention constantes dans le respect de
règles qui s'imposent également à tous.
Participer aux
interventions du Pr. Sommelet permettait de s'imprégner de sa
rigueur gestuelle et son esprit méthodique dans l'action. Il n'a pas
manqué d'inculquer à ses aides ses deux craintes permanentes :
l'hématome post-opératoire et les risques sur la vitalité de la
peau et des parties molles. La hantise en arrière-plan se nomme
infection : en font le lit la collection non drainée, la
désunion cutanée, la nécrose tissulaire ; l'infection qui
touche l'os, un implant, est plus qu'une complication : c'est
comme l'annonce d'une catastrophe, avec des décisions difficiles à
la clé, des résultats aléatoires du fait d'évolutions incertaines
à maîtriser. Ce qui était vrai alors l'est toujours autant
aujourd'hui. A la base : s'atteler à une hémostase rigoureuse,
veiller à dépérioster l'os au minimum, écarter les muscles avec
douceur en plaçant au bon endroit les bons instruments, utiliser les
bons plans de clivage ; la pratique du « non touch »
vient en complément par l'interdit qu'on s'impose de tout contact
direct de l'os ou des implants avec les doigts pour ne les manipuler
qu'à l'aide d'instruments dédiés : une philosophie à
transcrire dans la gestuelle pour qu'elle devienne une habitude.
La stratégie
d'utilisation des anticoagulants dans la prévention de la maladie
thrombo-embolique était source de désaccords fréquents entre
prescripteurs. Pour sa part, son inquiétude face à l'hématome
concurrençant celle moins palpable de la thrombose veineuse, il
restait fidèle à des posologies minimales d'anticoagulants
introduits de manière différée après le geste opératoire ;
il se méfiait de l'héparinothérapie sous-cutanée ( les HBPM
restaient à inventer) que commençait alors à apprivoiser le monde
chirurgical. La phlébite et l'embolie pulmonaire n'étaient pas
rares de ce fait.
Changer de côté
est un autre moyen pour apprendre : l'aide devient opérateur
principal et vice-versa. Il était peu adepte de cette solution ;
pour ce qui me concerne, je n'en bénéficiai qu'une seule fois,à
l'occasion de ma première implantation de prothèse de Moore (pour
le traitement d'une fracture du col du fémur). De la pédagogie, il
en avait ; de la patience aussi, mais à condition de pas
abuser...
Les staffs de
la Clinique étaient renommés ; à cette époque, le Patron et
D. Schmitt se chargeaient personnellement des exposés, documentés
de cas concrets. Des intervenants extérieurs réputés étaient
régulièrement sollicités. En conséquence, nombreuses étaient les
personnes extérieures à la Clinique à venir tirer profit de ces
réunions ; j'en serai un fidèle participant tout le temps de
mes années nancéiennes.
Pour ce que j'en
ai connu, le Pr. Sommelet n'était guère enclin à pousser ses
élèves à publier et à se faire connaître. Ainsi, à ma demande
pour un sujet de thèse,il me proposa d'exploiter une série de 200
méniscectomies, nécessairement par arthrotomie (l'arthroscopie
viendra plus tard), à 15 ans au plus long recul ; ce travail
me demanda deux ans. Il
accorda l'imprimatur sans avoir lu ne serait-ce qu'une partie du
manuscrit -pas le temps-; à aucun moment de son élaboration je ne
pus bénéficier de ses avis et conseils. Je ne connus son opinion
qu'au jour de la soutenance, le 16.10.1972 ; il en dit du bien à
ce qu'il m'a semblé, me proposant même pour un prix de thèse.
Quant à l'exploitation de ce travail pour une publication dans une
revue d'orthopédie, son entregent fut impossible à obtenir ;
en revanche , par l'entremise de F. Boileau devenu Assistant à
la Clinique, je produisis un article dans la Revue de Médecine du
Sport. Une vingtaine d'années plus tard, il servit d'outil de
comparaison à J. Delfosse pour mieux démontrer les bénéfices et
avantages de la méthode arthroscopique par rapport à la technique à
ciel ouvert. Il fut même cité, comme une référence très
éloignée, dans une excellente thèse soutenue à Grenoble le
6.10.2003 consacrée à l'imagerie ménisco-ligamentaire moderne du
genou, dont l'auteur se nomme Jean-Noël Ravey ; merci pour
cette délicatesse !
A propos de la
Traumatologie
La Traumatologie
faisait à cette époque partie intégrante de l'activité normale
des services de Chirurgie Générale, encore largement majoritaires
sur le territoire national, y compris dans nombre d'établissements
hospitalo-universitaires ; les chirurgies orthopédiques chez
l'adulte étaient réservées à quelques spécialistes isolés ou
groupes restreints (les arthroplasties étant loin de connaître la
diffusion actuelle). La création de la Clinique rue Hermite
s'intégrait dans un mouvement de reconnaissance des chirurgies
ostéo-articulaires comme ayant suffisamment de spécificités pour
mériter leur individualisation ; il faudra moins de deux ou
trois décennies pour assister à l'éclatement du domaine de l'
« orthopédie-traumatologie » en multiples
hyperspécialités : la main d'abord (où Nancy fut pionnière
grâce au Pr Michon), puis le genou, la hanche, le pied, l'épaule,
le rachis,etc...Ceci étant, aux premières années d'existence de la
structure, une petite part de chirurgie non orthopédique était
maintenue, ne serait-ce que par la réputation du Patron dans des
domaines tels que celui des thyroïdectomies ; me concernant, je
me souviens avoir effectué une appendicectomie sous le regard de mon
frère Denis alors en stage à la Clinique et y avoir même pratiqué
une cure de prolapsus !
La place de
l'ostéosynthèse dans la stratégie du traitement des fractures
restait mal définie, le Patron étant réticent à son développement
en raison des risques cutanés et infectieux tant redoutés ; en
fait, le même flou traversait la majorité des écoles orthopédiques
françaises. Le principe général était de la réserver soit aux
cas où elle était manifestement incontournable, soit après échec
d'une tentative orthopédique loyale ; et encore, se limitait-on
dans ces derniers cas à des gestes a minima avec des broches plus ou
moins astucieusement placées, tenant davantage du bricolage de
rattrapage que de la synthèse stricto sensu. En d'autres termes,
étaient toujours très actuels dans le service les préceptes de
Boehler, grand maître de l'école orthopédique autrichienne du
milieu du 20ème siècle, ou comment mener des réductions-plâtre
selon les normes de l'excellence ; l'Interne les ignorant ne
manquait pas de bénéficier des remontrances publiques lors de la
visite patronale !
En pratique,
l'ostéosynthèse était normalement admise d'emblée aux membres
supérieurs pour les fractures de l'olécrane et diaphysaires des os
de l'avant-bras (les coapteurs de Danis étant réservés à cette
indication) ; pour le reste, elle était hors sujet. Aux membres
inférieurs, les fractures du fémur concentraient l'essentiel des
indications d'ostéosynthèse : clou-plaque de Mac Laughlin pour
les pertrochantériennes, boulon-plaque de Lallemand pour les
fractures basses, enclouage-alésage à foyer fermé de Kuntscher
pour celles du tiers moyen ; la satisfaction donnée par cette
dernière technique invitait à son extension progressive aux
fractures de la partie moyenne du tibia. Les amplis de brillance, du
dernier modèle, crachaient abondamment leurs rayons à longueur de
journée sans que l'on se montrât bien stricts sur les moyens de
protection.
L'absence de ligne
directrice vraiment précise et cohérente en traumatologie osseuse
était un fait commun à la majorité des écoles orthopédiques
françaises, aucune n'étant vraiment en pointe sur la question et
les désaccords entre elles nombreux. Ainsi, l'école de Garches,
sous la férule de R.Judet, ignorait tout ce qui n'était pas des
systèmes de plaques et fixateurs externes de sa propre conception ;
l'enclouage centro-médullaire était de ce fait systématiquement
banni. L'école parisienne concurrente de Cochin, sous l'autorité de
Merle d'Aubigné puis de Postel, semblait ne s'intéresser que de
loin au sujet, acceptant l'enclouage mais sans alésage, hésitant
quant au choix des plaques entre le matériel normalisé français
Maconor et celui de l'A.O. : cette dernière abréviation pour
signifier Association Suisse pour l'Ostéosynthèse.
En fait, par l'A.O.,
l'école suisse était en train de révolutionner l'ostéosynthèse,
une révolution qui commençait à gagner l'hexagone via ses marches
de l'est. A la Clinique on avait fait le choix du matériel issu de
ses travaux, mais sans vraiment connaître la philosophie et les
concepts élaborés par les promoteurs.
Je m'offris l'année
suivante d'aller suivre le cours dispensé à Davos sur les principes
et méthodes d'ostéosynthèse selon l'A.O. Comme tous les
primo-participants, je fus impressionné, pour ne pas dire sidéré,
par la rigueur et le haut niveau de l'enseignement, comme dispensé
avec un prosélytisme et une foi propres à une religion nouvelle.
Les convictions animant les orateurs leur donnait un côté
missionnaire ; c'était à tel point que leur société semblait
s'apparenter à une église dont le pape était Maurice Muller, ses
saints acolytes Allgöwer, Weber, Schneider....,et ses prêtres
divers doctorants en biomécanique, métallurgie appliquée, et
chirurgiens répartis dans les principaux hôpitaux de la
Confédération.
L'idée princeps
reposait sur la capacité démontrée d'une consolidation primaire
des fractures sans obligation de passer par le cal périfracturaire
primitif remodelé en cal secondairement définitif, processus
habituel de consolidation à la faveur des traitements à foyer
fermé, qu'ils soient sanglants ou non. A cet effet trois conditions
absolues sont requises : affronter des tranches osseuses
vascularisées, selon un contact le plus étroit et le plus strict, à
l'aide de moyens de fixation suffisamment rigides pour éviter tout
micro-mouvement parasite. L'objectif se résume à une expression :
obtenir un montage parfaitement stable ; cette garantie pour
une bonne consolidation se double de l'absence d'intérêt pour toute
immobilisation plâtrée complémentaire, autorisant de ce fait une
rééducation précoce. La compression interfragmentaire revenait
comme un leitmotiv des penseurs de l'A.O., de sorte que les matériels
et les techniques de pose avaient été élaborées en conséquence .
Chaque concept avait été soumis à des études théoriques puis
expérimentales selon des méthodologies scientifiques se voulant
irréprochables . Il apparaissait que les pratiques nancéiennes,
même énoncées sous les allures de dogmes intangibles, tenaient
souvent de l'intuition ou de l'approximation, difficilement
opposables au système de preuves cher aux orthopédistes helvètes.
Après la théorie, passage aux travaux pratiques sur os
synthétiques ; il n'y était question que de forces de traction
et pression, de vis et plaques à effet de compression ou
neutralisation, de forages et taraudages de calibres bien spécifiés,
de trous avec ou sans effet de glissement,etc... L'usage de
moteurs et de matériels ancillaires innovants faisait également
partie du plaisir de la découverte. Restait donc à s'imprégner des
bons gestes selon la bonne chronologie et des règles n'autorisant
pas la discussion... puisque chaque étape avait été pensée à
l'avance et chaque cas de figure avait sa solution ; pour s'en
souvenir le conseil était donné d' acheter le manuel abondamment
illustré de l'A.O ! Il n'y avait plus qu'à façonner sa propre
expérience à partir de ces nouvelles bases.
Je sortis ébranlé
de ce passage dans la capitale de l'A.O., lequel se renouvellera à
plusieurs reprises dans les années suivantes. Etait en effet remise
en cause une part des enseignements jusqu'alors reçus par la
rationalité imparable de celui émanant de la communauté
orthopédique suisse. Il me restait à m'adonner à un travail de
sélection pour un partage entre les données à conserver comme
intangibles et celles méritant la relativisation ou la contestation.
J'en sortis aussi
rassuré par la démonstration faite à ma propre intuition qu'il n'y
avait aucune raison pour que la rigueur scientifique ne s'appliquât
pas aussi à l'univers chirurgical. Celle-ci, adossée tant aux
exigences morales, éthiques que dans la pratique opératoire,
pouvait s'offrir comme un modèle de vérité ; de cette
première idée s'en suivit une autre, alimentant un doute jusqu'à
devenir une certitude, à savoir qu'en Chirurgie, -et peut-être pas
seulement-, il ne saurait y avoir de vérité unique et absolue ;
l'expérience au fil du temps sera là pour démontrer que la vérité
d'un jour peut devenir hérésie le lendemain !
J'en sortis enfin
conforté dans l'idée selon laquelle se former à la Chirurgie c'est
aussi aiguiser son sens critique tant en questionnant et se
questionnant, qu' en faisant preuve de curiosité pour ce qui se fait
ailleurs ou autrement : en quelque sorte, se faire sa propre
religion à partir des préceptes émanant de différentes
chapelles ! Plus largement, il s'agit de s'interroger sur ce
qui définit un progrès à suivre, à distinguer des effets de mode
passant pour de la modernité. En abordant ces questions, l'Interne
d'alors tenait sans trop le savoir encore l'extrémité d'un fil
rouge qui traversera sa carrière de chirurgien d'un bout à l'autre.
