De
fil en aiguilles
MAURICE RAVEY
Des
rêves aux réalités
Nancy
1961 - 1976
PLAN
Les Années Fac
Que
choisir ?
Première année de Fac (1961-2)
Les années Fac : suite et premiers pas
à l'hôpital
Des sciences fondamentales (biochimie,biophysique,anatomie,physiologie)
De la séméiologie
L'Externat (1964-1967)
Le CHR de Nancy
La fonction d'Externe
Prendre garde
La Dermatologie
La Rhumatologie
La Pneumologie
La Médecine A
La Chirurgie B
La Pédiatrie
L'ORL
Rien
ne me prédisposait à la Chirurgie . Le métier de Chirurgien
que j'ai embrassé, je l'ai aimé.
Désormais
que je me trouve éloigné de sa pratique et ses réalités, me
revient en mémoire toute une galerie de personnages, tant par leur
nom que leur visage, jusqu'à leur voix. Je les retrouve curieusement
à cette époque de ma vie avec une acuité qui m'étonne moi-même,
avec tout ce qu'à un moment donné ils ont été, m'ont appris,
m'ont apporté. Je sais aujourd'hui qu'ils m'ont habité à des
degrés divers au long de l'exercice de ce métier exigeant et
passionnant ; et à un point que j'étais loin de savoir ou
supposer au temps où je l'ai pratiqué. Comme je sais aussi qu'ils
ont contribué à me façonner par leur savoir, leurs qualités,
leurs mérites, leurs limites parfois. Sur eux, à cause d'eux,
j'éprouve un irrépressible besoin d'écrire, de puiser au
bric-à-brac de mes souvenirs, non pour en faire l'étalage, mais
pour un simple plaisir : celui de raconter.
Raconter
de fil en aiguille, comme à l'aide d'un fil serti de deux aiguilles,
Dérouler
le fil de rencontres mêlées et successives,
Un
fil au long duquel se sont noués des liens, pour un temps long ou
court, c'est selon,
Un
fil conducteur chargé de la souvenance de gens, d'événements, qui
s'y glissent tels des perles,
Que
la première aiguille est venue piquer aux divers étages de ma
mémoire,
Tandis
que la seconde, que j'ai voulu garder à l'autre bout du fil,
servira à piquer la curiosité de qui voudra me suivre au fil des
pages.
Les
années Fac
Rien
ne me prédisposait effectivement à la Chirurgie.
En premier lieu, je n'étais
pas d'une famille médicale, encore moins chirurgicale.Mes parents
étaient originaires de milieux campagnards plus que modestes.Mon
père avait fait carrière comme officier de gendarmerie; il devait y
mettre un terme en 1962 alors chef d'escadron à la Légion de
Gendarmerie Mobile à Verdun,anticipant de deux ans sa mise à la
retraite,pour rapatrier toute sa famille à Nancy,au motif premier de
faciliter les études de ses cinq enfants; il avait réussi à
trouver par ailleurs un emploi de bureau au siège social des
Fonderies de Pont-à-Mousson, un emploi à priori pas très exaltant,
mais il nous en parla peu.Cette transition, pour ne pas dire cette
rupture dans la vie de mes parents, fut pour le moins difficile et
douloureuse. Au regard des choix qu'ils ont su opérer à cette
époque, nous, leurs enfants, leur en sommes particulièrement
redevables -des parents au demeurant unis, aimants, exemplaires.
Mon bac en poche à 16 ans,se
posait donc le choix crucial de mon devenir. Ce bac,préparé au
lycée Buvignier de Verdun, filière Maths-Elem, je l'ai obtenu sans
véritable éclat; il est vrai que j'étais plus intéressé par
l'Histoire-Géo,les Sciences Nat.,la Physique, que les Mathématiques.
Plutôt que de raisonner en terme de métier futur,je me suis
interrogé sur la nature des études supposées m'offrir le plus
d'intérêt et de plaisir.
Pas vraiment attiré par les
études littéraires, en droit, encore moins scientifiques, l'idée
de m'orienter vers la Médecine s'imposa à moi sans trop envisager
d'autres alternatives; que ma soeur aînée Renée ait choisi cette
voie,entrant
alors
en 3ème ou 4ème année, cela n'a pas été sans influence sur mon
choix; j'étais impressionné par l'étendue et la diversité des
connaissances à ingurgiter avant que d'imaginer toucher un patient;
quant à le traiter,on en était bien loin! Que dire de la
fascination exercée par les « Rouvière », ces
volumineux ouvrages d'anatomie,riches de beaux dessins certes,mais
dont le texte apparaissait aussi dense qu'indigeste,aussi poétique
que le Bottin: tout cela pour être mémorisé comme des fables de La
Fontaine, se déclinant de haut en bas,de dehors en dedans et
d'arrière en avant... Me lancer dans des études longues ne me
faisait pas peur et je me sentais prêt à y consacrer les efforts
nécessaires. Je ne fus point déçu.
Première
année de Fac
Octobre 1961. Les dés en
sont jetés. Ce sera donc Médecine à Nancy.
Avant de parler
études, évoquons le contexte.
Pour entrer dans ce
monde nouveau,il fallait bien sûr quitter le cocon familial, mais ce
fut en partie seulement: en effet,pour loger communément leurs trois
enfants inscrits en fac à Nancy,nos parents avaient loué un petit
meublé au deuxième étage d'un petit immeuble à Laxou,situé au
sommet d'une rue fortement pentue. Je m'en souviens d'autant mieux
que mon moyen de locomotion habituel était le vélo m'ayant
récompensé de mon succès au BEPC !(ce n'est qu'en 5ème année que
je le troquerai contre la 2 CV de Renée,une bonne mais vieille
occasion.); la fac se situant alors derrière l'Hôpital Central,il
me fallait traverser Nancy au moins deux fois par jour quelque soit
le climat,assurant par là ma dose quotidienne de sport. Ce choix
parental tenait autant à des motifs économiques qu'à celui du
confort rassurant de nous savoir ensemble.
La
pièce dévolue à Renée était triste à mourir et dépourvue de
chauffage; pour l'anecdote,lui ayant offert un cyclamen pour son
anniversaire en novembre,la plante mourut de froid dans son pot un
beau matin du mois suivant : il est vrai que ma mère avait insisté
sur la fragilité à la chaleur de cette fleur ! La seconde pièce
avait dû bénéficier d'une indispensable rénovation tapissière
par mon père avant que d'y habiter;elle servait de chambre à
coucher à Jean-Claude et moi-même,de séjour et de lieu de travail
pour nous trois; le chauffage était assuré par un petit poêle à
bois,avec nécessité de monter de la cave bûches et briquettes en
période hivernale; pour les w.c.,ils étaient situés sur un palier
intermédiaire,communs avec les habitants de l'appartement du
dessous. Quant à la cuisine,des plus rudimentaires,heureusement
qu'existaient les restaurants universitaires ! Malgré le côté
assez spartiate de ce logis, nous nous y sommes trouvés bien,
d'autant que l'entente entre les colocataires fut régulièrement
bonne ; le mérite en revient d'abord à Renée, suffisamment
accommodante, voire maternante ce qu'il fallait avec ses frères.
Les retours vers le coeur
familial caserne Bayard à Verdun furent nécessairement espacés; en
premier lieu,bûcher ses cours le temps d'un week-end en
famille tenait du voeu pieux; ensuite la faute aux liaisons
ferroviaires entre Nancy et
Verdun
trop rares et compliquées.Je redoutais,surtout les mois d'hiver,les
retours sur
Nancy
les dimanches soirs, avec un premier trajet dans un vieil autobus
brinquebalant jusqu'à Etain, pour ensuite prendre une « micheline »
offrant plus de places debout qu'assises pour le même tarif, pour
terminer en fin de soirée par une marche à pied de quelques
kilomètres valise à la main pour retrouver notre gîte laxovien.
Quant aux beautés nouvelles
de la vie étudiante,hormis ce qui avait trait aux enseignements et à
l'étude, les sorties furent plutôt restreintes; il est vrai que
nous n'étions pas là pour l'amusement; ensuite, l'argent de
poche,une fois acquis polycopiés et tickets de R.U.,n'autorisait
guère les folies.Une distraction essentielle de nos dimanches
nancéiens consistait à déjeuner au mess des Officiers: salle de
restaurant classe, serveurs en veste blanche: voilà qui changeait
agréablement des restaurants universitaires, tant celui de l'A.G ,au
bas de la rue G.Simon que du GEC,avec leurs queues et leur tambouille
à 2,10 francs le repas.Il n'y eut pas de véritable bizutage cette
année là,tant mieux. L'événement marquant de la vie étudiante
auquel j'ai participé fut le pèlerinage à N-D de Sion,soit une
quarantaine de km à pied par les chemins de campagne depuis Nancy,
et en chantant et priant...: arrivée sur les rotules,les pieds
broyés par des rangers prêtés mais surtout inadaptés à la
morphologie de mes pieds: je crois avoir gagné à cette occasion
suffisamment d'indulgences pour toute la durée de ma vie étudiante
!
Revenons à nos chères
études.
Pour accueillir
les 6 ou 700 étudiants inscrits en 1ère année de Médecine, les
cours magistraux étaient donnés à l'amphithéâtre Parisot
nouvellement construit à cet effet rue Lionnois. La première
rencontre avec le monde enseignant universitaire se fit par le speech
introductif donné par le Doyen Beau :d'entrée, il ne laissa pas
indifférent son jeune auditoire par sa prestance,son discours
élaboré,sa parole forte et claire,allant et venant sur l'estrade
micro à la main :bref,l'image même du Professeur en Médecine.
Le premier cours
était,je crois,d'Embryologie comparée donné par le Pr.
Dollander;il me semble n'avoir pas tout compris des effets comparés
si ce n'est comparables des amours chez les tritons, oiseaux et
autres reptiles avant d'arriver quelques semaines plus tard au coeur
du sujet où il était question de morula,blastula et autre gastrula.
Qui n'avait
l'impression de découvrir l'intime de la vie en apprenant que la
cellule possède un noyau avec un stock de chromosomes égal pour
tous et remplis d'hélices propres à chacun, un cytoplasme où s'y
promènent des ARN messagers via les mitochondries, et qui peut même
s'adonner à la pinocytose ou la phagocytose.