A propos
de l'Orthopédie
A considérer dans
le sens de la Chirurgie ostéo-articulaire à froid, en contraste
avec celle menée à chaud -en aigu-, en traumatologie
essentiellement.
Pour faire simple,
on peut la voir en deux grandes entités :
1- La Chirurgie réparatrice
des suites de fractures et entorses qui évoluent mal. Figuraient
alors en tête les rançons des traitements conservateurs -non
opératoires- d'indication trop extensive ou au suivi insuffisant,
avec leurs cohortes d'insuffisance de consolidation, de cals vicieux,
troubles trophiques...Ensuite, on avait droit aux problèmes
consécutifs à des synthèses utilisant des matériels peu
performants ou mal posés, causes de « débricolages »,
obligeant à des reprises jamais simples. Enfin le pire des
difficultés revenait aux infections osseuses, expliquant la prudence
du Patron face aux ostéosynthèses pas toujours menées par des
mains expertes, et justifiant l'existence du « 5ème ».
Ces thèmes restent tout aussi valables de nos jours, en espérant
qu'ils soient moins fréquents et graves qu'à l'époque dont je
parle !
2- La Chirurgie des lésions
dégénératives dues aux effets du temps ou de l'inflammation
chronique sur les articulations constitue un chapitre à part. Pour
faire court, les possibilités se limitent au nombre de trois groupes
de méthodes :
les arthrodèses, visant
à bloquer définitivement l'article malade.
les ostéotomies, visant à
réorienter les structures articulaires pour une biomécanique
améliorée, soucieuse d'une meilleure harmonie dans la répartition
des contraintes.
les chirurgies de
remplacement articulaire par prothèses.
Pour faire sobre,
limitons nous au genou et à la hanche.
Au Genou, au
début des années 70, l'arthroplastie en était à ses
balbutiements, représentée principalement par les prothèses à
charnière type Shiers ou Guepar ; solidarisant trop intimement
pièces fémorale et tibiale, les descellements ou fractures sous
tige étaient quasi inévitables tôt ou tard et ne pouvaient figurer
l'avenir. La période qui s'ouvrait sera aussi celle du développement
des prothèses uni-, bi-, et tricompartimentales, se voulant au plus
proche de l'anatomie et la physiologie du genou normal autant par un
resurfaçage indépendant des épiphyses opposées tibiale et
fémorale que la recherche de l'équilibre ligamentaire optimal. ;
une chirurgie qui se démocratisera peu à peu pour atteindre son
développement actuel, et sous l'impulsion dominante des chirurgiens
et fabricants anglo-saxons.
De ce fait, pour
contrer le développement de l'arthrose, l'arsenal thérapeutique
d'alors se concentrait sur les ostéotomies correctrices d'anomalies
d'axes de façon à redonner à l'interligne son orthogonalité sur
l'axe mécanique du membre inférieur ; sur de grandes radios,
le jeu consistait à tirer des traits avant de jouer du rapporteur
pour prévoir, au degré près en principe, l'épaisseur du coin
osseux à soustraire ou ajouter pour la correction idoine. Ne restait
qu'à prescrire des cannes et des anti-inflammatoires aux cas non
justiciables de ces indications ; précisons que cette ressource
thérapeutique a toujours sa place de nos jours, mais moins extensive
qu'au temps où l'arthroplastie passait pour une chirurgie
d'exception.
S'agissant des lésions
ligamentaires du genou, le rôle capital des croisés formant pivot
central n'était pas encore bien compris ; c'est aussi à cette
époque que l'école lyonnaise de Trillat avec ses élèves Dejour,
Bousquet, Lerat,etc...développait ses travaux sur le sujet,
transformant la compréhension de la physiopathologie de ces lésions
et débouchant sur les concepts de ligamentoplastie, un domaine
encore mouvant de nos jours. Ignorant alors ces futures nouveautés,
le renforcement isolé des structures périphériques dans les
instabilités du genou ne pouvaient que donner des succès limités
et de courte durée.
A la hanche
Les chirurgies
conservatrices par ostéotomies hautes du fémur ou butées
cotyloïdiennes afin d'améliorer la congruence tête-cotyle étaient
discutées en première intention ; la prothèse totale ne
s'invitait qu'au défaut de pouvoir appliquer les unes ou les autres
comme solutions.
En 1970, le choix
en matière d 'arthroplasties totales était restreint, toutes
ne manquant pas de faire appel à la cimentation acrylique comme
moyen de fixation. D'un côté figuraient les modèles métal (pièce
fémorale)-polyéthylène (pièce cotyloïdienne), soit selon la
forme originale de son inventeur, sir Charnley (première pose en
1959), soit selon les modifications apportées par M. Muller,-encore
les Suisses de l'A.O.- ! L'alternative résidait dans le couple
de friction métal-métal, le prototype étant la prothèse de Mac
Kee-Farrar (1954) ; c'était le modèle posé alors à la
Clinique, modifiée Postel par l'ajout de deux bandes de glissement
dans la cup ; elles étaient assez simples à poser, d'autant
que le nombre de tailles d'implants étaient fort limité, le ciment
ayant pour mission de les fixer à l'os autant que d'assurer le
comblement des espaces ; elles avaient l'inconvénient fâcheux
d'être à l'origine de phénomènes d'usure causes de descellements
en raison d'une métallose diffusée à l'os et aux parties molles
diabolique ! Les reprises s'avéraient d'autant plus complexes,
aboutissant maintes fois à la dépose des implants pure et simple,
pudiquement appelée opération de Girdlestone...
Le Pr Sommelet
finira par abandonner cette prothèse quelque temps plus tard.
Envisageant de se tourner vers celle de Muller, j'eus la surprise de
le rencontrer comme simple participant tout comme moi à un cours de
chirurgie prothétique à Berne ; je le vis aux T.P.,en voisin
de table, s'astreindre comme tout un chacun à préparer
consciencieusement son fémur avant que d'y sceller une tige, et ce
sous le regard sévère du maître des lieux, M. Muller. Je ne
croyais pas cette forme d'humilité possible chez lui. Pour sa part,
il orienta sa propre recherche vers les prothèses intermédiaires à
double mobilité, aujourd'hui abandonnées dans la coxarthrose, mais
toujours d'actualité pour traiter les fractures cervicales vraies du
fémur. Quant à D. Schmitt, il évolua vers une prothèse
réhabitable, c-à-d sans ciment, sur les pas de G. Lord et R. Judet,
mais avec un design cotyloïdien très économe au plan osseux
comparativement aux modèles proposés par les deux maîtres
parisiens.
Comme tous les
orthopédistes de ma génération j'eus à m'interroger au fil du
temps sur le bon choix prothétique, sachant que les résultats se
jugent à 10, 15, 20 ans .L'usage du titane comme matériau
réhabitable a été une autre révolution, comme celui des
céramiques d'alumine pour les couples de friction. Mais combien de
tâtonnements, sans être jamais sûr que le choix opéré sera
définitivement le meilleur !
Réparer les dégâts
des os : une noble ambition au service d'une belle chirurgie.
L'avoir dans l'os est le
comble du Chirurgien Orthopédiste ; rogner son os son
quotidien ; l'avoir dans l'os sa hantise.
Chanson
de Sommelet (Air : « Mes
mains sur tes hanches ». Adamo)
Mais
si, je fais encore des hanches
Ne
faites pas ces yeux furibonds
Oui, je
l'ai eue ma revanche
Je suis
plus malin que le fils Michon.
J'suis
pas fâché d'avoir mon Centre
Il a
coûté assez d' millions
Même si
ça vous fait mal au ventre
C'est
moi le mieux logé des patrons.
J'ai
démissionné bien des fois
Mais
maintenant je suis le roi.
Je suis
le gérant du grand hôtel
Et j'y
prépare ma clientèle.
Oui
j'suis le gérant du grand hôtel
Mais
j'n'y remplis pas mon escarcelle.
Mais, je
fais encore des hanches
Ne
faites pas ces yeux furibards.
Oui, je
l'ai eue ma revanche
Je suis
plus malin que le fils Vichard.
Dans le
service que j'ai connu
C'est un
peu ça que je cherchais.
Quand
enfin j'ai eu la Sécu
Moi je
tremblais, je comprenais
Qu'elle
était sortie d'une fable
Pour
venir habiter mon rêve
Et ce
serait bien regrettable
Que
bêtement Michon en crève.
Oui, ce
serait bien regrettable Mais si, je fais encore
des hanches
Que le
fils Vichard eut la fève Ne faites pas ces yeux
furibonds.
Oui, je l'ai eue ma
revanche
J'ai bien baisé
tous ces couillons.
(Revue
1968)
Service
des Voies Urinaires
Plus
couramment alors appelé « les
V.U. » ;
l' Urologie d'hier.
Premier Avril
1971 . Changement du tout au tout, et ce n'est pas un poisson
d'avril : passage du dur au mou, et même au liquide ;
retour dans un décor qui ne sent pas le neuf ; autre univers,
autres façons de travailler, autres modes relationnels avec le
Patron, le Pr. Guillemin, Paul pour les intimes.
Les lieux
d'abord. Le semestre à venir implique la réintégration à la
maison-mère, l'Hôpital Central, dans l'aile occupée aux étages
supérieurs par les Chirurgies ORL et Maxillo-faciale. En
conséquence, retour au modèle salle commune et grands couloirs ;
une peinture pisseuse (logique aux V.U.!) en habille tristement tous
les hauts murs, y compris ceux des deux salles d'opérations et de la
pièce réservée aux explorations radiologiques. Seul le local
destiné aux consultations avec ses trois box échappe à ce vert
désespérant, ce qui, du coup, lui conférerait une allure presque
sympathique.
Le personnel
médical se résume alors au Chef de Service et deux Internes. Le
poste de Chef de Clinique se trouve vacant depuis le départ dans le
privé de R. Parietti, qui garde cependant un pied dans le service en
qualité d'Attaché. En d'autres termes, le rapport direct entre le
Patron, seul spécialiste à temps plein en ces lieux, et ses
« jeunes collaborateurs » sera permanent et son contrôle
direct sur eux constant. Homme affable, amateur de cigarettes
américaines, il est de contact facile, volontiers disponible ;
des qualités d'autant plus nécessaires qu'il se trouve secondé par
deux personnages ayant tout à apprendre de la spécialité,
c'est-à-dire n'en connaissant rien d'autre que les quelques notions
théoriques contenues dans les questions d'Internat.
L'Urologie
est par essence une discipline chirurgicale très instrumentale.
Leçon n°1 :
apprendre les subtilités du toucher rectal, en s'en remettant aux
sensations issues du bout de l'index ; un bon toucher -du doigt-
est le fondement premier de l'examen urologique !
Leçon n°2 :
descendre avec élégance et sans heurt le cystoscope, avant
d'inspecter, l'oeil collé à l'optique, l'intérieur vésical
quartier par quartier, question de repérer selon une topographie
inspirée des cadrans d'horloge ce qui cloche ; déceler
l'anomalie plus ou moins attendue, guetter le polype ou la tumeur
localisée ne sont pas aussi simples que pourrait le croire le non
initié. Le coup d'oeil de l'urologue joint à son habileté de jouer
de cet instrument tient de l'art, un art qui n'a rien d'intuitif pour
relever d'un savoir-faire éprouvé.
Leçon
n°3 : sous contrôle endoscopique, viser à 5 et 7 heures les
méats urétéraux plus ou moins cachés dans un repli trigonal afin
d'y glisser une sonde de Chevassu pour une UPR (opacification
rétrograde des uretères) ou monter une sonde en direction du
bassinet rénal pour pallier à un blocage, par calcul le plus
souvent, par tumeur parfois : il en faut des tentatives avant
que d'être régulièrement performant ! Rappelons qu'au plan
diagnostique, à cette époque, il n'y a ni scanner ni échographie ;
restaient donc pour cerner les problèmes, outre la clinique et
l'urétro-cystoscopie, l'UIV (urographie intra-veineuse), l'UPR et
l'artériographie rénale (pour les tumeurs).
Quant aux actes
instrumentaux opératoires, la résection prostatique par voie
urétrale en étant le prototype, ils restent du domaine du vrai
spécialiste, et en l'occurrence, du Patron. Pour la même raison, il
estimait de son devoir d'assurer les courriers de sortie des
patients, dispensant de ce fait ses internes de ce pensum.
De tous les
maîtres que j'ai connus, le Pr. Guillemin est sans conteste celui
qui s'offrait le plus volontiers pour jouer les aides opératoires.
Et Dieu sait qu'il ne devait trouver guère de plaisir à tirer sur
les valves pendant que l'Interne recherchait avec plus ou moins de
facilité ou de bonheur l'uretère niché sous le péritoine au fond
de la lombotomie, ou bataillait dans la perspective d'extraire un
rein rendu dangereux par la tumeur qu'il porte ou la masse de pus
qu'il contient jusqu'à le détruire. Je garde pieusement tel un
trophée un calcul vésical de la taille d'une orange qu'il me laissa
extirper tandis qu'il tirait sur les berges vésicales.