La chimie était enseignée
par un savant Cosinus de la Fac de Sciences,rendant cette
matière d'autant plus incompréhensible qu'il parlait dans sa barbe
et l'usage du micro lui était inaccessible; le chahut faisait le
reste.
On n'échappa pas
aux statistiques, aux beautés des courbes en cloche dont on se
...gausse encore!
Je n'ai manqué
qu'exceptionnellement les cours donnés, avec le sentiment de
devenir chaque jour un peu plus savant, mais qu'avant de l'être
vraiment,il faudrait encore pas mal de temps, beaucoup d'ouvrage et
de courage.En fin de compte, l'ai-je seulement été un peu ?
En découvrant les T.P.
et enseignements dirigés,c'était tout autant l'occasion de pénétrer
dans divers laboratoires.
Pour la Chimie,il fallait
se rendre à l'ENSIC, rue Grandville; les exercices tenaient d'une
drôle de cuisine où, mêlant anions et cations,en ajoutant quelques
gouttes de ceci ou cela en évitant d'avaler le contenu d'une
pipette,en chauffant quelques instants,en agitant aussi parfois, on
voyait apparaître quelque précipité ou changer de couleur le
mélange élaboré dans une éprouvette ou un erlenmeyer; restait
alors à transformer le résultat en chiffres,courbes ou schémas.
Se servir d'un
microscope pour y voir ce qui se cache entre lame et lamelle et
surtout comprendre ce qu'on y découvre,en même temps qu'apprécier
l'esthétique contenue par certaines coupes histologiques, c'était
comme aborder un nouveau monde.
Parler
Anatomie, c'est ouvrir un chapitre à part; c'est une
façon de cheminer de la mort vers la vie comme d'étudiant on peut
devenir chirurgien.
Evoquer les T.P.
d'anatomie renvoie nécessairement au travail sur cadavres.
L'expérience que
j'avais pu connaître de la mort au cours de ma jeune existence
tenait au décès de mes grands-parents maternels dans un village
d'Alsace, et plus particulièrement de ma grand-mère; je la vois
encore, allongée dans une robe noire sur un lit parfaitement bordé,
son chignon de cheveux gris toujours aussi parfaitement mis, un
rosaire placé dans ses mains jointes pour une ultime prière, le
visage apaisé et lointain.
En pénétrant pour la
première fois dans la salle de dissection, ce fut là une toute
autre rencontre avec la mort, brutale. Une rencontre d'une toute
autre dimension par la découverte d'une série de corps nus,
couverts de lividités, exposés impudiques sur des tables de
granite, exhumant une pénible odeur de formol; des corps objets,
anonymes, dépouillés de tout, y compris et surtout de ce qui
pouvait rappeler la vie; Comment faire abstraction de l'âme qui les
habitait il y a encore peu, et comment admettre le comportement
irrespectueux de certains étudiants à leur encontre. Cette réalité
avec la mort en rejoindra d'autres au décours de mon exercice de
chirurgien.
Pour bien enseigner
l'anatomie,que l'on soit simple prosecteur ou professeur, il faut la
capacité de dire de mémoire un texte à la syntaxe et au
vocabulaire à la fois précis et spécifiques en même temps que
dessiner (à l'époque aux craies de couleur sur tableau vert) des
schémas et plans de coupe aussi figuratifs et justes que possible,
et témoignant d'une certaine esthétique de préférence. Certains
excellaient particulièrement dans cet exercice combiné,oratoire et
pictural, et sur des sujets aussi
complexes
que le système nerveux central ou médullaire, comme le Doyen Beau
ou le Pr. Cayotte (réputé aussi pour sa collection de cravates).
Matière ingrate pour beaucoup, les colles périodiques dans cette
discipline en désespérèrent plus d'un.
L'anatomie était alors
encore considérée comme une discipline fondamentale maîtresse,
justifiant qu'un temps important soit consacré à son enseignement
et son apprentissage. Au concours de l'Internat, elle pesait autant
que la biologie. En la potassant bien au cours des deux premières
années de fac, ce que j'en ai mémorisé alors m'aura à l'évidence
été des plus utiles, non seulement pour l'internat, mais pour
toute ma pratique chirurgicale future.
Pour le
chirurgien,le travail d'apprentissage des techniques opératoires va
de pair avec celui de l'approfondissement de l'anatomie descriptive
et fonctionnelle; il faut alors comprendre cette dernière comme un
puzzle, qui, dès lors que les multiples pièces le composant sont
correctement assemblées, fait découvrir quelque chose de
merveilleux et étonnant. Certains, comme le Pr. Bonnel, chirurgien
et anatomiste montpelliérain, savaient captiver leur auditoire sur
des sujets ésotériques en expliquant l'anatomie à partir de ses
finalités; classiquement on tend plutôt à déduire les
possibilités fonctionnelles à partir de l'analyse descriptive des
structures concernées; il prenait délibérément le parti inverse,
cherchant à déterminer à quelles solution ou adaptation
anatomiques la Nature avait abouti pour satisfaire à une fonction
déterminée avec la meilleure ergonomie qui soit. Quelques exemples
:
- en quoi l'existence d'une coiffe des rotateurs est la meilleure réponse pour que l'épaule fonctionne avec la meilleure sécurité et le meilleur rendement.
- en quoi le découplage des articulations de la cheville et de l'arrière pied constitue le seul moyen d'organiser à la fois une propulsion efficace, une bonne stabilité à l'appui et une adaptation permanente du pied au sol qui soit performante
- en quoi le dessin si particulier des articulations sous-astragaliennes, qui fait que le calcanéum vire, tangue et tourne sous l'astragale, permet cette adaptation optimale du pied au sol.
- en quoi les ligaments croisés du genou sont la clé de voûte de la cinétique de cette articulation, et comment leur déficience met en jeu ou altère les structures de voisinage. Etc...A partir de telles réflexions qui n'ont rien de théorique, on aboutit dans une même synthèse au pourquoi de la présence et du « design » de telles ou telles structures anatomiques, au comment de leur fonctionnement cohérent, au pourquoi des effets de leurs atteintes, au comment des meilleures solutions pour y pallier. Le puzzle est alors parfaitement assemblé.
Toute année
universitaire se conclut par des examens. L'année 1961-62
correspondait à la mise en oeuvre d'une importante réforme des
études médicales, la première d'une longue série. Exit le PCB
(Propédeutique Physique Chimie Biologie) dont l'enseignement était
éclaté entre Facs de Sciences et Médecine pour tout concentrer sur
la 1ère année de Médecine. Entre autres innovations, nous fûmes
gratifiés d'une double série d'examens, en février et juin. En
raison du nombre important d'étudiants, il fallut nous familiariser
avec les QCM (questions à choix multiples), avec leurs diverses
variantes, figurant alors comme le dernier cri en matière
d'évaluation. Bien que le numerus clausus ne fût pas encore
d'actualité, la sélection n'en était pas moins réelle, ne passant
en seconde année pas plus d'un étudiant sur quatre.
. Je
rentrai pour ce qui sera les dernières grandes vacances verdunoises
tous mes examens en poche. J'étais rassuré pour la suite, la voie
choisie semblait être la bonne. Je crois que mes parents, même
s'ils se montrèrent peu expansifs à leur habitude, furent autant
si ce n'est plus heureux que moi. Mes aînés ayant connu les mêmes
satisfactions, ceci ne fit que les conforter dans la nécessité de
se fixer à Nancy dès la rentrée suivante.
Les
Années Fac : Suite et Premiers pas à l' Hôpital
Pour la rentrée
1962, changement de décor.
L'acquisition de la
maison envisagée par nos parents dans le quartier N-D de Lourdes
n'ayant pu se concrétiser en dernière minute, ils se rabattirent en
catastrophe sur un appartement déniché par une ancienne amie de ma
mère dans le quartier de la gare. Situé au 2ème étage d'un
immeuble à l'écart de la circulation urbaine, il apparaissait au
premier coup d'oeil d'un sinistre saisissant: il sentait le vieux et
l'abandon, avec tapisseries noircies et pisseuses, des parquets et
peintures d'un gris pas encore de mode; les fenêtres principales
donnaient sur les murs d'un entrepôt de quincaillerie inspirant la
tristesse, et sur ceux plus en retrait, d'un silo à voitures barrant
toute perspective.
Le premier coup au coeur passé, on sut à quoi passer une partie
de nos vacances d'été; avec mon frère Jean-Claude nous nous mîmes
gaillardement à la tâche. On apprit vite que peintre en bâtiment
était un métier, et que comme dans tout métier, il y a une courbe
d'apprentissage (pas une courbe de Gauss); pour retirer les diverses
épaisseurs de papier peint, il ne suffit pas de travailler de la
seule raclette, mais l'investissement dans le Dissoucol dilué à la
bonne posologie est tout bénéfice; le Saint-Marc, s'il nettoie
efficacement, décape les épidermes; peindre des baies vitrées en
ne colorant que les montants sans opacifier les carreaux adjacents
est un exercice de patience qui connaît des limites. Quant à
redonner leur blancheur aux plafonds, on n'insistera jamais assez sur
l'ingratitude de l'exercice, d'autant que la peinture acrylique
n'était pas encore connue, de nous en tous cas. Je ne conseille pas
pour cet usage le Blanc Jardin - c'est le nom du produit, sans doute
à base de poudre de plâtre, proposé dans cette indication à
l'époque - ; après la pose de deux couches sur le plafond de
la salle à manger, ce qui représentait un effort et une prise de
risques louables vu la hauteur du dit plafond et les qualités de
l'escabeau à disposition, le résultat ne tint pas de la blancheur
idyllique attendue. Qu'à cela ne tienne: en rajouter une couche et
les satisfactions attendues ne sauraient manquer; le travail terminé,
c'était nettement mieux, en tous cas plus blanc; mais hélas dans la
soirée on vit se développer une succession de cloques comme si la
surface peinte était atteinte d'une gigantesque varicelle ou plutôt
d'une dermatose bulleuse ! Ecoeuré, j'allai me coucher sans dîner.
Au
final,il fallut emménager,le chantier de rénovation étant loin
d'être terminé; on n'échappa pas à faire appel à d'
authentiques professionnels pour finir le travail. Pour ma part, je
fus heureux d'abandonner pinceaux et brosses à encoller pour
reprendre stylo et cartable et retrouver le chemin de la Fac -en
vélo- afin d'attaquer la 2ème année.