Il concéda
jusqu'à appendre à ses internes à retirer les adénomes
prostatiques par voie haute, et selon la technique classique de
Freyer, une technique à l'aveugle et tout en toucher : à la
faveur d'une courte ouverture vésicale par voie sus-pubienne, il
s'agit, sous le contrôle rectal de l'index gauche, de procéder de
l'index droit, main dégantée pour ce temps pour un meilleur tact, à
l'ouverture de la commissure urétrale antérieure puis à trouver le
plan de clivage entre l'adénome et le reste des tissus prostatiques
et le suivre jusqu'à extraction de la tumeur ; dans ce geste
tout en contact entre tissus de teneur différente, le jeu alterné
de la pulpe et du dos du doigt via son ongle tient de l'art
proprioceptif. Une vasectomie bilatérale (section des déférents.
complète le geste, ayant pour but de parer au risque d'infection
épididymaire ascendante et pour effet accessoire de couper court à
tout espoir résiduel de descendance. L'intervention se conclut par
la pose d'une sonde de Dufour à double ballonnet et double courant
pour un lavage continu ; l'hémostase est davantage soumise au
bon vouloir de la coagulation du patient que de l'effet compressif du
ballon gonflé au sein de la loge d'adénomectomie. Pour les suites
immédiates, on n'insistera jamais assez sur le rôle capital de
Melle Didier, infirmière experte en surveillance du lavage,
adaptation de son débit et séances d'extraction des caillots à la
seringue de Guyon.
Cette chirurgie
urinaire dans la tradition était contestée par la nouvelle
génération, plus soucieuse de gestes réglés, avec contrôle à
vue de ce que l'on fait, et de l'hémostase en premier lieu. R.
Parietti en était le parfait représentant et se montrait de ce fait
très critique sur certaines méthodes opératoires du Patron. D'un
abord plutôt rugueux, c'était un excellent opérateur et bien
que travaillant en solitaire en clinique privée, il osait des gestes
novateurs . Ainsi, mettant à profit certaines techniques
développées dans le cadre des greffes, il publia une méthode
d'auto-transplantation rénale en fosse iliaque après exérèse d'un
uretère pathologique ; sur les mêmes principes il réalisa la
cure d'un anévrisme sur une branche de l'artère rénale par
résection greffe selon une méthode ex vivo, c'est-à-dire rein sur
table .
Mon alter ego
s'appelait Pierre Poisson. Nous nous connaissions déjà, puisque de
la même année de fac, mais aussi par nos mêmes origines
lunévilloises . Nous ne pouvions imaginer alors notre destinée
spinalienne commune ultérieure. Dans la pratique de la chirurgie
viscérale il avait une sérieuse longueur d'avance sur moi . Il
avait su échapper au service militaire pour un service civil comme
coopérant et qui l'avait conduit dans divers hôpitaux africains ;
déjà avide de pratique chirurgicale au long d'un externat surtout
passé comme FFI (faisant fonction d'interne), il y trouva de quoi
satisfaire à la fois sa générosité et sa gourmandise opératoire,
avec comme limites les moyens à disposition.
Plutôt que de nous
partager le service pour une rangée de lits chacun, nous avions
convenu de gérer à chacun notre tour leur globalité par semaines
alternées ; de la même manière, pour les interventions que
nous confiait le Patron, l'un opérait quand l'autre l'aidait, et
ceci à tour de rôle. Ainsi je m'étonnai aux premières fois que je
l'assistai de la façon qu'il avait « à y mettre largement les
paluches » tandis, encore imprégné de ma culture
orthopédique, je le surprenais en les y mettant avec réticence et
économie.
Nous avons eu tous deux le
privilège d'être des toutes premières greffes de rein à Nancy. Il
s'en fit deux au cours de notre temps de présence au service. J'en
garde un souvenir précis, impressionné sans doute autant par le
côté mythique de la transplantation à ses débuts que par le
constat de l'importance des efforts et de l'investissement consentis
par tous les acteurs y concourant.
La première à
laquelle il me fut donné de participer n'était que la seconde
effectuée sous l'autorité du Pr. Guillemin ; autant dire que
tout n'était pas encore idéalement rodé. Dès lors que la
probabilité de la greffe fut annoncée, tout le monde sur le pont.
Commença alors pour tous un même attente ; celle de l'arrivée
sans incident du greffon d'abord, puis de la confirmation des
compatibilités tissulaires, ultime feu vert pour l'entrée en
salle et pour le patient s'apprêtant à devenir receveur, point
de départ annoncé d'une vie nouvelle et point final d'une attente
faite d'espérance redoutée. Alors, chacun à son poste. Le Patron,
maître d'oeuvre, ne fut pas l'opérateur exclusif, mettant même un
point d'honneur à ce que chaque participant réalisât un temps
opératoire ; c'est ainsi que revint au Pr. Frisch (chirurgien
vasculaire), venu aider pour la dissection des vaisseaux receveurs,
le mérite d'effectuer les branchements artériel et veineux ;
pour ma part, il s'offrit de m'aider à la confection de
l'implantation urétéro-vésicale. Exemplaire ! Et quelle
émotion partagée à l'apparition des premières gouttes d'urine à
la levée des clamps ! Nous sortîmes tous éreintés de cette
nuit passée debout, dans une salle ignorant tout de la climatisation
et bénéficiant de plus du rayonnement et de la chaleur émanant de
rampes U.V au noble but de plonger les opérateurs dans une
atmosphère aseptisée. Nous attendait alors une coupe de champagne
méritée, offerte par le Pr. Gross, néphrologue attentionné.
A
5 heures du matin chacun retrouvait sa liberté. L'activité
opératoire programmée reprenant à 8h, était-il légitime de
rentrer se coucher ? Pierre me proposa alors de bénéficier du
canot pneumatique logé dans le coffre de sa voiture pour naviguer
aux lueurs de l'aube sur le plan d'eau de Villers-le-Sec. Sur un
paysage empreint de paix et de silence flottait une légère brume,
une brume s'alliant à celle ayant tendance à envahir l'esprit de
l'un et de l'autre ! Quoi qu'il en soit, à 8h, chacun était
normalement à son poste, comme il se devait et comme ne s'étant
rien passé la nuit précédente.
La seconde greffe
à laquelle je participai se déroula entre donneurs vivants,
une première pour l'équipe
nancéienne. Parietti que j'aidai eut la charge de prélever le rein
du donneur -selon un modèle de dissection tenant de la perfection-
tandis que le Patron officiait dans la salle voisine sur le patient
receveur.
Le succès fut au
rendez-vous de ces deux transplantations rénales, à la hauteur des
attentes des patients greffés comme de la sollicitude des
chirurgiens et des néphrologues, sans omettre celle de Melle Didier,
l'infirmière habilitée à pénétrer dans la chambre stérile dans
laquelle étaient alors confinés les opérés et veillant sur eux
comme sur sa progéniture.
Par une curieuse ironie
de l'Histoire, c'est à la toute fin de mon activité chirurgicale,
en situation quasi officielle de retraité, que je m'intéresserai à
nouveau aux questions de transplantation en ayant à la fois
l'opportunité et le bonheur d'initier au C.H. d'Epinal les
prélèvements d' organes ; ce sera en 2010, un 17 novembre pour
la première.
Chanson
de Guillemin (Air :
« Il est trop tard ». G. Moustaki)
1
Pendant
que j'roupillais
Pendant
que j'somnelais
Y'en
a d'autres qui greffaient.
2
Il
est bien tard Y
me font bien marrer
Oh ! Toi l'Urologie
Avec leur rein greffé
Dont
j'fais l'apologie Alors
que j'me les
roule
Popol
enlève tes gants Y s'creusent
la boule
Tu
n'en as plus pour très longtemps. Y
en a même qui
en suent 3
Moi je n'ai jamais su M'arrive même de penser Popol enlève
tes gants
Qu'les
comas dépassés
Tu
n'en as plus pour très longtemps.
N'ont
vraiment rien changé D'autres
s'en sont chargés
4
Malgré
mon apathie
Pourtant,
je sonde toujours
J'renforce
la dynastie
Même
ceux du Luxembourg
Popol
enlève tes gants Ma
clientèle de nantis
Tu
n'en as plus pour très
longtemps
Est garantie.
Pour
l'enfant que j'ai fait
5
Tout est donc parfait
Pendant que je dormais
Popol enlève tes gants
Pendant
que je rêvais
Tu n'en as plus pour très
longtemps.
Certains
en concluaient
Qu'il
était encore temps.
(Revue
1971)
Service
de Chirurgie C
Octobre 1971. Nouveau
changement, tout en restant dans le registre « mou ». Je
signai pour une année dans ce service spécifiquement dévolu à la
Chirurgie Digestive.
De création récente
dans des locaux anciens au profit du Pr J.Grosdidier, il était né
de la transformation du service de Chirurgie Gynécologique à la
mutation de son chef, le Pr Bertrand, à la tête de celui de
Chirurgie B, un bâton de maréchal pour un personnage en fin de
carrière. Le dit service se situait au sein de l'Hôpital Marin,
hors de l'enceinte de l'Hôpital Central mais proche de lui, n'en
étant séparé que par l'avenue de Strasbourg, face à l'église St.
Pierre.
Une rénovation avait
bien été tentée pour rendre les lieux plus accueillants et
fonctionnels, mais bricoler du vieux ne fait pas du neuf pour autant.
La disposition des salles et chambres d'hospitalisation tenait d'une
sorte de dédale ; certaines connaissaient une division
artificielle en box par de simples rideaux supposant gommer un effet
de promiscuité qui n'en demeurait pas moins. Le sol en parquet
témoignait de l'ancienneté des lieux autant que de la destinée
inappropriée voulue pour ces derniers ; par endroits il était
coupé de petites marches trompeuses, parfois d'une horizontalité
relative, souple et craquant volontiers sous le pas.
Il y avait bien quelques
modestes chambres individuelles, réservées naturellement aux
patients méritant un isolement par leur état ou la nature des
soins. En fait, elles étaient principalement occupées, pour ne pas
dire squattées, par les victimes de suites opératoires
mouvementées . La fistule digestive est au viscéral ce qu'est
l'osteite en orthopédie, la menace vitale en plus. Lorsqu'une
reprise pour ce morif par une nouvelle intervention s'annonçait
impossible ou à trop hauts risques, des traitements conservateurs
longs et aléatoires étaient tentés, visant à obtenir une
cicatrisation secondaire du ou des trajets fistuleux ; à cet
effet, en plus d' une nutrition parentérale prolongée, les patients
étaient soumis à des soins locaux complexes associant à une
protection cutanée rigoureuse face à la causticité des sucs
digestifs un système d'aspiration-lavage pour leur neutralisation
(méthode dite de Trémolières).
Ici l'opéré-type se trouve
semi-assis dans son lit, rendu immobile par une perfusion délivrant
un précieux goutte à goutte, une sonde gastrique d'aspiration
inconfortable mais essentielle, et un ou des drains sortant de
l'abdomen reliés à des flacons posés au sol. La bonne nouvelle,
c'est le retour des gaz, prélude au retrait des diverses
tuyauteries, annonciateur du passage de la phase post-opératoire
précoce à celle de la convalescence. Quelque soit le viscère objet
de son doigté, qu'il ait agi dans l'urgence ou à froid, le
chirurgien digestif connaît systématiquement la hantise du
lendemain ; dominent l'attente de la reprise du transit
intestinal autant que l'évolution des courbes en bleu et rouge
tracées sur la pancarte fixée au pied du lit, espérant qu'elles ne
glissent vers une pente ascendante plus ou moins anarchique. A côté
des inquiétudes venant du ventre, il y a celles pouvant provenir du
poumon ; la promptitude de celui-ci à l'encombrement après
toute laparotomie le place souvent en situation de victime
collatérale, à moins qu'il ne veuille signifier sa présence par
une capacité de nuisance dont tous se passeraient volontiers !
En chirurgie digestive, tout
oppose apparemment les gestes réalisés en aigu et ceux qui le sont
de manière réglée.
Dans le premier cas,
le chirurgien se trouve confronté à un péril vital plus ou moins
immédiat à surmonter coûte que coûte. L'hémorragie, qu'elle se
fasse dans le tube digestif ou la cavité péritonéale, en est le
premier exemple. Les péritonites, qu'elles soient localisées par
infection d'un appendice, d'une vésicule lithiasique, d'un sigmoïde
diverticulaire, ou généralisées comme par perforation d'un viscère
creux, en constituent un second. Un troisième en est fourni par
l'occlusion intestinale et tout ce qui peut la produire. Autant de
situations qui requièrent de l'opérateur une maîtrise de soi et de
sa technique pour une action rapide, droit au but, sachant qu'il
n'est pas toujours simple de trouver et colmater le point qui saigne,
situer où se collecte le pus, se débattre dans un ventre perturbé
qui sent parfois abominablement la merde et la mort à en donner la
nausée. Dans ces situations dangereuses, l'expérience et la
détermination de l'opérateur sont les meilleurs atouts pour
l'avenir de l'opéré qu'il a entre les mains.
Dans le second cas,
la chirurgie est considérée se faire en « milieu propre »
ou « propre contaminé ». Si le stress y est différent
ou différé, la concentration requise reste égale : disséquer
selon les bons plans, repérer sans les blesser les vaisseaux à lier
ou ménager, conclure par une suture sans tension et manuelle (les
sutures automatiques ne sont pas encore nées tout comme la
coelio-chirurgie), systématiquement en deux plans, tantôt à points
noués directement, tantôt passés avant d'être noués ; et
gare à qui mettrait de la confusion dans les pinces et les fils
soigneusement ordonnancés !