Pour terminer sur ce
sujet, il faut préciser que nous vécûmes quelques années à sept
dans cet appartement quatre pièces-cuisine, au chauffage central
alimenté par un poêle à charbon avant d'en changer. Les deux
filles avaient leur chambre, par ailleurs passage obligé pour
accéder à la salle de bains; les trois garçons avaient la leur,
avant que Jean-Claude n'émigre un peu plus tard vers la chambre de
bonne au 4ème, entièrement rénovée pour la circonstance sans
faire appel à des professionnels. Il est certain que pour les uns et
les autres les conditions pour étudier ne furent pas toujours
idoines; on s'en contenta, ce qui n'empêcha pas chacun d'arriver à
une conclusion heureuse de ses études. Ensuite, petit à petit,à
mesure que chacun fit son nid, l'appartement vit son nombre
d'habitants se restreindre. Pour ma part, j'y vécus jusqu'en 1968,
c'est-à-dire mon départ pour le service militaire.
Ce fut toujours avec le
plus grand plaisir que les uns et les autres retrouvaient le 14 rue
de Serre, surtout aux occasions que savaient créer nos parents pour
rassembler leur grande famille.
Des
Sciences Fondamentales
Pour les années
couvrant jusqu'au terme du 2ème cycle, les enseignements restent
centrés sur les sciences fondamentales, mais selon une progression
permettant de glisser des données générales à l'explication et la
compréhension des grandes fonctions vitales, ce qui les organise et
donne leur cohérence. Comment ne pas voir dans la mission de chaque
enseignant celle de délivrer, chacun dans son domaine, les pièces
d'un vaste puzzle dont il serait détenteur; à l'enseigné de faire
l'effort de les identifier puis les assembler en bonne place. Mais au
final, qui peut prétendre être en mesure de reconstituer
l'intégralité de ce puzzle, au nombre de pièces quasi infini, et
de ce fait prétendre à un savoir complet sur l'être humain. Quant
à percevoir les contours et la profondeur de la nature humaine,
c'est une autre histoire et un autre défi. En fin de compte, qu'il
n'y ait qu'un côté partiel, voire superficiel à certaines notions
enseignées, et plus encore acquises, est une évidence, tolérable à
condition de ne pas transiger avec l'essentiel.
La Biochimie
(Pr. Paysant) se dissèque en acides aminés conçus pour s'associer
savamment en polypeptides et protéines, en lipides destinés
certains à circuler, d'autres à être stockés, et pour sucrer le
tout, en oses divers à cinq ou six carbones. Toutes ces molécules
jouent à se combiner et interagir pour la plus grande satisfaction
de métabolismes bien déterminés , tel l'universel cycle de Krebs;
ailleurs leur finalité sera de participer à la constitution d'une
infinité de cellules, formant elles-mêmes la trame d'une diversité
incroyable de tissus s'organisant enfin en entités anatomiques bien
définies, faites elles-mêmes pour satisfaire à des fonctionnalités
précises et cohérentes. Tout cela se joue dans un subtil et
permanent équilibre entre anabolisme et catabolisme, entre
facilitations et inhibitions; toutes ces régulations sont comme
soumises à l'autorité de micro-ordinateurs parfaitement coordonnés
par un ADN qui réussit l'exploit de faire en sorte que chaque
individu soit différent de son voisin, tout en restant son
semblable. Je ferais par ailleurs preuve d'une coupable injustice si,
pour expliquer ne serait-ce que partiellement cette magnifique
harmonie,
- je faisais fi d'une douzaine de vitamines jouant leur rôle à doses homéopathiques,
- je faisais abstraction de multiples dispositifs hormonaux placés sous la baguette de l'hypothalamus et sa voisine l'hypophyse,
- je faisais silence sur les mécanismes humoraux transmetteurs d'influx et d'informations,
- je semblais tout ignorer des liquides circulants, tantôt transporteurs de substances vitales, tantôt véhicules chargés de l'élimination de déchets produits par cette vaste usine chimique à la fois consommatrice et productrice d'énergie que constitue l'organisme humain.
- je semblais méconnaître que le même liquide sanguin s'écoule fluide et sans caillots tant qu'il reste dans ses contenants, les vaisseaux, et qu'il sait enclencher par un processus complexe et bien rodé l'arrêt du saignement, dès qu'une blessure, même infime touche à son espace circulant.
Cet ensemble
infini de molécules mises en jeu dans un ordre défini, selon des
codes préétablis, qui se mobilisent, s'associent, se désunissent,
interfèrent sans discontinuer, dans un équilibre tantôt précaire,
tantôt durable, orchestré, cela porte un nom: la Vie. Le plus
surprenant est que toute cette machinerie, on ne peut plus complexe,
puisse fonctionner selon une harmonie totale au point que nous n'en
avons habituellement pas conscience; communément, cela porte un
nom: la Santé.
Que des
dérèglements, même très limités, se produisent au cours du
temps, devrait moins surprendre; le danger tient surtout aux effets
en cascade engendrés; communément, cela porte aussi un nom: la
Pathologie. S'ouvre alors un chapitre infini, aussi infini que celui
qui compose la Vie.
A quelques encablures de la
Biochimie se trouve la Biophysique.(Pr.Burg et
Martin),elle-même découlant de la Physique tout court. Elle a ses
lois, intangibles, qu'on ne peut ignorer même si elles ne sont pas
toujours simples à comprendre ou se représenter.Pour l'étudiant
qui ne se veut point trop savant, la plupart lui apparaîtront
tenir de l'acte de foi et leur étude du cours de droit. Dans les
lois de Poiseuille, de la mécanique quantique ou ondulatoire,
celles présidant au tableau de Mendeleïev, il n'y a pas que de la
relativité. Et à partir de ces lois on s'efforcera de comprendre :
pourquoi il y a des sons qui nous atteignent et
d'autres non, comment la lumière peut se décomposer et offrir des
perceptions variées,
- d'où naissent les rayons X et en quoi il y a avantage à leur opposer des films couverts d'argent: rien à voir avec les films X même s'ils mettent à nu jusqu'à l'os celui les recevant.
- comment des isotopes émettant des rayonnements différents peuvent être tantôt bénéfiques par l'énergie produite en se transformant ou en aidant aux diagnostic et traitement de certaines pathologies ou tumeurs, tantôt maléfiques parce que détruisant la source des éléments figurés du sang ou favorisant certains développements tumoraux.
On ne sait
pas toujours de quelle étoffe sont faits les êtres qui nous
entourent, mais nous nous savons tous façonnés des mêmes tissus.
En connaître constitue l' Histologie, domaine alors du Pr.
Grignon; en rien une école de confection ou de couture pour les
non-initiés ! Même si dans l'architecture des divers tissus dont
nous sommes faits il y a bien des points communs, tel le stroma
interstitiel empli de conjonctif à effet de soutien ou de
remplissage, les cellules qui les composent s'offrent dans leur
présentation, disposition, assemblage, d'une manière spécifique et
propre aux objectifs fonctionnels de chacun d'eux.
- ainsi des neurones caractérisés par leurs dendrites pour des interconnexions sans limites et des axones, qui regroupés en nerfs, n'oublient aucun territoire de l'organisme, même les plus éloignés, comme pour permettre au cerveau d'exercer son empire sur la moindre parcelle, y compris les plus distantes et anodines comme le dernier des orteils.
- ainsi de l'épiderme pour protéger le milieu intérieur de l'extérieur, des muqueuses faites pour la même fonction frontière, une frontière voulue non seulement perméable mais conçue pour les échanges.
- ainsi des os dont la trame calcifiée et orientée permet à l'être humain d'avoir une tenue autre que celle du poulpe, bâti pour se tenir debout et non pour ramper; ces os sont en règle encroûtés à leurs extrémités d'un cartilage dense et élastique à la fois, conçu dans le but de donner un maximum d'économie aux mouvements, eux-mêmes commandés par des haubans tendino-musculaires composés de cellules striées, contractiles, soumises à l'autorité neuronale via des plaques formées aux transferts d'influx.
- ainsi du syncitium mono-couche tapissant les alvéoles au contact des capillaires pulmonaires,également mono-couches, pour des échanges gazeux des plus aisés entre l'hémoglobine et l'air ambiant.
- Ainsi, ainsi de suite ...
Je reviens sur un domaine
qui me tient sans doute à coeur,à savoir l' Anatomie. Au
cours de l'année précédente,son étude s'était concentrée sur
les membres, soit le « Rouvière » tome 3 ;restaient à
avaler et digérer les deux premiers volumes.
On commencera par le
tome 1,celui qui traite de l'ensemble tête et cou. Pour retenir
l'ostéologie tourmentée et étonnamment complexe de cette région,
l'aide d'un
crâne
récupéré par ma soeur, je ne sais par quel trafic, fut on ne peut
plus judicieuse. Comment se représenter, sans toucher, le Sphénoïde
composé d'un corps sur lequel poussent deux ailes et qui s'appuie
sur le Palatin; placer les os propres du nez est facile, mais où
caser les cornets, l'unguis et le vomer ? Comment se figurer les
multiples trous perforant la base du crâne et les éléments
vasculo-nerveux qui les parcourent. Pour l'étudiant, il est heureux
que les paires crâniennes se limitent à douze ...
On ne nous a pas tout
dit sur l'anatomie du tronc: un enseignement tronqué en quelque
sorte. Je dois au Pr. Prévot (par ailleurs chirurgien infantile) de
connaître du contenant de ce tronc,thorax et abdomen; je retiens
surtout ses explications sur les mouvements de rotation in utero du
mésentère pour conduire à divers accolements péritonéaux, tels
les fascia de Toldt et de Treitz, à l'existence de l'arrière-cavité
des épiploons s'ouvrant dans la grande cavité par le hiatus de
Winslow: autant de notions et d'identités ésotériques, mais dont
la connaissance est fondamentale pour nombre d'abords viscéraux en
exploitant des plans de clivage exsangues par la possibilité de
décollements larges utilisant les dits fascias: la base même de la
dissection dite anatomique en chirurgie viscérale.
Les
disciplines précédemment citées convergent naturellement vers le
domaine passionnant de la Physiologie (Pr. Arnould et
Boulanger). Cette science explique comment s'exécutent de manière
cohérente et adaptée les grandes fonctions produites par les
différents organes constitutifs du corps humain, qu'elles soient
respiratoires, circulatoires, motrices, digestives, de reproduction
et autres ...Elle nous apprend tout autant
- comment certaines fonctions sont soumises à un pilotage automatique, capables d'adaptations appropriées, au chaud, au froid, à l'effort, au stress, au temps qui passe.