La chirurgie
digestive se passe pour beaucoup dans les profondeurs, comme au fond
d'un puits, où la vision directe doit céder le pas au tact digital,
où la connaissance de l'anatomie se mue en sa perception.
Le Pr Grosdidier était un
pur produit de l'école Chalnot, ayant conservé nombre de
similitudes avec celui qui fut son maître et mentor.
De taille très
moyenne, il avait le physique trapu du judoka qu'il fut un temps. Il
émanait de sa personne une autorité naturelle et une force
tranquille, sans conteste rassurantes mais n'incitant guère à la
contestation.
Il fut un des
derniers à bénéficier d'un statut l'autorisant à la
responsabilité d'un service universitaire à temps partiel ; il
réservait le reste de son activité à Gentilly, dans une clinique
nouvellement sortie de terre, dont la modernité par les
fonctionnalités, le confort, et les espaces offerts renvoyait son
service hospitalier comme étant d'autre siècle ou d'un pays en
développement. Ceci étant, il mettait un point d'honneur à
démontrer qu'il n'en était pas moins un patron à temps complet
tant par sa présence effective quasi quotidienne que le contrôle
qu'il avait sur le fonctionnement du service . Il avait l'art de
placer ses assistants, pourtant de grande qualité, dans une liberté
surveillée qui parfois leur pesait. Légitimement lui revenait le
dernier mot pour les décisions difficiles ; il ne manquait pas
d'assurer personnellement les chirurgies réputées de haute volée,
telles celles portant sur l'oesophage et le pancréas, pour des cas
de pathologie colo-rectale s'annonçant périlleux ou des reprises à
priori laborieuses ; il avait un faible pour les dérivations
porto-caves encore largement effectuées dans le cadre de
l'hypertension portale . Combien de fois ai-je vu ses assistants
piaffer d'impatience ou déçus de ne pas assumer personnellement
certains cas qu'ils estimaient leur revenir.
Les Assistants- Chefs de
Clinique étaient au nombre de deux, Patrick Boissel et Bernard
Richaume. Formés aux mêmes moules et vieux complices, ils étaient
des opérateurs aussi brillants l'un que l'autre, se sortant avec la
même élégance des situations les plus délicates. Aussi bons
cliniciens, aussi cultivés chirurgicalement l'un que l'autre, ils
étaient également faits pour une grande carrière hospitalière.
Somme toute, c'est dans leur façon d'être ou de paraître que se
situait une différence : une forme d'élégance intellectuelle
et de civilité pour le premier, un côté plus rude, oserais-je dire
un peu rustique, dans une tradition chirurgicale classique, pour le
second. Lorsque le Pr Grosdidier dut pousser l'un d'eux pour être
son agrégé avant de devenir son successeur, il se trouva face à
une situation cornélienne qu'il ne sut trop comment trancher.
Finalement P. Boissel l'emporta, son ami allant jouer la suite de sa
avenir dans le secteur privé nancéien.
Les visites bihebdomadaires
du Patron se déroulaient selon les codes issus de la grande
tradition déjà évoquée ailleurs. Dans ce cadre il veillait
notamment à ce que chacun portât en plus de sa blouse le tablier
dit de prosecteur comportant une poche marsupiale servant autant à y
loger les mains que le stéthoscope ou de quoi noter. Et la longue
procession de déambuler dans le dédale des couloirs et autour des
lits, chacun essayant de s'y faire une petite place. Un tel contexte
n'était en fait guère propice aux prises de décision difficiles
pas plus qu'à un authentique enseignement. Les staffs hebdomadaires
trouvaient là toute leur nécessité ; ceux de Chirurgie C
étaient réputés, attirant nombre d'auditeurs extérieurs et
permettant à qui le voulait de présenter tout dossier à la
réflexion et à la sagacité de l'aréopage présent.
Au sein de cette structure
hautement pyramidale, la part réservée aux trois Internes du moment
était assez restreinte, tout au moins pour celle que la hiérarchie
supérieure voulait bien leur abandonner en qualité d'opérateur
principal. Comme mes collègues, j'ai connu des périodes d'ennui au
cours de ce stage. Les consultations laissaient des loisirs, et donc
du temps pour discuter, et pour certains d'allumer une cigarette ;
c'est ainsi que Lafon, jetant négligemment un mégot dans une
poubelle y mit le feu, oublieux des compresses imbibées d'alcool
s'y trouvant ! Comme par hasard, le Patron pointa son nez à ce
moment précis ! No comment pour la suite.
Il faut savoir cependant qu'à
côté de la répartition classique des tâches octroyées aux
Internes dans tout service de chirurgie, le Patron avait institué
une particularité pour les siens : ses assistances opératoires
à la Clinique de Gentilly, à tour de rôle, deux mois consécutifs
par semestre ; paradoxalement, c'était un des intérêts
majeurs de leur passage en Chir. C !
A son arrivée, tout
était prêt, il n'avait plus qu'à inciser : patient endormi,
avec le Dr Lagrange aux manettes, champ opératoire installé,
instrumentiste en attente les mains posées sur la table parfaitement
ordonnancée, l'Interne à son poste ; silence, ambiance
feutrée, climatisée, tout est « clean ». Ce tête à
tête singulier était l'occasion privilégiée de le voir faire au
plus près, répéter les mêmes gestes pour les mêmes interventions
dans leur clarté et leur précision ; de s'imprégner jusqu'à
ces détails qui font en fait la différence : comme de placer
telle pince de telle façon, glisser la main de telle manière,
comment prendre le temps de bien s'exposer avant tout geste décisif.
Comme les poésies apprises et réapprises jusqu'à être récitées
par cœur par l'écolier, ces leçons de chirurgie répétées
finissaient par imprégner le cerveau de l'Interne en position
d'élève, si bien que le jour où il lui revenait de passer à
l'action, sa mémoire visuelle restituait de manière
quasi-automatique les gestes, les séquences à réaliser, commandant
les mains pour tel placement, le choix de tel instrument à tel
moment et glissé de telle façon. Je n'ai pas fait de la chirurgie
viscérale ma spécialité de prédilection, mais celle que j'ai
pratiquée a été systématiquement alimentée par les leçons
mémorisées à Gentilly. Apprendre en chirurgie, c'est d'abord voir,
voir et revoir.
Ceci étant, il
arrivait à ce cher maître de s'intéresser parfois à autre chose
que le tube digestif, comme la cure de prolapsus génitaux selon
la classique « triple opération à la Française »
dont il était un des derniers adeptes, des hystérectomies pour
cancer, l'ablation de goitres... Je l'aidai même à plusieurs
méniscectomies, ce qui m'autorisa à le solliciter pour mon jury de
thèse, ce à quoi il accéda avec enchantement !
Il était un moteur à
publications, poussé en cela par ses assistants. Sa grande pratique
personnelle jointe à celle de son service l'autorisait à produire
de grandes séries aussi bien que divers cas cliniques inédits. Je
lui dois d'avoir utilisé une part de mes loisirs en me confiant
l'exploitation d'une cohorte de 1005 cas pour évaluer les
« résultats cliniques et séquelles de la vagotomie »
dans le traitement des ulcères duodénaux. Par contre, solliciter
son entremise pour une publication dont il n'était pas l'initiateur
ou partie prenante avait peu de chance d'aboutir. Ainsi, à la faveur
d'un remplacement du Dr Mouktar à Vittel, j'eus l'occasion d'opérer
un malade atteint d'une occlusion colique due à une pancréatite
chronique évolutive ; la littérature sur le sujet étant
chiche, je présentai cette observation assez exceptionnelle à son
staff ; il la trouva intéressante, sans plus, pour ne pas dire
banale ; proposée au Pr Léger, un des leaders parisiens en
chirurgie digestive du moment, celui-ci la considéra avec intérêt
au point qu'elle fut proposée pour une communication devant
l'Académie de Chirurgie. Elle ne s'y fit pas malheureusement,
Mouktar ayant décliné cette offre sans m'en parler ; à
défaut, elle fut publiée dans le Journal de Chirurgie, en dehors de
tout appui du Pr Grosdidier... pourtant du comité de lecture de
cette revue . Comme quoi l'ego de certains maîtres n'est pas
nécessairement bénéfique à qui en a été l'élève !
Il n'en reste pas moins que
je rejoins l'unanimité reconnaissant les qualités et les vertus
d'un grand maître au Pr J. Grosdidier. Les leçons apprises à le
regarder faire m'ont été des plus précieuses, me les récitant en
me faisant le devoir de les appliquer chaque fois que nécessaire
lorsque je volai de mes propres ailes.
Première
chanson de Grosdidier (
Air de « Prosper ». M. Chevalier)
I
Quand
à Marin nous avons vu
Débarquer
l'Grosdodu
Qui
avait lâché le Pépère
Et
sa méchante galère.
D'vant
son air malabar
Et
sa démarche de canard
Pas
besoin d'être bachelière
Pour
deviner c'qu'il veut faire.
Refrain
Dodu,
yop la boum,c'est bien le plus fort de l'Est
Dodu, yop la
boum, c'est le roi du Dra-agstedt
Comme
il n'a jamais la flemme
Il
fait toujours tout lui-même.
Il a
sa clientèle.
C'est
bien chouette le temps partiel
Le
jour et la nuit sans cesse
Fait
son p'tit biz-ness
Des
cliniques au Service
C'est
vraiment le marché noir.
Faut
l'voir, faut bien l'voir
Encaisser
les bénéfices.
Il
ramasse les billets
Et
ne rend pas la monnaie.
Ce
sera pour le fisc
En
somme, c'est le grand tripier !..
Yop
la boum, Dodu !..
II
Avec sa belle gueul'
d'affranchi
Là-haut sur la butte,
Tous les clients s'ront
fous de lui.
C'est bien là son grand
but.
Y
en a qui s'flanquent des gnons Refrain
Et
qui se crêpent le chignon. Dodu,yop
la boum, c'est bien le plus fort de l'Est
Pendant
c'temps, voyez-vous Dodu,yop la boum, c'est le roi du
Dra-agstdt.
Tranquillement,il compt'
les coups. Dodu,yop la boum, c'est bien le plus fort de l'Est
Dodu,yop la boum, c'est le
roi du Dra-agstedt
(Revue 1968)
Deuxième
chanson de Grosdidier
(
Air : « Ah qu'on est bien dans son bain ». H.
Salvador)
Ah
c'qu'on est bien quand on est le patron
On
pousse des grandes gueulées
On
traite les autres de cons
Ah
c'qu'on est bien quand on est le patron
On
ramasse les sous
Dans
un chaudron.
J'travaille
à Gentilly,
Une
petit'semaine au ski
Je
travaille à Saint-Jean
Je
chasse les éléphants
Je
travaille à Bon-Secours
Je
cours à mes amours
Et
j'me fous de la Chir C
Ah
c'qu'on est bien quand on est le patron
On
fait sa grande gueule
On
traite les autres de cons
Ah
c'qu'on est bien quand on est le patron
On
n'a pas de problème
Pour le pognon
Tapez-moi
fort le dos
Moquez-vous,
moquez-vous
Ne
m'chatouillez pas trop
J'me
fâche parfois.
Ah
c'qu'on est bien quand on est le patron
On
fait sa grande gueule
On
traite les autres de cons
Ah
c'qu'on est bien quand on est le patron
On
travaille peu.
(Revue
1972)
Service
de Chirurgie B
Octobre 1972. Mon
temps d'Internat court à sa fin. Reste un semestre au compteur. Le
choix du service pour l'ultime stage, je le sais déterminant pour la
suite. Il s'inscrit en effet dans la perspective de la nomination à
un poste d'Assistant-Chef de Clinique : un impératif à
plusieurs titres . Une année de post-internat est nécessaire à
l'obtention de l'équivalence du certificat de spécialité en
Chirurgie ; parfaire une formation loin d'être aboutie et
prendre davantage d'étoffe par l'exercice de responsabilités de
premier rang en constituent une seconde et bonne raison.
A cet effet, plusieurs
paramètres entrent en ligne de compte. Le premier, obtenir
l'agrément d'un Chef de Service, ce qui suppose qu'il vous connaît,
pour vous avoir vu à l'oeuvre de préférence. Le second, qu'il ait
un poste disponible ou qu'il n'ait
pas pris d'engagement avec un
collègue ; tous les internes en fin de cursus connaissent le
même problème et sont contraints de s'impliquer dans les mêmes
démarches. Reste l'orientation que l'on souhaite donner à sa
carrière future et à se placer en cohérence avec ses propres
ambitions. Pour ma part, j'avais structuré mon internat dans le sens
d'une formation polyvalente, sans m'engager trop par avance pour une
spécialité déterminée. De mon parcours j'avais trouvé une
attirance certaine pour l'orthopédie-traumatologie, mais sans
ostracisme par rapport au viscéral ; poursuivre dans le sens de
cette polyvalence ne me déplaisait pas, tant par l'ouverture
d'esprit que cela imposait que l'obligation d'entretenir une culture
chirurgicale sans oeillères ; j'étais en droit de supposer
enfin qu'à partir d'un socle de formation élargi, il serait temps
ensuite au fil des circonstances de se concentrer sur un ou des
domaines privilégiés. Voilà pour l'état d'esprit du moment.