- comment il en est qui doivent rester du domaine réflexe et d'autres conçues pour subir avantageusement l'exercice de notre volonté, selon le profit sensé en retirer notre être, ne serait-ce qu' en capacités d'adaptation, protection ou anticipation.
- comment leur assemblage comme il se doit connaît comme aboutissement la constitution d'un être vivant.
- comment par la réussite finale de la combinaison cohérente et complexe de ces multiples fonctions elles-mêmes complexes se créent des êtres capables d'action.
- Mais au fait, cette science, aussi savante et aboutie qu'elle soit, explique-t-elle absolument tout, en particulier pourquoi les êtres de chair et de sang que nous sommes avons les capacités de penser, créer, aimer. Si ces dernières ne sont que les fruits de processus biologiques, elles seraient donc irrémédiablement mortelles; je veut croire qu'il se peut qu'elles soient aussi d'une autre essence . Mais qu'en est-il ? Qui sait vraiment ?
De
la Séméiologie
Arrive
enfin l'initiation à la Pathologie; le but ultime des études
médicales n'est-il pas pour l'étudiant de connaître des maladies
et traumatismes pour se placer plus tard en thérapeute ? La voie
obligée et naturelle pour aborder cet inépuisable domaine s'appelle
la
Séméiologie.
Sous ce vocable,on regroupe l'ensemble des signes cliniques ou
symptômes par lesquels une pathologie peut se manifester; leur
étude est d'abord nosologique, les présentant en tant que tels
selon une sémantique précise, souvent spécifique; elle est aussi
analytique, définissant les différents aspects sous lesquels ils
peuvent se traduire. La démarche clinique consiste ensuite à
regrouper tous les symptômes identifiés en des entités ou
syndromes, qui, correctement authentifiés, doivent orienter vers une
affirmation ou quelque hypothèse diagnostiques selon les cas; à
partir de là, on sera autorisé à solliciter les explorations
complémentaires appropriées pour accéder à ce but final qui est,
certes, d'aboutir à un diagnostic réputé exact, mais tout autant à
un lot de bonnes informations nécessaires à de bonnes décisions
thérapeutiques.
Au cas par cas, ces
recherches et identification des symptômes tiennent d'un processus
d'enquête, et comme tel, impliquent méthode et rigueur. Leurs
regroupement et mise en perspective tiennent aussi du puzzle: chaque
signe retrouvé figure comme une pièce dont l'importance et la place
se déterminent en fonction des autres symptômes décelés, valant
comme autant d'autres pièces. De l'assemblage final doit naître un
tableau -un tableau clinique bien sûr- plus ou moins démonstratif,
aussi figuratif que possible du problème à traiter.
En
pratique, les Séméiologies Médicale et Chirurgicale sont
enseignées séparément, et ce de manière assez artificielle, tant
les points communs ou de rapprochement sont nombreux; cette
dichotomie tient principalement à ce que les premières le sont par
des médecins,les secondes par des chirurgiens, et qu'il y a des
choses ou des gens qui ne se mêlent pas. Enfin, ce n'est que mon
avis.
Comme
dans toute enquête, la recherche des données commence par l'
Interrogatoire
du suspect -enfin, de la personne suspecte d'être un(e) malade.
Avant de solliciter
l'énoncé des symptômes, il est d'abord l'occasion d'établir une
rencontre, une rencontre qu'il ne faut pas manquer, entre une
personne -un homme,une femme, un enfant- ,et une blouse blanche;
tantôt elle tient d'un hasard,comme dans les situations d'urgence,
tantôt d'une demande liée à une réputation. Mais peu importe:
d'un côté il y a donc cette personne, avec son inquiétude,une
souffrance,des demandes, de l'autre il y a quelqu'un vêtu d'une
blouse blanche; d'un côté sont attendus professionnalisme et
empathie, de l'autre confiance et sincérité.Si l'enseignant sait
convaincre son auditoire sur le caractère essentiel de ces
préliminaires pour le bon déroulement de la suite, c'est bien. Mais
est-ce la règle ?
Ce premier contact
établi, passons aux aveux, habituellement spontanés.
1-
En tête de liste, une douleur, des douleurs, la Douleur.
Si elle fait suite
à un traumatisme,la correspondance est apparemment simple,sa
compréhension aisée, encore que la prudence s'impose pour parer à
une évaluation incorrecte.
Si elle est
d'installation sans facteur extérieur patent,alors laisser dire ou
faire dire le patient le plus possible est une règle première; un
bon questionnement amène de bonnes réponses,une bonne écoute une
bonne analyse, analyse capitale; de cette dernière,et à partir de
ce seul symptôme douleur, s'ouvre en règle la bonne piste à
suivre. Ainsi cette douleur:
- en coup de poignard thoracique, suffocante, signe le pneumothorax; vite, un drain, sans retard !
- d'installation brutale, crucifiante d'emblée, qui se maintient terrible, insupportable, souvent choquante, signe l'ischémie aiguë d'un territoire du coeur, de l'intestin, d'un membre, selon les cas; si,étant du même type, elle transfixie de plus l'abdomen ou le thorax et s'associe à une anémie témoin d'un saignement, elle a toute chance d'annoncer une rupture aortique. S'offrant ainsi,à elle seule, elle signe l'urgence absolue.
- spasmodique, évoluant par paroxysmes de plus en plus redoutés, elle signifie probablement la lutte d'un viscère contre un obstacle: irradiant vers l'omoplate droite,elle signe la lithiase biliaire, vers le bas-ventre un calcul urétéral, à l'ensemble de l'abdomen une occlusion intestinale qui peut-être se développe.
- d'installation progressive pour devenir pulsatile, lancinante, interdisant le sommeil, elle évoque une inflammation qui se mue en suppuration; et ceci est aussi vrai par exemple qu'il s'agisse d'une racine dentaire ou d'une pulpe digitale; elle signe une nécessaire mise à plat au plus vite.
- survenant sur une articulation,on la dit mécanique si elle est liée aux mouvements, à l'appui, source de boiterie ou d'enraidissement, sensible au temps qu'il fait comme au temps passé; elle signe sans surprise l'entrée dans l'arthrose, subie alors souvent comme une pénible fatalité mais où le miracle reste possible par prothèse (inter)posée.Poursuivre ce chapitre me devient trop douloureux.
Voyons
autre chose.
2-L'interrogation
du thermomètre peut apporter davantage que celle du patient pour
juger de sa Température
ambiante.
- trop basse, on parle d'Hypothermie; s'abaissant encore, elle risque de tuer froidement
- trop élevée, le malade dit qu'il a de la fièvre, le médecin qu'il fait de l' Hyperthermie; entre l'état subfébrile et les 40 frissonnants tous les intermédiaires sont possibles; au fil du temps, le report des chiffres sur une feuille dite de température fait parler de température en V, ondulante, en plateau, hectique ...La fièvre de cheval par contre est à voir dans l'art vétérinaire ...Poursuivre ce chapitre me donne la chair de poule.
- Voyons autre chose.
3-
Passons au Tube
Digestif
par exemple.
Le bol
alimentaire peut connaître des parcours incertains ou aléatoires
avant que d'être digéré. Ainsi, rencontrant un obstacle au bas du
pharynx ou sur l'oesophage, il devra se faire petit ou pâteux pour
contourner une dysphagie. Ou bien, rencontrant un pylore fermé, ne
serait-ce que momentanément,il peut faire le trajet inverse mêlé à
un vomissement dit alimentaire, mais qui peut, par un mécanisme
réflexe intempestif perdurant,devenir bilieux, peu productif, mais
reste toujours aussi pénible; qu'il s'y ajoute du sang, on parle
d'hématémèse; que l'obstacle antro-pylorique soit organique et
total, jamais ce bol n'aura la chance de parcourir le long chemin
intestinal, rejeté invariablement dans des vomissements en
tombereau. Inversement, il se peut qu'il parcourt le dit chemin à
une vitesse abusive et incontrôlée, sans possibilité de se poser
un instant, dans une diarrhée dite post-prandiale. Pas de
veine,vraiment pour ce bol ! Quant à prétendre que les expressions
« pas de bol », « ras le bol », tirent leur
origine dans les avatars rapportés, la prudence s'impose.
Autres aspects
transitaires: il est des constipations étonnamment
opiniâtres, des diarrhées tenant de la débâcle,au pire des cas,
cholériformes car exceptionnellement cholériques; quand de plus les
selles se font mastic pour mieux adhérer au plat-bassin et em...der
l'aide-soignante, on touche à l'improbable !
Quant à la
boulimie,l'inappétence,l'anorexie, le transit en tire profit ou en
est victime, mais n'en est en rien la cause, une cause à
rechercher ailleurs.
Poursuivre
ce chapitre pourrait couper l'appétit.
Voyons
autre chose.
4-
Ce qui touche au Coeur
par
exemple.
- le coeur, c'est d'abord une question de tension; en connaître par la prise des pressions systolique et diastolique tient de l'indiscrétion médicale la plus élémentaire; l' Hypotension traduit une méforme certaine; l'Hypertension ne signe pas pour autant la superforme, surtout si elle se fait maligne.
- le coeur, c'est aussi une question de rythme; fonctionnant comme une horloge, il bat le temps et garantit qu'on le vit; qu'il en manque,il bradycarde; qu'il en ait trop, il tachycarde; qu'il soit désordonné, c'est l'arythmie, l'anarchie en quelque sorte.
- le coeur, c'est encore une question de courant; fonctionnant comme une pile alternative, il irradie ses impulsions électriques par des faisceaux; en connaître se fait grâce à l'électrocardiogramme: il y est question d'ondes en forme de Q,de R,S,T ...;que le Q se négative n'est pas bon signe; qu'une onde de Pardee apparaisse annonce l'infarctus; que le tracé s'aplatisse subitement, un bon massage s'impose ... Poursuivre ce chapitre me fend le coeur.
- Voyons autre chose.
5-
Ce qui touche à l'
Appareil Respiratoire
par exemple.
Pour avoir
du souffle, il ne doit pas manquer d'air, fonctionnant comme un
moteur qui carbure à l'oxygène:
- qu'il en manque, c'est l'hypoxie doublée d'une dose d'hypercapnie, annoncée par un changement de couleur du visage et des mains d'abord, qui se cyanosent,virant au bleu.
- qu'il se mette à tousser signifie au minimum qu'il est en train de se gripper; d'abord toux sèche, quinteuse, voire coqueluchoïde, qui peut devenir humide,grasse,productive; en d'autres termes, par un processus dit d'expectoration,sont extériorisés des crachats, tantôt spumeux ou muqueux, tantôt puriformes ou carrément purulents, tantôt teintés de sang, hémoptoïques: classiquement,en bon clinicien,outre leur analyse par un regard approfondi au fond du crachoir,on testera leur adhésivité aux parois du dit crachoir: toute une science !
- qu'il ait du mal à se saisir de l'air ambiant définit la dyspnée, inspiratoire avec tirage et cornage, ou expiratoire,asthmatiforme. Y a-t-il plus grand supplice que devoir des efforts conscients,épuisants, pour aspirer l'une après l'autre quelques goulées d'air, avec cette sensation d'en manquer en permanence, le patient devant rester assis dans son lit ou son fauteuil faute de pouvoir s'allonger,n'osant plus dormir de crainte de ne pouvoir jamais se réveiller.Poursuivre ce chapitre me coupe le souffle.
- Voyons autre chose.
6-
Parlons
Voies Urinaires
par exemple.
Mirer les
urines, les tester du bout des doigts pour déceler sucre ou
ammoniaque, tiennent d'un art ancien qui, sans remonter à Molière,
semblaient de nature à permettre les plus audacieuses divinations
sur les humeurs du patient et les phlegmasies supposant le traverser.
De nos jours,c'est d'un oeil distant,voire distrait, qu'on louera
leur transparence ou déplorera leur aspect trouble, la présence de
filaments moirés ,de dépôts peu engageants, voire leur caractère
macroscopiquement sanglant,alors inquiétant au plus haut point;
c'est sans déplaisir que le soignant s'en remettra aux laborantines,
qui du bout des lèvres,tirant sur leur pipette,sauront en prélever
ce qu'il faut pour y quantifier les substances dissoutes, compter les
cellules y flottant, identifier les bactéries les contaminant;
Gloire à elles !
L'Urologie
est un domaine pour partie sexiste, anatomie oblige.
- L'homme,l'âge venant, redoute l'obstacle prostatique par sclérose,adénome ou cancer; une dysurie, nycturie, pollakiurie, progressivement contraignantes ne trompent pas; le négligent est guetté par la rétention aiguë ou l'incontinence par regorgement; autant dire qu'il est candidat à un sondage, lequel n'a rien à voir avec la curiosité d'un institut ad hoc puisqu'il se résume à la pose d'un tuyau salvateur en attendant mieux. Pisser ou mourir. Plus confidentielle est la goutte matinale; rien à voir avec un petit verre de schnaps au petit déjeuner,car, urétrale, elle fait craindre la blennorragie et ses gonocoques, pas toujours d'accord pour disparaître à jamais.
- La femme, l'âge venant aussi,redoute, elle, l'incontinence et les fuites à cause d'un
plancher périnéal de plus en
plus déficient. Pas plus que pour l'homme, rien qui ne
prête à sourire
Poursuivre
ce chapitre me coupe toute envie.
Voyons
autre chose.
7-
Passons au Système
Nerveux
par exemple.
Accéder à
sa compréhension n'est déjà pas simple en fonctionnement normal;
il faut un cerveau de neurologue pour s'y entendre un minimum dès
lors qu'il quitte les bons rails. Qui plus est,la proximité d'un
dictionnaire de dernière génération est des plus utiles pour qui
veut accéder à l'ésotérisme du vocabulaire employé.
- Les troubles moteurs se déclinent en mono, hémi, para – plégie ou parésie, en paralysies flasques ou spastiques.
- Les troubles sensitifs se définissent en pares, anes, hyperes, hypoes – thésie. (!?)
- Broca et Wernicke ont tout dit des troubles phasiques.
- Stupeur et tremblements sont du registre de Parkinson et pas seulement l'apanage d'E. Abécassis.
- Peut-on dire du bien du Grand et du Petit Mal ?
- Adiadococinésie, nystagmus et démarche ébrieuse ont leur origine dans un cervelet altéré.
- Je n'insisterai pas sur les praxies; j'ai beaucoup oublié sur les gnosies, et je ne veux pas faire la connaissance du dénommé Alzheimer.
- Entendre disserter sur les comas tient du roman noir; mais avec le Pr. Larcan au pupitre, grâce à la clarté de sa parole, sa pédagogie,son savoir encyclopédique, on pouvait avoir l'envie d'y sombrer !
De ce
rapide énoncé, beaucoup de pièces manquent. Ma mémoire
serait-elle défaillante, ou plutôt comme vous le pensez sans doute,
n'aurai-je pas été assez assidu en temps voulu comme je le crois.
En
première approche de l'univers neurologique, il apparaît surtout
qu'être atteint dans son système nerveux, c'est hériter d'un
handicap souvent sévère, souvent déficitaire soit d'emblée soit
de façon progressive, et rarement accessible à une thérapeutique
qui sache guérir; seuls peuvent dire combien il brise les existences
ceux qui en sont victimes et leurs entourages immédiats; de plus,
étant souvent de nature à s'exposer au regard d'autrui, il peut
détruire d'autant plus.
Poursuivre
ce chapitre est trop déprimant.
Pour
moi, l'interrogatoire est clos.
Pourtant, de tout ce qu'il
peut apporter, je n'en ai pas tout dit, bien évidemment.
Vouloir prétendre à
l'exhaustivité de tous les justes mots employés pour désigner tous
les injustes maux susceptibles d'atteindre à notre bien-être a tout
risque d'aboutir à la production d'un catalogue style La Redoute,
tant en volume que par la diversité et la richesse des rubriques
contenues. Je m'en garderai.
Passé l'interrogatoire.
venons-en à la mise en examen.
l' Examen
Clinique bien-sûr.
Avant d'en traiter, quelques
considérations touchant aux conditions de son initiation; je ne sais
si elles ont fondamentalement changé .
Les aspects théoriques
étaient traités en cours magistraux en amphithéâtre.
L'enseignement clinique
proprement dit était donné par des Agrégés ou des Chefs de
Clinique au sein de Services de l'Hôpital Central (le C.H.U.de
Brabois n'était pas encore construit); pour l'étudiant que
j'étais,comme pour la majorité de mes camarades, ce fut là le
premier contact avec l'univers hospitalier, un contact assez lointain
il est vrai. En pratique, les étudiants étant répartis en divers
groupes, cet enseignement était dispensé selon deux modalités
principales:
- Dans le premier cas, réunis dans ce qui s'appelait la Salle de Jour, au confort spartiate, située derrière la Chapelle, ou dans un local attenant à un Service, le conférencier faisait venir un ou des patients consentants pour se soumettre à l'interrogatoire et au regard d'étudiants, à leur examen par quelques-uns; suite à quoi,le patient s'étant retiré, étaient données les explications traitant du cas concret et de l'affection qu'il illustrait.
- Dans le second cas, nous étions conduits dans le dédale d'un Service pour un enseignement dit au lit du malade; regroupés sagement, parfois compactés, autour d'un lit portant un malade, il y avait intérêt à se trouver d'emblée en bonne place pour voir et entendre sans avoir à se tordre le cou ou demeurer sur la pointe des pieds; en revanche, ceux situés au premier rang avaient toutes chances d'être sollicités pour avoir à répondre, sensément de préférence, à de bonnes questions devant la communauté présente, ou à en poser une à leur tour qui n'apparaisse pas idiote. Il est évident que plus le groupe était restreint, plus on pouvait trouver d'intérêt à ce type de présentation, sous réserve d'être en compagnie d'un conférencier pédagogue, disponible, pas trop hautain ni pédant.La vraie pratique clinique, je l'apprendrai en réalité au cours des étapes suivantes, à savoir l'Externat et l'Internat.Je ne savais pas que je connaîtrais quelques années plus tard le privilège d'être à mon tour dévisagé par des étudiants apparemment sages, certains se tordant le cou ou demeurant sur la pointe des pieds, rougissant d'une réponse redoutée idiote, hésitant à poser leur question malgré l'invitation faite.Enseigner et soigner ont au moins deux points communs: à savoir d'entrée de jeu mettre en confiance et faire preuve de patience.Examiner un patient met en jeu, en alerte, les divers sens de son examinateur, à commencer par son sens pratique; au fil du temps et de l'expérience se forme, se développe un autre sens essentiel pour tout médecin: à savoir le sens clinique.
Inspection –
Palpation – Percussion – Auscultation – TV, TR, en pathologie
abdomino-pelvienne.
L'
Inspection
On commence donc
par regarder la personne en face de soi; simple,mais en apparence
seulement.
D'abord,
s'attarder sur son visage. Au premier coup d'oeil on repérera :
- la pâleur de l'anémique, les conjonctives décolorées,
- le teint jaune paille de l'ictérique, ses conjonctives pareillement colorées,
- le teint cyanique, voire vultueux de l'insuffisant respiratoire,ses jugulaires tendues,
- le teint gris, plombé du patient en choc septique;la péritonite aiguë se lit sur le visage, que l'on qualifie alors de faciès péritonéal. Qu'à l'ouverture de la bouche la langue apparaisse sèche, rôtie, c'est que s'y ajoute une grave déshydratation: sans attendre, que l'on apporte de l'eau et du sel.L'examen par le regard, c'est aussi aller à la rencontre de celui d'un autre, avec ce qu'il peut contenir d'attente, inquiétude, souffrance, de tristesse et de larmes parfois.
De la
contemplation d'un ventre, on le jugera :
- plat ou ballonné, parfois d'un volume tel qu'il suscitera des comparaisons inédites pour le profane: ventre en obusier, de batracien ...
- respirant normalement ou non, cette expression laissant suspecter que les poumons pourraient avoir changé d'étage ...
- balafré de cicatrices pour avoir déjà donné à la Chirurgie,laissant craindre des adhérences qui n'ont pas bonne réputation pour le transit intestinal.
- déformé par une éventration, une hernie, les plus grosses n'étant pas nécessairement les plus dangereuses.
- dessiné par une circulation collatérale, elle-même dégât collatéral d'une hypertension portale ...
- chez un accidenté, c'est pour juger non seulement des déformations dues à une fracture ou une luxation, mais tout autant de la menace pesant sur la vitalité des téguments au contact. qu'il y ait ouverture d'emblée ou non.