Je jetai donc mon dévolu
sur le service de Chirurgie B. Ce n'était pas comme un retour à
d'anciennes amours mais par l'opportunité qui s'y offrait. La
vacance de deux postes était annoncée par le départ prochain de R.
Piccioli et de J.P. Bertrand, le fils du patron. Ce service gardait
une orientation en chirurgie générale avec une activité
d'urgences large compensant une programmation réglée que l'on
pouvait juger modeste. Enfin et surtout, une ère nouvelle
s'annonçait par un changement à sa tête, le Pr Frisch tenant la
corde pour succéder au Pr Bertrand dont le départ en retraite était
programmé dans un an.
Marchons pour la Chirurgie B
Pour ce que
j'en avais connu lors de mon passage en qualité d' Externe, pas mal
de changements étaient intervenus. La Neurochirurgie s'était exilée
à l'Hôpital St. Julien, libérant de la sorte la salle 4 et sa part
d'occupation de la salle 8 ; la salle 2 s'était muée en unité
de réanimation, avec Mme le Pr M.C. Laxenaire aux commandes.
Le Pr Bertrand
n'était déjà plus très jeune au moment où il émigra de
l'Hôpital Marin pour ce qui était une montée en grade en accédant
à la tête de cet important service, mais une promotion de fin de
carrière tout de même. Il en imposait par sa stature, une allure
sévère et austère, une voix forte et grave. A côté de la
chirurgie gynécologique qu'il emmena dans ses bagages, il s'efforça
de s'impliquer dans les pathologies traitées dans le service
antérieurement à sa venue, à savoir la Chirurgie Générale dont
la diversité est majoritairement alimentée par la chirurgie
viscérale et la traumatologie courante. Malheureusement, ses
connaissances et son expérience en ces domaines devaient remonter à
pas mal de temps et sans remise à jour . Il surprit ainsi son
monde en proposant le retour aux lames de Parham pour les fractures
du fémur, un matériel qui était tombé dans les oubliettes de
l'histoire depuis belle lurette ! En conséquence, il fallait
faire preuve d'un discernement avisé avant de souscrire aux
indications qu'il proposait. Il s'en remettait d'ailleurs volontiers
à ses assistants, et à son fils en premier, pour les situations lui
posant problème.
Il lui arrivait
encore parfois d'aller pratiquer une chirurgie « foraine »,
moins souvent qu'après la guerre, mais tout de même... Des amis à
lui exerçant leur sacerdoce médical au cœur de la Woëvre lui
concoctaient de temps à autre un programme opératoire, le petit
hôpital de Hannonville sous les Côtes servant à l'exercice de
cette chirurgie délocalisée ; il se déplaçait avec ses
boîtes d'instruments, accompagné d'un jeune anesthésiste quand il
estimait les cas à opérer de nature à dépasser les capacités de
la bonne Soeur préposée à l'endormissement avec ses moyens
rudimentaires . Le temps chirurgical était suivi d'une solide
omelette avant le retour dans la capitale ducale. J'opérai une fois
en ces lieux alors que je remplaçais à Verdun ; je n'ai pas
bénéficié de l'omelette mais je puis confirmer la rusticité des
locaux comme de la simplicité du modèle anesthésique employé par
la « chère Soeur ». Autant d'éléments qui nous
conduiraient directement au Tribunal Correctionnel de nos jours !
Le Pr Bessot figurait
toujours à l'effectif, mais ses apparitions se faisaient
exceptionnelles, malheureusement : lui qui avait combattu avec
acharnement le cancer des autres, il savait que celui qui le rongeait
allait l'emporter sous peu.
Claude
Lorenzini, dit « Lolo », était des trois assistants
alors en place le plus proche du Pr Bessot ; il était comme son
élève spirituel, entièrement impliqué dans ses travaux et les
techniques qu'il avait développées en matière de cancers évolués.
Il continuait à gérer les patients dont les protocoles étaient en
cours et assumait les engagements pris antérieurement par son mentor
ou liés à sa renommée. C'était un chirurgien brillant ;
c'était tout autant un garçon décontracté, beau gosse aux yeux
bleus ; il « passait bien » en société,
surtout avec les femmes !
Jean-Pierre Voiry, de la
même promotion que moi, se trouvait dans une situation analogue. Il
postula pour le même service avec la même ambition d'y poursuivre
son clinicat. La simultanéité de notre arrivée en Chirurgie B fit
que le Patron nous confondait régulièrement ; même si notre
ressemblance n'était pas d'évidence, il appelait volontiers l'un
par le nom de l'autre quand ce n'était pas par un patronyme qui
était un « mix » de nos deux noms: Voirey ! Il est
vrai que nous étions destinés à fonctionner en tandem pour
quelques années
Chanson
de la Chirurgie B
(Air : « Michèle ». Les Beattles)
Ce
service, quel bordel,
On
ne peut le croir' qu'en y passant.
Tout
le monde pourtant
S'en
accomod' à la perfection, la vie est belle.
Je
m'en fous, je m'en fous, je m'en fous
Et
toute la journée, on ne pense qu'à roupiller,
En
attendant l'heure où il faudra aller opérer.
Le
matériel, y en a pas
Ce
sont les nénettes qui font la loi...
Des
chefs, il n'y en a pas,
C'est
toujours l'Pépère qui fait la loi, chacun pour soi...
Ils
s'en foutent, ils s'en foutent, ils s'en foutent,
Et
toute la journée, ils laissent tout s'débander,
En
attendant l'heure où ils pouront s'tirer...
Y a
pas d'consultation
Les
malades qu'on r'çoit, c'est dans l'caillon.
C'est
un service modèle,
Mais
dans le CHU, ce n'est pas l'seul, vive le bordel.
On
s'en fout, on s'en fout, on s'en fout,
Et
toute la journée, on ne pense qu'à rouîller,
En
attendant le fric qu'on a mis dans l'privé...
(Revue 1967)
Chanson
de Bertrand
(Air : « L'étranger dans la nuit ». F. Sinatra)
Depuis
que j'suis là
J'ai
comme l'impression
D'être
un vrai paria
Entouré
d'espions J'n'ai plus d'locataire
C'est
triste d'être ainsi Il ne m'reste que Bessot
Etranger
dans son nid. J'l'ai toujours sur l'dos
Pour que j'le
laisse faire
Avec ses tuyaux
Il
aura suffi Partout dans les
néos.
De
deux ou trois semaines
Pour
qu'étant ici
Le
Service devienne
Le
r'paire favori
Des
vagins qui saignent.
Je
ne comprends rien
Aux
nouvelles techniques,
Je
ne comprends pas
Pourquoi
on m'critique
J'fais
la sourde oreille
Et
j'ramasse des gamelles.
(Revue
1968)
Les années
fac., l'Externat, l'Internat, peuvent être vus comme les temps d'
enfance puis d'adolescence aux plans médical et chirurgical, ceux
propices aux acquisitions et à l'art de grandir, ceux dont on
retient surtout les bons moments pour en faire une période bénie.
En gravissant la marche du Clinicat, c'était à la fois tourner une
page et comme entrer dans le monde adulte en Chirurgie. Mais de même
qu'au jour de ses dix-huit ans on devient majeur, on n'en reste pas
moins dans l'univers de la jeunesse, avec ses besoins à découvrir
encore comme à prouver aussi. C'est ainsi que j'abordai l'étape
suivante de mon périple.
Assistant
– Chef de Clinique
Avril 1973 – Septembre 1976
La
transition du statut d'Interne à celui d'Assistant-Chef de Clinique
(ACC) se fit simplement, sans la rupture née d'un changement de
service. J.P. Voiry et moi-même furent acceptés, me semble-t-il,
sans difficultés par les personnels ; je crois pouvoir dire que
nous nous sommes bien entendus tout au long de cette période de vie
commune. Au
départ, nous pûmes compter sur l'appui de nos prédécesseurs
gardant un pied dans le service quelque temps encore, mais plus
encore sur le conseil amical de Cl. Lorenzini, perçu comme en
situation de frère aîné pour nous deux.
La fonction d'ACC,
contractuelle pour deux à quatre ans, est bivalente ; un pied
hospitalier, pour l'Assistant ; un pied universitaire, pour le
Chef de Clinique. A l'Hôpital, il exerce un rôle central et de
pleine responsabilité, n'ayant de comptes à rendre qu'à son
patron...et aux patients dont il se charge ; c'est moins vrai
aujourd'hui là où les équipes sont construites autour de
personnels médicaux permanents, praticiens hospitaliers et
professeurs agrégés. Au plan universitaire, il est chargé
d'enseignement clinique, de travaux dirigés ou donne certains
cours ; contribuer à la formation pratique des Externes et
Internes placés sous son autorité est une de ses compétences
premières. Voilà pour les définitions.
Ma nomination en
Chirurgie B en cette qualité s'était faite avec l'assentiment, non
seulement du Patron encore en place pour six mois, le Pr Bertrand,
mais aussi de celui destiné à le remplacer, à savoir le Pr Frisch.
Le premier semestre de clinicat fut vécu comme une période
intérimaire dans l'attente de la venue du nouveau maître. Ce fut
d'abord un temps pour poser mes marques dans la fonction ; ce
fut aussi une opportunité pour approcher la Chirurgie Gynécologique.
C'est d'ailleurs au bénéfice de cette dernière et à cette époque
qu'une innovation instrumentale commençait à se répandre, à
savoir la Coelioscopie ; outil incomparable pour aller voir ce
qui se passe au fond des pelvis, des matériels complémentaires à
la seule optique ne manquèrent pas d'être imaginés pour passer du
simple stade de l'observation à celui de voie d'abord possible pour
diverses interventions ; ce n'est que secondairement que les
chirurgiens digestifs s'en emparèrent et participèrent à son
développement pour aboutir aux possibilités qu'on lui reconnaît de
nos jours. A l'époque évoquée, la stérilisation tubaire, par
électrocoagulation ou anneaux de Yoon représentait son indication
principale au plan « thérapeutique » : la
prévention précéda en ce domaine le curatif ! Restant sur ce
terrain, même si on peut en sourire ou en douter, je me fis un temps
-un temps court certes- une certaine réputation dans la chirurgie du
prolapsus ; pour preuve, cette Mère Supérieure de St Charles
qui me confia ses organes victimes d'une descente inexorable ;
m'en sortant bien qu' auréolé d'une petite gloire locale, j'en
tirai à la vérité plus de gêne que de vanité.
Le Pr Frisch à sa
prise de fonction à la tête de la « Chir. B » en
octobre 1973,en modifia l'intitulé pour le définir en « Service
de Chirurgie générale et vasculaire ».
Lui aussi était un produit de l'Ecole Chalnot ; il lui suffit
donc de « traverser la cour » pour revêtir son nouvel
habit. Il avait suivi pour chemin celui de la Chirurgie Thoracique et
Cardio-vasculaire, un bloc alors en voie de démembrement ; il
s'était d'ailleurs progressivement concentré sur la part
vasculaire, obéissant à cette tendance irréversible voulant l'
autonomisation de celle-ci de la part cardiaque : les vaisseaux
déconnectés du cœur ! Il est vrai que les pathologies du
ressort de ces deux domaines et les techniques spécifiques propres à
chacun d'eux justifiaient cette différenciation. Spécialité encore
jeune, la chirurgie vasculaire entrait dans l'ère de la maturité
grâce à l'audace de quelques chirurgiens ayant décidé d'agir sur
les artères autrement que de manière indirecte -je veux parler de
la chirurgie sur le sympathique si chère à Leriche-. Il n'y
avait pas vingt ans que le parisien Ch. Dubost entrait dans
l'histoire en réussissant la première résection-greffe d'un
anévrisme aortique. Restant dans les années 50, Kunlin démontrait
que la veine saphène interne constituait un substitut artériel
idéal, alors qu'aux U.S.A. les recherches étaient axées sur la
mise au point de prothèses vasculaires idéalement biocompatibles,
s'appuyant sur les savoir-faire des industries chimiques et textiles
américaines ; le dacron tricoté (Dupont de Nemours) et plus
tard le PTFE (Gore-Tex) ont été de vraies révolutions . Des
pionniers comme Voorhees, Wesolovski, DeBakey, méritent toute la
reconnaissance des artéritiques. Ajoutons à ces bienfaiteurs
Fogarty, l'inventeur de la sonde à ballonnet servant autant aux
thrombectomies qu'à l'hémostase endo-vasculaire. Tout ceci pour
dire combien cette séparation à l'amiable entre chirurgies
cardiaque et vasculaire s'avérait légitime;elle se matérialisait
au CHR nancéien par le maintien du Coeur à gauche -de la cour de
l'Hôpital Central-, en Chir. A (avant sa montée à Brabois), et le
passage à droite -de la dite cour- pour le Vasculaire.
Par cet apport,
le Service fut relancé de manière salutaire, tant en réputation
que fréquentation. Le nouveau Patron eut la sagesse de ne pas
imposer sa spécialité au détriment de ce qui s'y faisait par
ailleurs mais l'introduisit comme un complément majeur. Une des
vocations de ce service étant de répondre à l'urgence chirurgicale
dans ses formes multiples, que la part revenant au Vasculaire s'y
intégrât n'en était que plus cohérent. L'hémorragie, de cause
traumatique ou complication d'un anévrisme, ou l'ischémie aiguë
d'un membre quelle qu'en soit la cause font partie des situations
gravissimes à gérer dans l'immédiateté ; qu'elles le soient
par des chirurgiens aguerris, rodés autant aux spécificités du
vasculaire qu'aux états d'urgence en général constitue plus qu'un
atout. A titre d'exemple, que la même équipe ou un même opérateur
soient en mesure de traiter à la fois l'os luxé ou fracturé et
l'artère adjacente blessée dans un contexte qui tient de la course
contre la montre, comment ne pas y voir un formidable avantage ?
Mais pour cela, comme dans tous les domaines de la chirurgie, on
assume d'autant mieux les situations aiguës qu l'on en maîtrise
mieux les pratiques réglées. Les Assistants du moment vécurent
comme une chance d'ajouter à leur bagage l'art de disséquer les
vaisseaux, les contrôler, les désobstruer, les suturer ; ayant
ainsi matière à élargir leur polyvalence, ce ne pouvait être que
bénéfice, pour eux autant que pour le Service.
A l'usage, la
Chirurgie Vasculaire nous dévoila ses exigences et vertus propres.
Elle est une école de
connaissances. Par définition, elle est susceptible de conduire sur
tous les vaisseaux possibles, veines et artères, petites et grosses,
parcourant aussi bien le tronc que le cou et les quatre membres .
Connaître l'anatomie de la tête aux pieds et aux mains est une
condition première à sa pratique ; savoir en tirer profit pour
la bonne voie d'abord en est une seconde.
Elle est une école de
maîtrise du geste. Jouer des instruments coupants et tranchants le
long des vaisseaux, les saisir d'une manière qui soit à la fois
franche et douce pour une progression efficace, c'est en permanence
se confronter au risque hémorragique et être en mesure de le
dominer. Il y a là aussi un exercice d'anticipation par le contrôle
premier du vaisseau en amont et en aval du segment à traiter, là où
on sait, là où on devine que s'offre un espace commode, un endroit
aisé pour glisser un lacs qui contrôle ou poser le clamp qui
asséchera le site.
Elle est une école de
patience. Les abords directs pour pontages ou cures d'anévrisme
peuvent exiger plusieurs heures pendant lesquelles la concentration
de l'opérateur ne doit à aucun moment faire défaut . Et ce
n'est que tout à la fin, au dernier point posé, au dernier clamp
levé que s'annonce le résultat . Soulagement devant un champ
opératoire exsangue, la reprise des battements artériels sur les
axes d'aval . Autres soucis obligeant à poursuivre l'effort si
tel n'est pas le cas : la paroi artérielle déchirée en un
point, un thrombus derrière un clamp, un lambeau intimal qui fait
drapeau dans la lumière, que sais-je encore ; autant d'ennuis
exigeant une réponse à tout prix, des ennuis toujours possibles
quelle que soit l'application apportée à chaque étape de
l'intervention et capables de conduire à une situation vite
catastrophique. La Chirurgie vasculaire est tout autant une école de
modestie.
Elle est aussi une
école de ténacité. A l'issue d'un geste semblant avoir donné la
satisfaction attendue, savoir ré-intervenir, s'y obliger avant qu'il
ne soit trop tard, est essentiel : parce que les signes de
revascularisation attendus ne sont pas ou plus là, face à un
hématome évolutif, un drain trop productif ; et quoi qu'il en
coûte, ne se retirer qu'une fois une solution définitive apportée.
Chez l'artéritique, la menace sur la vitalité d'un membre, si elle
a été levée par un premier geste, peut à nouveau se faire jour en
raison de l'évolutivité de la maladie ou de la détérioration de
la réparation faite ; apporter une nouvelle réponse implique
habituellement une reprise, qui s'annonçant en règle difficile et
aléatoire, ne sollicite guère l'enthousiasme. « Un
artéritique bien géré est une rente pour le chirurgien »
avait coutume de dire le Patron, un sourire au coin des lèvres ;
une rente fonction de son courage et de son audace...
Elle est encore une
école de vie. Par les messages à glisser, par le combat à mener,
lorsqu'il n'y a plus d'alternative à l'amputation. Pour que le
patient survive à la gangrène, continue à vivre, débarrassé
d'une souffrance permanente, intolérable, empêchant le sommeil, et
soulagé de l'obsession à trouver une position, jamais la bonne, à
cette partie de membre ayant, qui plus est, perdu son utilité. Une
mutilation pour prix de continuer à vivre, autrement ; et pour
ceux, hélas, glissant dans le sens d'un irrémédiable abandon, déjà
un pied dans la tombe.
Quelques
mots sur l'imagerie vasculaire du moment. On était encore loin de
supposer que dans quelques décennies elle se ferait en glissant le
patient dans un tunnel et après une simple injection intraveineuse ;
appuyer sur quelques boutons, laisser agir les rayons ou un champ
magnétique en même temps que moulinent les ordinateurs : voici
que sortent des cascades d'images que l'on peut orienter en tous
sens, voir en coupes... ; que la technique puisse nous montrer
ce que distingue un globule de son trajet au sein des conduits dans
lesquels il navigue, cela n'étonnerait pas ! Pendant la
septième décennie du vingtième siècle, une ponction artérielle
directe restait le prélude obligé à l'injection du produit de
contraste ; dans l'aorte sur malade anesthésié et en décubitus
ventral, ou dans une fémorale avec cathétérisme aorto-iliaque pour
les membres inférieurs ; triple ponction pour les troncs
supra-aortiques : humérales droite et gauche, et carotidienne
gauche. Des accidents étaient possibles après ces explorations,
mais heureusement exceptionnels grâce au savoir-faire des
radiologues en charge, les Dr. Fays et Stehlin, avec une mention
particulière pour l'équipe de Neuro-radiologie du Pr Picard. Le
rendu des images sur des films en grandeur nature était
régulièrement impeccable ; qu'il n'y ait pas lieu de se
torturer l'esprit devant des clichés de qualité imparfaite
simplifiait bien la vie et ne pouvait que favoriser de bonnes
décisions.
Si
le Pr Frisch s'était imposé comme le maître du moment en chirurgie
vasculaire, c'est qu'il en portait les exigences. C'était un plaisir
de le voir opérer, agir sans hésitation mais sans précipitation
mal venue, offrant le sentiment rassurant de contrôler la situation
en permanence, sans se départir de son calme dans les moments
périlleux. Il arrivait à son aide de se demander par quel mystère
ou prodige il savait passer du premier coup le passe-fil derrière le
vaisseau tapi au fond d'un trou ou glisser le doigt ou l'instrument
dans les endroits improbables. Ses indications étaient portées avec
mesure, se gardant de brusquer les décisions s'il n'y avait pas lieu
d'être. Aux moments de détente, comme entre deux interventions, il
avait pour rituel de sortir de la poche un paquet de Gitanes avant
« d'en griller une », conjurant pour lui-même sans doute
le risque de l'artérite ; bien qu'il ne fut pas exemplaire en
la matière, il ne manquait pas de tenir cependant le discours
incitatif au changement d'habitudes salutaire à tout tabagique
claudiquant.
Facile
d'accès à qui lui demandait conseil, son avis, donné après
quelques questions ciblées, ne s'encombrait pas de longs discours.
Il enseignait peu par le verbe et n'avait guère le goût à jouer
les aides opératoires de ses collaborateurs ; ce qu'il leur
apprenait, c'était par l'exemple ; à eux de s'en saisir. Il
avait une prédilection pour la chirurgie des vaisseaux du cou, et
plus spécifiquement pour celle de l'ostium de l'artère vertébrale ;
dans ces domaines, il n'était pas partageur.
Dès
son arrivée il consacra temps et énergie à transformer le Service
et le faire bénéficier des canons de la modernité du moment ;
exploiter les sous-sols pour créer des espaces de consultation, des
bureaux, un secrétariat, vider les greniers pour d'autres bureaux et
une bibliothèque ; faire des salles communes encore existantes
des unités d'hospitalisation composées de chambres à un ou deux
lits. Ces aménagements finis, la Chir B se voyait comme débarrassée
des oripeaux datant du 19ème siècle !
Très
présent dans son service, il se gardait cependant de trop interférer
dans les domaines échappant à sa spécialité et gérés par
ses assistants; pour autant, par les informations et explications
demandées, il savait s'assurer que la rigueur était bien au
rendez-vous.
L'arrivée
de G. Fiévé dans le courant de l'année 1974 en qualité de
professeur agrégé changea la donne ; pour les assistants à
tout le moins, habitués à une certaine autonomie jusqu'alors.
Ultime produit professoral de l'école Chalnot, il fut aussi le
dernier « à traverser la cour », n'étant pas du voyage
pour Brabois quand la chirurgie cardiaque y monta. Le Patron lui
confia la haute main sur tout ce qui n'était pas vasculaire, puis
sur la part de ce domaine quand il ne la jugeait pas nécessairement
de son ressort personnel. En d'autres termes, les assistants du
moment ne virent pas sa venue avec ravissement, surtout que leur
appétit à opérer devait désormais tenir compte de ce convive
supplémentaire et hiérarchiquement supérieur à eux. La
cohabitation s'annonça donc délicate. Pas toujours accessible à la
discussion, il n'était pas rare qu'elle finit par une décision en
forme d'oukase ; en conséquence, la tentation était forte de
ne pas lui soumettre les sujets sans nécessité de son avis ou son
aval, ce qu'il ne supportait pas... Alors ?! C. Lorenzini quitta
le service à sa venue pour poser ses valises à Verdun et M.
Brice prit sa succession. Au fil du temps, cette cohabitation finit
peu à peu par se muer en coopération, mais nos rapports ne furent
vraiment jamais simples.
Avec
l'ouverture de Brabois et les changements déjà évoqués, le
paysage médico-chirurgical de l'Hôpital Central fut profondément
modifié, avec en corollaire la redistribution de certains rôles. Il
revint ainsi à la Chir. B de gérer le versant chirurgical des
malades en service de Réanimation Larcan. Intervenir en « Réa
Larcan » ne pouvait qu'être source d'apports très
instructifs, mais également de sérieux soucis. Les pathologies
« larcanesques », dominées par les comas et les
défaillances viscérales de toutes causes et de toutes natures
avaient le mérite de pousser aux audaces, riches d'enseignements
pour le futur.
C'est dans ces conditions que je me trouvai mêlé à diverses
situations dramatiques. Les hémorragies dites par CIVD,
intarissables par un déficit acquis en facteurs de coagulation
étaient parmi les pires ; vouloir obtenir une hémostase dans
les hémorragies du post-partum comme dans les cas de larges
déchirures cervico-vaginales était une aventure ; dans un tel
cas, l'ami Rollin eut l'idée d'un tamponnement vaginal rendu
compressif par une canne anglaise interposée entre le pubis de la
patiente et la tête de lit ! Je pourrais citer cette jeune
femme chez qui la mise à plat d'un abcès du sein évolua vers cette
complication catastrophique, et fut sauvée in extremis par quelques
gros points de nylon passés à la volée.
Je songe aussi à ces cas de pancréatites dont la nécrose
extensive ne connaissait pas de limites, à ces péritonites
post-opératoires en provenance d'autres établissements de la région
dans l'espoir « qu'à Nancy » on saurait faire
l'impossible ou l'insurmontable. Ce fut encore l'occasion d'approcher
le versant de l'insuffisance rénale aiguë et d'y faire mon
initiation aux abords vasculaires pour dialyse ; il s'agissait
alors de poser des shunts externes de Ramirez, promus maintenant au
rang d' antiquités tombées dans l'oubli.
Chanson
de Frisch (Air :
« Le poinçonneur des Lilas)
J'suis
professeur en Chir A
J'profess'
mais les étudiants, j'les vois pas.
Chaque
fois qu'j'dois faire une clinique
C'est
fantastique
Je
dois opérer à Bon-Secours
Ou
bien je suis pris par un cours.
Refrain
J'fais
des nœuds, des p'tits nœuds, toujours des p'tits nœuds (bis)
Des
nœuds sur des valves
Ou
des vertébrales
J'fais
des nœuds, des p'tits nœuds, encore des p'tits nœuds,
Des
petits nœuds, des petits nœuds, toujours des p'tits nœuds.
J'suis
professeur en chir A
Quand l'Pépère gueule,
moi ne m'en fais pas
J'ai mon petit job pépère
J'fais mes artères
On
dit qu'y a pas de sot métier
Moi
j'fais des nœuds pour m'occuper
Je
n'suis qu' professeur en Chir A
Un
jour viendra ils mont'ront à Brabois
On
n'parlera plus du Pépère
Et
sans m'en faire
J'récupérerai l'service
du bas
Et
je f'rai mes p'tits nœuds à moi.
Refrain
J'fais
mes nœuds, mes p'tits nœuds,
ce seront mes
p'tits nœuds
Mes
p'tits nœuds, mes p'tits nœuds, vraiment mes p'tits nœuds
Mes
petits nœuds, mes petits nœuds, mes petits nœuds.