- chez l'artéritique, c'est pour apprécier d'emblée du degré de coloration -ou de décoloration- des extrémités et donc du niveau d'ischémie possible; au premier coup d'oeil, le constat d'une plaie nécrotique ou d'un orteil momifié, et c'est l'annonce d'une mauvaise nouvelle qui se profile.
Parcourir du regard
un membre, supérieur ou inférieur,
La Palpation
Toucher le corps de ses
semblables est un privilège sollicitant du tact, dans tous les sens
du terme. Les mains posées à plat, avec douceur, avec chaleur,
comme pour apprivoiser là où cela fait mal, ce sont en fait les
pulpes digitales qui mènent l'enquête.
Il s'agit d'abord de
localiser la zone siège d'une douleur élective,qualifiée même
d'exquise (!) quand elle se concentre en un point très précis comme
au site d'une fracture non déplacée.
Au niveau d'un abdomen
souffrant, on demande également à la pression douce des doigts de
rechercher au point douloureux une éventuelle réaction dite de
défense, comme si la paroi se contractait pour se protéger de la
main inquisitrice; ailleurs, ils pourront déjà se trouver face à
une contracture localisée. Si par un retard regrettable cette
contracture apparaît GPTI, à savoir généralisée – permanente
-tonique – invincible -,on se trouve devant un ventre de bois, un
état qui sent le sapin si de suite ne sont pas mises en oeuvre les
bonnes décisions.
Ailleurs, la même main
aura à se prononcer sur l'existence d'une tumeur, son volume, ses
limites, sa consistance. la présence ou non d'adénopathies, ou
comme à définir les caractères d'une collection dans ses
localisation et extension, son degré de rénitence ou de tension, et
en conséquence sur la nécessité et l'urgence de sa mise à plat.
Sur un genou qui
s'épanche, une pression brève mais appuyée du bout des doigts sur
la patella est de nature à produire un choc -un choc rotulien
s'entend.
Mettant à profit les
vertus thermométriques du dos de la main, son contact sur un front
brûlant affirmera qu'il y a fièvre, ailleurs là où une
inflammation s'installe. Pareillement sera apprécié le
refroidissement d'un segment de membre en ischémie; les pulpes de
l'index et du médius alors placées aux bons endroits pour
rechercher les pouls sauront prédire là où se situe
l'interruption du flux artériel.
La Percussion
Sa technique
consiste à frapper du bout des doigts de la main droite sur le dos
de la main gauche elle-même bien posée à plat sur le thorax ou
l'abdomen pour en tester les sonorités pouvant en émaner; voilà
une instrumentation simple et peu onéreuse, mais qui exige de se
couper les ongles. Il faut une écoute attentive et exercée pour
repérer tantôt une matité, tantôt une sonorité, qui sortent de
la norme.
Une matité perçue
dans les flancs de l'abdomen ou à une base thoracique évoque en
premier lieu l'épanchement liquidien; elle oriente au besoin vers le
geste qui en découle, à savoir une ponction à l'aiguille,
exploratrice avant d'être évacuatrice. C'est parfois l'occasion
d'une vraie surprise; ainsi pour ce marinier d'eau douce à qui
l'annonce que je lui fis d'avoir une plèvre remplie d'eau laissa
pantois: lui, qui ne buvait jamais d'eau de son propre aveu ! On
retrouve le même étonnement chez le cirrhotique éthylique
comprenant mal pourquoi son foie se mette à transformer le vin en
eau; de plus,que la pression sur une hépatomégalie flottant dans
l'ascite donne le signe dit du glaçon tient de la provocation pour
qui ne suce pas que de la glace, à moins que celle-ci n'ait d'autre
usage que de rafraîchir le pastis !
Constater une
hypersonorité pouvant culminer au tympanisme revient à affirmer un
épanchement gazeux là où il ne faut pas , ou la présence de gaz
là où il faut mais en volume excessif: dans les deux cas, une
situation plus qu'anormale, grave; il est heureux que de nos jours il
y ait d'autres moyens pour affirmer le pneumopéritoine par
perforation d'un viscère creux que la sonorité préhépatique !
L' Auscultation
Grâce à elle,
c'est une autre façon d'écouter son malade et ce que son corps peut
avoir à dire.
Au plan technique,
elle est dite immédiate quand l'oreille de l'examinateur s'applique
directement au contact de la zone à explorer, le thorax avant tout.
La seule fois en j'en vis une démonstration ce fut par le Pr.
Louyot, en Rhumatologie; conformément aux bonnes pratiques –
anciennes -,un voile de Soeur de St. Charles avait été posé sur le
dos du patient avant qu'il n'y collât son oreille; je ne sais si ce
qu'il entendit lui parut plus angélique ou s'il trouvât un agrément
particulier au toucher de l'étoffe; quant à prétendre que
l'obsolescence de cette méthode tient à ce que les nonnes aient mis
les voiles des hôpitaux, ce serait excessif ...
Elle est dite médiate quand
elle se fait par l'intermédiaire d'un instrument inventé par
Laënnec- et amélioré depuis -, à savoir le stéthoscope,
préférable à la méthode précédente qu'il a mis au rancart.
- appliqué sur un thorax, à qui il est demandé d'inspirer, expirer, tousser, il met à l'écoute des finesses du murmure vésiculaire ou de variations sur d'autres thèmes moins musicaux, tels ceux émanant de ronchus sibilants ou de râles crépitants ...
- posé à l'avant gauche du même thorax, c'est le coeur qui parle par ses bruits de pompe, de valves qui claquent: qu'on surprenne un bruit de galop n'est pas un signe de santé pour le myocarde...
- en bonne clinique, l'abdomen demande aussi à être entendu: l'imposition des mains ne suffit pas. Qu'on y décèle des bruits hydro-aériques au son de borborygmes est de bon augure; au mieux ils rendent compte d'un intestin qui transite normalement; au pire, cet intestin est en lutte contre un obstacle, et l'en savoir capable est rassurant ...jusqu'à un certain point ... Un silence auscultatoire signifie un transit en panne, ce qui est malheureux; ce l'est davantage si associé à une douleur intense ce mutisme viscéral s'enferme dans le silence sépulcral de Grégoire : signant l'infarctus mésentérique, question pronostic,la messe est dite ...
- posé sur le ventre de la mère, le rudimentaire stéthoscope obstétrical est un merveilleux outil de communication avec l'enfant en attente de naître.
- les artères aussi sont bonnes à entendre; qu'elles manquent de souffle est préférable à l'inverse, car libres de sténose significative; par contre, que disparaisse le thrill de la fistule artério-veineuse de l'insuffisant rénal, sa mise en dialyse devient impossible: une solution urgente est à trouver absolument.
- Si je me suis ainsi attardé sur l'examen clinique des patients, ce n'est pas le fruit du hasard. Il est vrai que je me suis délecté à me remémorer toute une série de notions, de thèmes, cachés souvent sous des mots tenant d'un figuratif volontiers parlant, empreints d'un réalisme à la limite de la drôlerie voire du cocasse; des mots qui semblent venir d'un autre temps, fruits d'une tradition colportée jusqu'à nos jours, des mots -avouez-le- qui ne manquent pas de charme; un charme que je ne retrouve guère dans le vocabulaire contemporain induit par les concepts et techniques modernes; gageons cependant que les générations futures puissent dans ce dernier y trouver à leur tour comme un parfum de temps jadis !
J'y ajoute
une autre raison :ces notions apprises pour être appliquées avec
conscience et rigueur, je les crois pour la plupart non seulement
toujours actuelles mais vouées à une certaine permanence pour
quelques décennies encore; en un mot toujours essentielles –
essentielles en ce qu'elles renvoient à l'essence même de la
pratique médicale, à savoir de la part du médecin assumer de son
mieux le souci d'autrui, autrui étant en l'espèce la personne se
confiant à lui.
Les Examens
Complémentaires se déduisent logiquement de
l'ensemble des données cliniques assemblées; dans la modernité
présente, il n'est pas rare, à ce qu'il me semble, que l'on agisse
dans le sens inverse.
Sans vouloir développer
outre mesure ce thème, je crois bon de rappeler que dans la
période de mes années fac les explorations complémentaires à
disposition n'avaient rien de comparable avec ce que l'on connaît
aujourd'hui en termes de qualités d'informations, facilités
d'accès,de moindre caractère invasif: en comparer sera digne d'un
chapitre à part.
Pour faire court, ces
examens peuvent être regroupés pour l'essentiel en
trois rubriques.
1- les Examens
Biologiques
En tête, les bilans
sanguins, incontournables,qui parfois, par la générosité des
prescriptions et leur répétition pouvaient bien concourir à
l'installation d'un état anémique.
Que tout ce qui est
retiré, prélevé, ponctionné, soit l'objet d'analyses ciblées,
précisant clairement leur objet,tant à des fins bactériologiques,
chimiques, ou anatomo-pathologiques, tient d'une règle intangible
dont il faut s'imprégner au plus tôt.
2-l' Imagerie
Sachant que le
scanner et l'IRM n'étaient pas encore de ce monde, elle reste
confinée à la Radiologie, dite aujourd'hui conventionnelle.
Les Radiographies
simples,ou standard, utilisent toutes les ressources des Rayons X
en termes d'incidences et pénétration pour une exploration
adéquate, avec l'inconvénient d'inscrire un volume sur une surface
plane,d'où l'obligation d'un vrai savoir et d'un oeil exercé pour
une juste lecture.
Au niveau thoracique, la
R.P.(radio pulmonaire) reste la base; j'ai connu des maîtres en la
matière capables de voir de loin ce qu'un examinateur lambda n'était
pas capable de déceler de près. Les tomographies constituaient une
première approche d'imagerie par coupes, mais sans commune mesure
avec l'apport ultérieur du scanner en termes de rendu.
- au niveau abdominal, la radio standard explorait surtout l'urgence,obligatoirement réalisée sur un malade debout pour en tirer le meilleur; schématiquement, trois possibilités:ou bien pas d'anomalie patente, ventre à priori normal ou bien un croissant gazeux sous-diaphragmatique,signant le pneumopéritoineou bien les niveaux liquides de l'occlusion, à priori du grêle si plus hauts que larges et comparés à des tuyaux d'orgues si en grand nombre, à priori sur le colon si peu nombreux et plus larges que hauts.
pour
l'analyse du squelette, traumatique ou non, cette imagerie en
première intention est toujours d'actualité, et reste à bien
connaître pour encore un certain temps ...