(Revue
1972 – année
précédent celle de sa venue en Chir B)
Initialement, j'avais prévu
de ne pas m'attarder sur des cas cliniques supposés emblématiques,
des « histoires de chasse » ne pouvant intéresser que
moi. A ce stade de mon récit, il en est qui me reviennent à
l'esprit avec une précision qui me surprend. Comme locataires à vie
d'une partie de ma mémoire. Que notre mémoire ne se satisfasse pas
de l'oubli, c'est sa fonction ; qu'elle se fasse sélective est
sans doute aussi de ses attributions ; mais elle trie dans nos
rencontres et nos émotions, y opère des choix que l'on aimerait
parfois contester. Du métier chirurgical, elle restitue curieusement
en première ligne les événements ayant tenu de la tragédie. Alors
pour la soulager, je laisse ma plume raconter...
Impossible
d'oublier cet agriculteur victime d'un accident par écartèlement
Sur la table d'opération repose à côté du blessé toujours en vie
son membre inférieur gauche, séparé de lui à l'aplomb du pelvis.
L'hémostase des vaisseaux iliaques, disséqués par le traumatisme
est simple ; par contre, impossible de neutraliser les
saignements extériorisés par les trous de conjugaison dus à
l'arrachement des racines nerveuses lombo-sacrées. Il en mourut
alors que l'on avait réussi tant bien que mal à reconstituer une
paroi fermant la brèche pelvienne.
La
ceinture de sécurité n'était pas encore de rigueur. Cette
automobiliste allemande censée traverser la Lorraine sans s'y
arrêter nous est amenée dans un état de choc hémorragique
laissant peu de doute sur son origine abdominale. A la laparotomie
menée séance tenante, la main exploratrice innocente la rate; par
contre incrimine un volumineux hématome sous-capsulaire du lobe
droit du foie à la source de l'hémopéritoine. Complément de
l'abord par thoraco-phrénotomie droite. Ce lobe présente plusieurs
plaies s'enfonçant en direction de son centre ; un tamponnement
est illusoire, des sutures impossibles.Pas d'autre alternative qu'une
hépatectomie droite : la hantise du chirurgien de garde ;
jamais vu, jamais fait, personne dans le coin pour un coup de main.
Pas d'autre choix que de se lancer ; comme lu dans les livres,
d'abord enlever la vésicule ; ensuite clamper le pédicule
hépatique, et, sans musarder, dissocier le parenchyme par
digitoclasie,repérer sans les voir les éléments biliaires et
vasculaires qui se tendent, poser pinces et clips, sectionner et
apprécier seulement de visu ce qui vient d'être fait. La moitié
droite blessée du foie retirée, restent un grand vide et une
tranche de parenchyme qui perle le sang ; impossible d'obtenir
mieux qu' une hémostase seulement presque totale ; restent à
la réanimation et la bonne nature à faire leur œuvre. Les
lendemains sont difficiles ; au bout d'une semaine, devant une
évolution qui traîne, peu satisfaisante, on redoute une collection
profonde . Pas de scanner mais seulement l'intuition clinique
pour décider d' une reprise : peut-être, et puis sans doute,
mais comment... Finalement, il y avait bien un abcès sous-phrénique
dont la mise à plat sauva la situation... et la malade . Une
malade impressionnante de courage ; pas une plainte, pas un mot
pour dire sa détresse, son regard pour exprimer son espoir en ceux
qui la soignent. Chacun de notre côté mais ensemble, nous nous
sommes bien battus.
Voici
un malade admis pour hémorragie digestive haute. En raison d'un
antécédent de gastrectomie, on intervient avec l'hypothèse d'une
récidive ulcéreuse sur l'anastomose gastro-jéjunale. En fait, rien
à ce niveau ; par contre une petite masse battante derrière
l'anse grêle afférente et soudée à elle ; porteur par
ailleurs d'une prothèse aortique bifurquée, le diagnostic est donc
celui de fistule aorto-digestive : le résultat d'une désunion
progressive de la suture aorto-prothétique au sein d'un faux
anévrisme qui finit par s'ouvrir dans l'anse grêle à son
contact. A la dissection, aucun plan de clivage,tout est adhérent ;
à chaque coup de ciseaux on redoute un geyser de sang
incontrôlable ; de quoi mouiller abondamment et sa chemise et
son calot avant de poser le clamp aortique d'amont salvateur !
La brèche intestinale traitée, une nouvelle prothèse est
interposée, enrobée d'épiploon pour conjurer le risque infectieux,
majeur dans un tel cas. Restait le verdict des suites ; elles
furent favorables à court terme; à distance, je ne sais pas,
mais rien n'est garanti.
Une
femme âgée est hospitalisée pour une insuffisance cardiaque
d'installation soudaine. Le stéthoscope posé sur l'abdomen fait
entendre comme un bruit de moteur d'avion. L'angiographie confirme
l'anévrisme aortique fissuré dans la veine cave adjacente. Le jeu
consiste alors, après clampage de l'aorte et la VCI en amont et aval
de l'anévrisme à ouvrir rapidement celui-ci, et par son intérieur
à repérer la brèche cave et la suturer au plus vite. Pendant ce
temps, survient un désamorçage cardiaque avec arrêt ; massage
externe ; coup de chance, le cœur repart ; reste à
terminer l'intervention par une interposition prothétique sur
l'aorte. Au réveil, on constate un volet thoracique consécutif au
massage ; reprise le lendemain pour sa stabilisation par agrafes
de Judet. Encore quelques jours sous respirateur et voici la dame
sortie d'affaire. Ouf !
23
décembre au soir. Coup de téléphone de Neurochirurgie : à
l'issue d'une cure de hernie discale, en retournant le patient
survient un état de choc avec deux arrêts cardiaques récupérés
par massage ; reprenant ses esprits, il se plaint du ventre ;
la tension artérielle ne se maintient qu'au rythme des
transfusions : 17 poches ont déjà été passées. A
l'évidence, le malade saigne dans son ventre : sans doute une
blessure des gros vaisseaux en avant du disque opéré due à une
échappée instrumentale. C'est fou comme il est difficile
d'identifier les éléments que l'on recherche dans un hématome
rétro-péritonéal aussi monstrueux ; y compris l'aorte,
d'autant que ses battements sont à peine perceptibles du fait du
choc en train d'emporter le malade ; et surtout à 3h du matin !
En fin de compte, ce sont bien l'artère et la veine iliaques
primitives gauches qui ont été embrochées ; l'artère est
suturée mais pas d'autre choix que de lier la veine. 45 poches de
sang ont été transfusées au total. Au petit matin, on est heureux
d'en avoir fini, l'opéré ayant récupéré une tension correcte et
un pouls fémoral. Les suites son redoutées avec le devoir de
jongler avec les problèmes de crase sanguine : par les déficits
en facteurs de coagulation aux premières heures, par le risque de
thrombose extensive en amont de la ligature veineuse ensuite. Surgit
une difficulté imprévue : au deuxième jour le malade s'agite,
devient incohérent, puis viennent des signes d'insuffisance
respiratoire ; une complication intra-abdominale ? Non :
deux poumons blancs à la radio pulmonaire, imputés aux effets des
transfusions massives mêlés à ceux de l'état de choc. Après deux
semaines d'assistance respiratoire et une pleurésie purulente
intercurrente, notre malade s'en sort, sans séquelles patentes. Je
n'ai pas été le seul à avoir eu chaud !
Service
universitaire, la Chir B avait aussi un rôle de recours ultime.Parmi
les complications de seconde main à traiter : l'infection,
encore et toujours elle. Colonisant une prothèse vasculaire, une
désunion sur la ou les anastomoses est à craindre ;
l'hémorragie guette, toujours elle. Des situations difficiles en
tout : dans le quoi faire, le comment faire et le faire tout
court. Idéalement, deux temps en un ; retourner sur le site en
cause et déposer toute la prothèse contaminée ;
revasculariser le membre par des montages le plus souvent atypiques,
selon des trajets à inventer et faisant souvent fi de l'anatomie
normale. Un parcours d'obstacles dont on ne sait jamais ce qu'il en
sera à l'arrivée. Encore faut-il savoir « ne pas privilégier
la fonction au détriment du fonctionnaire » (sic JP Voiry). A
chaque cas ses dilemmes.
Mon
intérêt croissant en faveur de la chirurgie vasculaire ne m'empêcha
pas de maintenir toute ma fidélité envers
l'orthopédie-traumatologie
Le
choix commun des chirurgiens du service fut de coller au plus près
des préceptes de l'Ecole suisse, mais sans dogmatisme pour autant.
Ainsi
de la méthode de Ender dans le traitement des fractures
pertrochantériennes du fémur et qui entrait dans l'Hexagone par
Strasbourg. J'allai m'y former auprès du Pr Kempf avant de
l'importer dans le service. Elle consistait à monter trois ou quatre
clous souples sous contrôle télévisé jusque dans la tête
fémorale à partir d'un court abord au-dessus du condyle interne
(médial, pour être fidèle à la terminologie actuelle). Son
attrait tenait à sa facilité apparente et son côté peu agressif,
autant d'atouts chez le sujet âgé, mais à condition de se limiter
à des fractures simples ; sortant de ce cadre, on s'exposait à
certains déboires.Elle connut une heure de gloire qui dura près de
deux décennies pour être alors supplantée par d'autres méthodes
supposées plus fiables. Elle est partie rejoindre définitivement
les quincailleries remplissant les tiroirs de l'Histoire de la
Chirurgie. Ainsi va la vie de l'Orthopédie.
Il
y avait d'autres domaines à investir au plan local tels celui des
fractures du cotyle comme Letournel en avait codifié les traitements
ou celui des entorses graves du genou selon les concepts développés
par l'Ecole lyonnaise. Ces sujets qui m'intéressaient furent aussi
des sujets à frictions avec G. Fiévé.
Un
ami généraliste d'Epinal me rappela m'avoir aidé à une de ces
interventions pour genou disloqué alors qu'il était Externe. Il
s'agissait d'une femme de 120 kg dotée d'un genou valgum
prédisposant à l'entorse grave à la faveur d'une chute qu'elle fit
de sa hauteur. Il trouva de la beauté intérieure à ce genou qui
s'ouvrait comme une bible ; il me dit sa compréhension de
l'anatomie pas à pas à mesure que chaque élément lésé était
identifié, repéré par des points destinés à être glissés dans
des tunnels trans-osseux avant d'être noués en toute fin
d'intervention. Le genou se voit alors rétabli dans ses axes et ses
structures ; l' instant de vérité final où tout se joue,
comparable à celui du dénouement concluant toute bonne pièce
policière.
Pour conclure sur ce sujet
autant que pour introduire la partie à venir de mon récit, comment
ne pas évoquer l'histoire de patients que j'assumai à Nancy par un
premier effet du sort et que par un second je retrouvai face à moi,
à Epinal cette fois, là où je me suis posé. Pour une autre
rencontre.
La
première concerne un ouvrier d'origine portugaise dont le poignet
droit a été happé par une courroie de machine. Outre la
luxation-fracture du carpe, la peau, parcheminée sur toute la
circonférence du poignet, est victime d'une brûlure profonde,
cause par ailleurs d' un effet de garrot veineux pour la main. Un
embrochage percutané stabilise la réduction de la fracture
épiphysaire radiale. Pour le reste, on procédera en temps
successifs nécessairement multiples ; en urgence, débrider la
zone brûlée pour une excision secondaire élargie aux tendons
extenseurs également nécrosés des quatre derniers doigts ;
assurer ensuite la couverture cutanée par un lambeau inguinal
pédiculé avec une mise en nourrice pour trois bonnes semaines ;
après la libération du membre suivie de six semaines mises à
profit pour rééducation et appareillages de la main, on procède à
la greffe des extenseurs ; nouveau temps d'immobilisation avec
en corollaire l'adhérence étroite des greffons aux tissus
environnants. Reste pour conclure ce long programme thérapeutique à
réaliser leur libération (ténolyse) trois mois plus tard ; le
moment venu, le patient refuse catégoriquement ce geste ultime.
Dommage. Une
dizaine d'années plus tard, admis dans mon service spinalien pour un
problème autre, il me reconnut lors de ma visite ; pour ma
part, je l'identifiai à son accent et aux cicatrices parcourant son
poignet. Cette fois la ténolyse proposée eut son aval. Il n'eut pas
à le regretter au résultat final. Le travail était terminé.
Pour
son malheur, un soir d'hiver, Mr G. chute de moto manquant un virage.
Il finit sa course en s'empalant la cuisse gauche sur une branche
issue d'une souche d'arbre en contrebas de la route ; par
chance, passe par là peu après le Dr Suty, généraliste dans la
commune de Bayon toute proche ; par chance, il a dans le coffre
de sa voiture une scie à métaux qu'il utilise pour libérer le
blessé. A l'admission, deux longues plaies parcourent la cuisse sur
toute sa hauteur ; par chance, le fémur largement mis à nu
n'est pas fracturé. Dans la plaie antérieure, l'artère fémorale
est sectionnée, mais par chance sous forme d'une plaie sèche ;
un pontage saphène règle le problème. Dans la plaie postérieure,
le nerf sciatique poplité externe apparaît rompu, semblable à un
faisceau de spaghettis ; mais par chance l'autre partie du nerf
sciatique est épargnée en raison d'une division haute inhabituelle
de son tronc. Le plus long à réaliser tient dans le parage jusqu'en
zone saine de chaque muscle rencontré, à traquer toutes les
particules telluriques, de mousse, textiles,etc... disséminées
partout. Après sept heures d'ouvrage, le blessé peur regagner son
lit, le pied chaud, la plaie antérieure refermée, la postérieure
laissée en grande partie intentionnellement ouverte. Les pansements
quotidiens sont menés sous AG jusqu'à ce que les problèmes
infectieux qui n'ont pas manqué soient résolus. Au bout de deux
mois, la cicatrisation est acquise ; un steppage et une
anesthésie partielle de la jambe et du pied représentent les
séquelles essentielles. Pour pallier au pied tombant, je lui
proposai une transposition musculo-tendineuse capable de réanimer la
dorsiflexion du pied ; la greffe nerveuse proposée par le Pr
Michon me paraissait en effet une gageure dans le cas particulier. Il
opta pour la greffe. Pas de nouvelles ensuite.
Jusqu'au
jour où, une quinzaine d'années plus tard, Mr G. figura dans ma
consultation pour un tout autre problème. Je le reconnus à son nom
et aux cicatrices zébrant sa cuisse gauche. Sollicitant des
nouvelles de la greffe, il me dit son échec : sans surprise
pour moi. La solution que je lui avais proposé en son temps restait
réalisable. Il l'accepta ; pour le bénéfice obtenu, il eut le
regret d'avoir préféré l'avis d'un grand professeur à celui d'un
simple assistant ! Mais qui ne tente rien n'a rien.
Mr.
D., dans les Vosges depuis peu, loin de sa Turquie natale, connaît
un grave accident près de Saint-Dié. Il nous est transféré
quelques jours plus tard en raison d'un état plus qu'inquiétant de
ses deux membres inférieurs ; à droite, un début de nécrose
des orteils signe une ischémie déjà évoluée, conséquence d'un
traumatisme de l'artère poplitée passé inaperçu et contemporain
d'une fracture de l'épiphyse tibiale haute ; à gauche, une
vaste plage de nécrose cutanée couvre imparfaitement la plaque
d'ostéosynthèse posée pour une fracture complexe des os de la
jambe.
Une
restauration poplitée droite est malgré tout tentée ; son
échec, prévisible, aura le mérite d'aider à l'acceptation de
l'amputation haute de jambe, inévitable. A gauche, pas d'autre
choix, après excision des tissus nécrosés, que de déposer la
plaque et les fragments osseux libres. Un appareillage par fixateurs
externes maintient une apparence de continuité de la jambe ;
manquent en effet une dizaine de centimètres d'os et une large
surface de peau sur la même hauteur. La détresse du patient, ses
intentions suicidaires, nous obligent à une solution conservatrice
coûte que coûte. Or il s'avère que le québécois Papineau vient
de publier une technique inédite pour de tels cas désespérés.
Marchons pour un « Papineau », dont les temps successifs
additionnés demanderont patience … et longueur de temps.
Premier
temps, donc : après une excision sans concession de tous les
tissus dévitalisés et à la faveur de pansements gras, obtenir un
bourgeonnement de qualité couvrant de manière homogène toutes les
structures exposées, os compris. Temps suivant : combler la
totalité de la plaie de greffons spongieux prélevés en quantité
sur les os du bassin, en les compactant au mieux. Reste à attendre
que le bourgeonnement, support de néo-vaisseaux, colonise peu à peu
ces greffons, assurant de ce fait et simultanément la reconstitution
osseuse tibiale et sa couverture cutanée. Magie de la vitalité
cellulaire ! Pour y aider, un lavage par goutte à goutte de
plusieurs heures par jour humidifie les greffons en même temps qu'il
les toilette des secrétions puriformes qui les imprègnent, de bon
aloi au demeurant selon l'auteur princeps. Et peu à peu le miracle
attendu se produit sous nos yeux , mais selon un temps long,
pendant lequel tout appui est impossible, avec le devoir de veiller
au maintien rigoureux de la stabilité du système de fixateurs et
celui de compléter à diverses reprises l'apport osseux afin de
pallier à la perte de copeaux lors des lavages et pansements ;
tous les sites susceptibles de servir de carrière à os spongieux
ont, je crois, été exploités !
Au
bout de treize ou quatorze mois on peut estimer la reconstruction
espérée comme presque aboutie ; restent encore quelques points
d'écoulements et zones limitées tardant à s'épidermiser ;
reste surtout un gros doute : celui de la solidité réelle de
l'os nouveau. Se pose alors un problème : mon départ pour
Epinal étant annoncé, qui s'occupera de Mr. D. ? Qui du Patron
ou de mes collègues eut l'idée de postuler que l'air des Vosges ne
pourrait qu'être bénéfique à son cheminement vers la guérison ?
Et comment s'opposer à leur belle unanimité, renforcée du désir
du patient de quitter le triste pavillon de l'ACB (annexe Chir B)
pour me suivre et se trouver du voyage vers mon nouvel horizon ?
Pour mon départ, une forme de cadeau original à tout le moins,
encore empoisonné de quelques miasmes et autres soucis mais
auquel je ne pus déroger,! Pour la même circonstance, mes amis
eurent le bon goût de m'offrir un autre présent auquel je tiens
infiniment, à savoir une lithographie, elle aussi originale, de
Trémois, accrochée chez moi en bonne place, comme pour me ramener
fidèlement au temps de la Chir B de Nancy.
Maintenant
que mon cher D. se trouvait dans la Chir B d'Epinal, il fallait
conclure : solder les problèmes locaux persistants et le
remettre en appui. Avec prudence et par étapes ; d'abord sous
couvert de modifications adaptées du système de fixateurs à
gauche, et d'une prothèse provisoire à droite ; vint ensuite
l'instant de vérité avec réapprentissage à la marche confronté à
la libération la jambe gauche de tout appareillage simultanément
à l'apprivoisement de la prothèse définitive à droite . S'
annonçait alors le moment aussi attendu que redouté de son retour à
la vie dite normale ; ceci pour dire sa nouvelle existence hors
de l'Hôpital ; car comment parler de vie normale après toutes
ces épreuves, deux années passées en milieu hospitalier, et un
préjudice reconnu comme exceptionnel à l'issue de l'expertise du
Pr De Ren ! Ma récompense, je l'eus à son ultime
consultation de contrôle ; me trouvant face à un homme,
debout, sans aide, sur ses deux jambes, puis sur un pied, et sur un
autre, sans hésitation ; capable de marcher sans canne, sans
doléances, au prix d'une boiterie peu dérangeante, presque comme si
de rien n'était... ou n'avait été . En un mot: remis sur
pied(s) . Et que dire de son regard rayonnant et sa moustache en
joie !
Plus
de vingt ans plus tard, j'eus la surprise de le revoir à ma
consultation pour un écoulement causé par un petit séquestre
osseux. Je le reconnus à sa tête -de turc-, à son regard, sa
moustache, sans besoin préalable de m'enquérir de son nom ni
d'inspecter sous les jambes de son pantalon !
Au
fil des pages passées comme au fil des rencontres évoquées, j'ai
fait référence à une galerie de personnages que je plaçais
légitimement au-dessus de moi dans l'échelle de l'ancienneté,
l'expérience, le savoir ; il y a ceux qui ont été mes patrons
avec parmi eux d'authentiques maîtres ; il y a ceux qui ont
joué un rôle d'aîné avec parmi eux de véritables exemples. Mon
regard, orienté initialement du bas de cette échelle vers les
échelons supérieurs, a gagné progressivement en horizontalité à
mesure que j'y grimpais à mon tour. De sorte qu'à mon tour, je
devins l'aîné de plus jeunes, avec un rôle à leur égard que je
compris comme devant tenir davantage du compagnonnage que du tutorat.
Affronter les réalités du quotidien en commun, en s'aidant de leurs
propres apports, s'appuyant sur leurs attentes, se frottant à leur
sens critique parfois incisif, tenait de la règle du jeu ; être
un temps de leur projet en construction faisait aussi partie du
contrat implicite.
A
la faveur de ma propre évolution au cours de mes années de Clinicat
passées en Chirurgie B, je me suis trouvé mêlé à une pépinière
de talents. S'offre alors une nouvelle galerie de personnages,
prometteurs, forts de leur jeunesse et de leur appétit face à
l'avenir, mais qui, aujourd'hui et comme moi, « ont fait leur
vie ». En voici quelques-uns, l'exhaustivité ne figurant pas
au rang de mes prétentions.
Michel
Brice. Anatomiste patenté par ailleurs, il se passionna pour la
micro-chirurgie vasculaire, à la base des techniques de couverture
audacieuses par lambeaux cutanés ou épiploïques libres ; plus
fort encore, il réalisa pour des pertes de substance osseuse
étendues des transpositions de péroné vascularisé jusqu'à des
lambeaux composites libres ostéo-cutanés iliaques pour solutionner
en un temps des problèmes complexes associant déficits osseux et
cutanés. Il s'entraînait sur des moutons dont il cassait les pattes
pour mieux les réparer ; ce qui l'obligea aussi à se
préoccuper de nombre de problèmes de ménagerie ! Les sangsues
firent un retour remarqué comme moyen pour lutter contre l'oedème
des lambeaux transposés. Il entrait en émulation avec M. Merle qui
développait simultanément le concept du traitement « tout en
un temps » dans les traumatismes graves de la main ; leur
confrontation à certaines occasions ne manquait pas de piment. Il ne
fut ni au bon endroit ni au bon moment pour postuler à un avenir
hospitalo-universitaire. Sa carrière, il l'effectua à Metz,
consacrée principalement aux chirurgies de la main et du pied.
Richard
Beron. Il me succéda à mon poste. Son projet a été univoque :
la chirurgie vasculaire en exclusivité. A l'issue de son clinicat,
il s'installa à la Clinique d'Essey-les-Nancy, rejoignant le
cardiologue M. Henry, pionnier audacieux en matière d'angioplastie
percutanée. Il figura parmi les premiers chirurgiens à savoir
combiner habilement les possibilités endovasculaires aux
revascularisations conventionnelles. Ce garçon chaleureux et
passionné fut tragiquement emporté par un cancer alors qu'il se
trouvait à la pleine maturité de son art.
Martine
Maitrehanche. Joli nom pour cette grande et charmante jeune
femme dont la finesse intellectuelle ajoutait à l'élégance
naturelle. Elle dévia vers la chirurgie plastique et esthétique ;
à son départ du CHU, elle se posa à Metz, devenue entre temps
Madame Brice.
Jean-Paul
Métaizeau. Un temps, il hésita entre l'Internat et une carriére
de pianiste ! Sa voie fut celle de l'Orthopédie Infantile.
Esprit en perpétuelle effervescence, il imagina entre autre
innovation l'embrochage élastique stable, apportant une solution
thérapeutique simple et efficace aux fractures diaphysaires de
l'enfant, une méthode devenue de routine. Il s'intéressa aussi aux
techniques micro-chirurgicales, pour les appliquer notamment aux
reconstructions osseuses après exérèse pour tumeurs. Il avait
aussi l'étoffe pour devenir Professeur agrégé ; les
circonstances l'ont aussi envoyé à Metz où il est devenu le
référent indiscuté dans sa spécialité.
Claude
Amicabile. Après une orientation urologique initiale, il se
consacra corps et âme à la chirurgie vasculaire. Rejoignant R.
Beron à Essey, ils formèrent une équipe réputée et performante ;
à la disparition de son ami, il resta l'âme de celle qui se
construisit alors. Avec son assurance tranquille, il a fait tout ce
qui pouvait l'être sur les vaisseaux ; vrai bourreau de
travail, il acceptait d'une humeur constante de répondre à toutes
les demandes, sa disponibilité incroyable méritant l'éloge. La vie
fut injuste avec lui, emporté en quelques mois par la maladie à 66
ans.
Patrice
Diebold. Sa tasse de thé, ce fut la chirurgie du pied,
innovant en la matière, ne serait-ce qu'en faisant de celle-ci sa
spécialité exclusive. Sa renommée dépassa largement le seul cadre
nancéien. J'appréciais la clarté de ses exposés, documentés
brillamment et avec originalité ; je le suspectai parfois de ne
pas dévoiler tout de ses recettes !
Michel
Schmitt. Son destin, ce fut la Chirurgie Pédiatrique
Viscérale, où il s'illustra comme chef de service au CHU de Nancy.
Pour
ne citer que ceux avec lesquels je tissai des liens particuliers...
Sans
aucun doute nous sommes nous retrouvés les uns et les autres, à
cette époque puis au-delà, animés d'une même passion : une
passion pour la Chirurgie, chacun dans son domaine choisi, au
bénéfice espéré le meilleur pour nos semblables passés entre nos
mains.
Chers
amis, aux apports à inscrire à vos mérites, s'en ajoute un, à mon
avantage et à votre insu : celui de porter la conclusion de
cette partie de mon écrit, et ce faisant, de cette tranche de ma
vie.
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