Les Radiographies avec
opacification faisaient avant tout appel à l'excellente baryte,
à avaler sous forme de bouillie crayeuse pour explorer le tractus
oeso-gastro-duodénal, donnée en lavement pour le cadre colique;
les produits iodés injectés par voie I.V. étaient destinés à
visualiser les voies biliaires (cholangiographie) ou urinaires
(urographie); quant au lipiodol il était réservé , aux
saccoradiculographies (pour dépistage de hernie discale) et aux
bronchographies. Les opacifications vasculaires des membres
inférieurs se faisaient par aortographie translombaire (sous
AG,patient sur le ventre) ou par ponction fémorale et les
angiographies cérébrales par ponctions carotidiennes: des
techniques non dénuées de risques, y compris dans les mains les
plus expérimentées,d'autant que pratiquées dans des conditions
tenant de l'artisanat : des conditions qui auraient toutes chances
d'envoyer aujourd'hui leurs auteurs directement en prison ...
3- L'
Endoscopie
La fibre
optique était encore à inventer, tout au moins dans ses
applications médicales.
En conséquence, elle se
faisait par tubes rigides, avec le stress et l'inconfort
qu'on imagine pour le patient et les limites de l'exploration
dans son étendue,le gastroscope
atteignant difficilement l'antre gastrique,le rectoscope dépassant
de peu la charnière recto-sigmoïdienne,
le bronchoscope butant aux divisions lobaires.
S'agissant
des investigations complémentaires, j'ai eu la chance d'être
d'une génération qui a vécu une véritable révolution, mais
surtout qui en a bénéficié : un sujet digne d'un prochain
chapitre ...
L'
EXTERNAT
1964 - 1967
1964.
L'examen de fin de 3ème année avait aussi valeur de concours pour
accéder aux fonctions d' Externe des Hôpitaux. Du lot des épreuves
passées pour la circonstance, je n'en ai pas de souvenir éclatant;
hormis une question en séméiologie médicale qui me laissa
perplexe: l'examinateur,dans sa curiosité, voulait qu'on lui dise
tout de la sphygmomanométrie...;celui qui l'ignore apprendra en
lisant ces lignes que ce mot savant (né du grec sphugmos,pouls)
désigne
les conditions de la mesure de la pression artérielle par le
tensiomètre ainsi que de la pulsatilité des vaisseaux périphériques
à l'aide de l'oscillomètre de Pachon ...
Accéder
à la fonction d' Externe était essentielle,non pas tant par le rôle
modeste qui lui était dévolu dans le fonctionnement hospitalier que
par le fait d' être partie intégrante d'une équipe médicale, d'en
vivre le quotidien, d'accéder au malade et son dossier de manière
naturelle; pour qui voulait s'en donner la peine, c'était la
garantie d'apprendre son métier de médecin par le bénéfice de la
symbiose née des relations, des échanges se faisant entre les
divers membres de la hiérarchie du service, du Patron à l'Externe.
Ce titre d'Externe, vécu comme le bas de l'échelle hospitalière,
n'en constituait pas moins le premier barreau, laissant espérer en
gravir d'autres dans le futur- pourquoi pas-, ce à quoi ne pouvaient
malheureusement pas prétendre ceux dont le classement les en avait
écartés.
N'en
restant pas moins étudiant, l'Externe connaît donc l'avantage de
pénétrer ce monde si particulier qu'est l' Hôpital;
concrètement,cela signifie y entrer chaque jour pour y travailler,
observer,apprendre. Voyons le cadre avant d'évoquer la fonction et
ce qu'il en fut pour moi à travers les stages effectués.
Le
C.H.R. de Nancy à
cette époque correspondait à ce que l'on désigne aujourd'hui sous
le terme Hôpitaux de Ville, regroupés dans un même grand quartier
(le CHU de Brabois n'étant encore pas né ni même en gestation)
avec les ensembles Villemin-Maringer-Fournier, Saint-Julien, l'
hôpital Marin, la Maternité Pinard, et le coeur du système à
savoir l' Hôpital Central.
L'
Hôpital Central. A ce stade de mon récit, il mérite que
je lui réserve comme une escale, par un détour d'autant plus
justifié qu'il fut durant mes années de formation, et jusqu'à mon
installation définitive en 1976, comme mon port d'attache; au
présent, dans mon souvenir, je le vois comme un point d'attachement,
où l'affectif le dispute peut-être à ce qu'il me revient des
réalités vécues.
Son
entrée principale se fait par un grand porche qui passé, donne
accès à une première cour; encore faut-il que le concierge, un
solide gaillard à l'uniforme noir, coiffé d'une casquette assortie,
vous lève la barrière qui en interdit le passage au tout venant;
tant que je me déplacerai en vélo, je lui épargnerai cet effort;
plus tard, avec ma vieille 2 CV, il m'aura vite repéré, et j'aurai
même droit à son salut amusé.
Dans
l'axe, la perspective s'arrête sur la Chapelle, surmontée d'une
petite flèche pointue où s'y loge une cloche se manifestant de
temps à autre sur un ton aigu; elle ferme une allée bordée
d'arbres dont le feuillage colore avec avantage ce lieu austère. Le
nouvel arrivant qui pénètre cette cour ne peut que s'attarder son
regard sur les brancards montés sur des chariots équipés d'une
paire de roues de vélo, poussés sans excès de vitesse par des gens
dont c'est manifestement le métier, seule manière à priori de
transporter les malades couchés d'un service à l'autre. S'il prend
le temps de suivre les allées et venues de ces équipages faisant
partie intégrante du décor, il en verra certains apparaître,
d'autres disparaître de chaque côté de la chapelle: c'est qu'ils
empruntent des plans inclinés couverts pour accéder aux bâtiments
bordant une seconde cour placée en contre-bas.
La
voie de gauche conduit aux services notés A :
-au
rez de chaussée: la Chirurgie A, sous la férule du Pr. Chalnot, dit
« le Pépère », un surnom appelant le respect voire la
crainte de tous les futurs chirurgiens d'alors, qui à cette époque
ne pouvaient manquer de passer dans son service. Affirmer qu'il a été
un grand maître incontesté en même temps qu'un des grands
fondateurs de l'Ecole Chirurgicale de Nancy tient d'une évidence que
se plaisaient déjà à reconnaître ses contemporains.
-au
premier étage: la Médecine A -Pr Herbeuval-, avec des orientations
affichées en Hématologie (Pr Guerci) et Maladies Métaboliques (Pr
Larcan avant qu'il ne gagne son futur service de Réanimation)
-au
deuxième étage, en fait sous les combles aménagés: la Cardiologie
(Pr Faivre et Gilgenkrantz); confort rustique assuré, froid
l'hiver, chaud l'été...
La
voie descendant à droite de la chapelle bifurque au bas de sa pente:
Poursuivant
tout droit,vous accédez au bâtiment B, symétrique du précé- dent
avec :
-au
rez de chaussée la Chirurgie B (Pr Bodart) pour les salles 2,6,et 8
en partie, et la Neurochirurgie (Pr Lepoire) pour les salles 4 et 8
pour son autre partie.
-au
premier étage: la Médecine B -Pr Kissel, initiateur de l'Ecole
Neurolo- gique de Nancy.
-sous
les combles, pas de service, mais des secrétaires et de quoi stocker
des piles de dossiers régalant une armée de rongeurs papivores.
Poursuivant
encore tout droit,longeant le bâtiment précédent sans y
pénétrer,vous arrivez à l'extrémité de cette grande cour
rectangulaire, fermée en contre-bas par le pavillon Virginie
Mauvais, réservé à la Chirurgie Infantile (Pr Beau)
Si
vous empruntez le passage couvert qui s'offre à votre droite,vous
accédez à un autre ensemble immobilier comprenant les services
d'Urologie (Pr Guillemin), ORL (Pr Grimaud), Maxillo-Faciale (Pr
Gosserez), Pédiatrie (Pr Neiman) le Laboratoire Central (Pr
Paysan), la Radiologie (Pr. Tréheux).
Je
ne m'attarderai pas sur diverses constructions préfabriquées au
confort sommaire et à l'esthétique tenant de la cabane de jardin,
occupant de-ci de-là des espaces initialement libres, affublés du
nom d'Annexes:
-chirurgicales
A et B, plutôt réservées aux patients que l'on souhaite voir de
loin, tels certains chroniques, infectés ou amputés, ou dont on
souhaite s'affranchir
du
contrôle patronal ...
-médicales,
dans les bâtiments dits Prouvé A et B, du nom de l'architecte
nancéien dont on célèbre le génie aujourd'hui, un génie qui
n'était certainement pas de nature à sauter aux yeux de ses
occupants d'alors.
Parler
de la Fonction de l' Externe devrait conduire à évoquer
en premier lieu ce qui le soucie le plus, à savoir son rôle à
jouer au milieu d'une équipe structurée selon un modèle plutôt
univoque.
Cependant, placé en découvreur d'un nouvel univers pour lui, il
s'en fait aussi l'observateur: des rituels convenus, des codes
déterminant les rapports entre les membres qui composent sa
hiérarchie, tout cela figurant comme autant de constantes. Ceci
étant, il devra s'adapter à autant de variantes qu'il y a de
services; entre certes d'abord en ligne de compte la nature des
activités qui s'y font; mais il faut peu de temps pour reconnaître,
même au plus novice, le poids déterminant du « Patron »,
sa personnalité, son aura; cela se mesure -se juge même- à l'aune
de sa présence, son autorité, sa capacité à déléguer à ses
collaborateurs autant qu'au sérieux -voire la sévérité- de son
contrôle sur leurs décisions et actions menées en son nom. A
chaque changement de stage, les plus jeunes devront rapidement
rentrer dans le moule imposé avec plus ou moins de fermeté par le
Chef de Service; quant à ceux, plus anciens et qui s'en réclament
les élèves, ils devront non seulement anticiper ses attentes, mais
agir selon sa demande ou son assentiment supposé en étant fidèles
à ses conceptions et son enseignement. De ce fait, que le Patron
placé en Maître, -à la fois maître à penser et maître des
lieux-, exerce une tutelle plus ou moins forte sur son entourage est
bien compréhensible; que cette tutelle soit parfois jugée pesante
et même « freinatrice » d'initiative par certains ne
peut surprendre. Ce sont là autant de facteurs déterminants de
l'ambiance d'un service, ambiance qui touche au bien-être de chacun
de ses acteurs, y compris les plus humbles, y compris les
hospitalisés.
Parler
de la fonction de l' Externe, avant de le voir à l'ouvrage, conduit
à évoquer la tenue et les attributs du « fonctionnaire ».
Sa blouse blanche passée,il est tenu alors de ceindre à sa taille
un tablier, analogue à celui des prosecteurs d'anatomie, avec une
poche centrale dans laquelle il loge stéthoscope et marteau à
réflexes; en possession par ailleurs d'un stylo et d'un carnet, il
est fin prêt pour entrer en scène.
Le
matin, à son arrivée dans le service, le scénario prévoit que l'
Externe doit s'enquérir des bilans sanguins à réaliser, tels que
programmés par l'interne la veille ou le matin même sur la feuille
de température. A cette époque, le matériel stérile à usage
unique n'était pas la règle: aiguilles et seringues de verre
étaient nettoyées après usage par le personnel infirmier pour être
ensuite stérilisées au Poupinel en même temps que les tambours de
compresses où l'on y puisait le nécessaire à la demande. Les
trocarts habituellement employés pour les prises de sang n'avaient
rien de rassurant dans leur aspect...Le patient voyait arriver
l'Externe jouant les insectes piqueurs avec son matériel et son
lot de tubes à remplir avec une circonspection
teintée
de crainte; son inquiétude pouvait se transformer en légitime
angoisse lorsqu'il se confirmait qu'il avait affaire à un novice
encore plus stressé que lui; il n'était pas rare qu'il revint à la
victime de prodiguer à l'auteur de ses sévices des paroles
d'encouragement quand ce n'était pas quelques conseils ...
Second
rôle à l' actif de l'Externe: veiller au bon ordre des dossiers des
patients à sa charge, la pièce maîtresse en étant la feuille dite
d'observation. « Faire l'observ. » constitue le travail
médical réservé en propre à l'Externe: un devoir écrit où il
consigne en termes médicaux ad hoc et en bon français si possible,
lisibles de tous de préférence, toutes les informations issues
des courriers en possession, de
l'interrogatoire
puis de son examen clinique; il trouve là matière à appliquer
concrètement les données théoriques qui lui ont été inculquées,
à s'interroger sur celles qui lui échappent et chercher les
réponses idoines auprès des « sachants »; à l'Interne
revient en principe d'y mettre sa conclusion après vérification du
contenu. Document de référence par excellence, autant pour la suite
du parcours de l'hospitalisé qu'en vue d'une éventuelle
exploitation ultérieure de son dossier, la rédaction de
l'observation puis ses mises à jour demandent de l'exactitude et de
l'exigence: un vrai métier ...
L'Externe
se voit volontiers confiné dans un rôle de figurant lors de la
sacro-sainte visite; il lui revient de pousser le chariot et y puiser
à la demande le bon dossier, chercher en catastrophe la radio ou le
résultat qui manquent par un fait exprès à ce moment précis
...Quant aux grandes visites patronales, elles tiennent d'un rite
processionnaire allant lentement d'un lit à l'autre; se placent en
tête de la cohorte,aux côtés du Maître, les plus élevés dans la
hiérarchie et ceux en charge directe du malade approché; ces
derniers ont tout intérêt à en connaître parfaitement et
l'histoire et le dossier dans la perspective d'avoir à répondre aux
questions immanquables et se soumettre au jugement et décisions du
chef; c'est là que la lecture en public de l'observation peut tenir
du tourment pour qui en est l'auteur. Et plus on approche de la queue
de la procession, plus les sujets de conversation s'éloignent de ce
qui se passe en tête: que fais-tu ce week-end, pas mal le dernier
film, mignonne la nouvelle petite infirmière ...Quant aux malades
placés en spectateurs d'une scène dont ils sont censés être
l'objet, voire les bénéficiaires, il y a ceux qui y trouvent simple
matière à distraction, d'autres fiers de leur statut de cas
difficile, certains rassurés de savoir tout ce beau monde à leur
service; il y a enfin ceux déçus à l'issue du passage de cette
cour de ne pas en savoir plus sur le mal qui les touche et leur
devenir; le « on va venir vous expliquer » n'est pas de
nature à les rassurer.
Dans
les services de Médecine, cette visite en grande pompe occupe
l'essentiel d'un matin. En Chirurgie,le temps qui lui est imparti est
moins long, salle d'op oblige; il est vrai que les décisions y sont
prises en amont le plus souvent et que les visites matinales ont pour
objet principal de faire la connaissance des entrants de la nuit,
s'assurer de la normalité des suites opératoires et déceler les
éventuels problèmes. Au sein de cet univers, l'Externe est chargé
d'une mission supplémentaire, plutôt physique: être l'aide
-opératoire- intelligent et non jaloux sans qui rien n'est possible;
il lui revient le privilège de tenir les écarteurs, en premier aide
si l'opérateur
est
l'Interne, en second si c'est l'Assistant,en troisième ou pas du
tout si c'est le Patron. Plus son rang est éloigné, moins il voit,
plus il doit tirer dur sur sa valve en béquant juste ce qu'il faut,
en tenant la position sans bouger,sous peine de se faire reprendre
vertement... De quoi dégoûter du métier...
Tout
ce qui vient d'être dit se déroule en matinée.
En
soirée se passe la contre-visite,la « contre » en
abrégé. Elle a lieu en comité restreint, habituellement sous la
houlette de l'Interne, accompagné de l'Externe et l'Infirmière,au
calme. C'est un moment de rencontre avec tous les malades du service,
en s'attardant sur les entrants,pour un examen en commun, déterminer
les explorations à mettre en oeuvre,démarrer un traitement au
besoin;on y décide aussi des sorties et des prescriptions qui
accompagnent. C'est un moment en général détendu, sympathique; on
y prend le temps d'échanger au sujet des malades mais aussi de
thèmes les plus divers, surtout s'ils pouvaient éloigner de leurs
soucis.
Prendre
Garde.
Que
l'on soit généraliste ou spécialiste,en
pratique libérale ou hospitalière,il est dans la nature du métier
médical d'avoir à participer à un système de garde ou
d'astreinte,un service -car c'en est un- dénommé dans la
terminologie actuelle Permanence des soins. Cette nécessité d'ordre
public peut être vécue différemment à titre individuel selon les
conceptions propres à chaque praticien,la nature de sa pratique,la
disponibilité offerte,selon les différents temps de sa carrière
aussi;elle peut l'être comme un agrément rarement,une source
intéressante de revenus parfois,un devoir probablement,une
obligation sans doute,une contrainte très souvent. Cela,je l'appris
de bonne heure,à peine nommé Externe,comme tous mes semblables
d'alors;je n'y échappai que 45 ans plus tard.
Le Service de
Garde de porte de l'Hôpital Central était assuré par périodes de
24 heures, de midi à midi, par un Interne assisté de deux
Externes,le premier dit « jeune Externe »,nouvellement
nommé,le second « vieil Externe »,un peu plus ancien
donc. Les locaux à disposition se trouvaient à droite du porche
d'entrée;on y accédait par une première pièce où trônait un
baby-foot,patiné moins par le temps que par un usage intensif de la
part d'une succession de générations d'Internes et d'Externes,
certains considérés comme d'authentiques pros et en ayant fait leur
spécialité; la salle de garde proprement dite, assez vaste,
comprenait un mobilier sommaire fait de quelques fauteuils fatigués
de style Prouvé, une table basse où s'étalent des revues encore
plus fatiguées, et une télévision, en noir et blanc-vue l'époque-
seule distraction offerte à condition qu'elle veuille donner une
image stable et pas trop neigeuse. Enfin, contiguë ,la chambre à
coucher de l'Interne, avec son outil principal,à savoir,non le lit,
mais un téléphone à cadran,noir,lui aussi bien patiné par l'
usage;pas de portable évidemment,mais un « bip »,et
encore,pas pour tous.
A proximité,il y
avait bien un local avec quelques box pour y déposer les malades
arrivant,servant également de P.C. aux brancardiers, le tout placé
sous l'autorité d'une maîtresse-femme. Pour y accéder,le médecin
de garde devait traverser
une partie de la cour; une
fois sur place, ses possibilités d'action y étaient
limitées;certes, il y examinait les entrants, mais au but principal
de décider de leur bonne orientation, car y réaliser des soins
authentiques, et qui plus est d'urgence, était fort théorique, tant
les moyens à disposition étaient rudimentaires; en d'autres termes,
les patients n'avaient aucun intérêt à y moisir, sauf à attendre
un lit disponible, le mieux étant qu'ils soient conduits au plus
vite dans le service à destination via les brancards à roulettes
dont j' ai déjà parlé.
En journée et aux heures
ouvrables, le rôle de l'équipe de garde était assez contingent,
les services gérant à la fois les patients présents et leurs
entrants pour les raisons indiquées. En nocturne,la situation était
toute autre: hormis les services chirurgicaux ayant leurs propres
astreintes,il était de la responsabilité de l'Interne de garde de
gérer tous les problèmes médicaux pour lesquels on le sollicitait,
nouveaux arrivants comme hospitalisés;son domaine s'étendait aussi
à l'Hôpital St. Julien auquel on accédait par un sinistre tunnel.
Ce n'est que vers 1970 que s'ouvrit le service de Réanimation sous
l'autorité du Pr. Larcan,dotant enfin le C.H.R. de Nancy de l'unité
de soins intensifs qui lui manquait gravement, marquant de ce fait le
début d'une restructuration qui se conclura à Brabois; l'équipe de
garde voyait simultanément son P.C rapproché de ce nouveau service
et sa mission redéfinie, déchargée avantageusement d'un lot de
situations d'urgence. Cependant,l'idée d'un vrai S.A.U n'était pas
encore dans les cartons...
Revenons à ce qu'il
en était au sujet des deux assesseurs de l'Interne de garde.
L'Externe junior,en journée,avait pour mission d'ouvrir le courrier
d'admission de tout entrant,s'assurer de sa bonne orientation et
d'une place disponible au bon endroit:rien que de très formel; de
nuit,était fait appel à son instinct d'insecte piqueur pour un
bilan d'urgence,poser une perfusion,mais surtout « faire les
héparines » en Cardiologie;à cette époque les traitements
anticoagulants se limitaient aux A.V.K et à l'héparine IV
discontinue, les héparines sous-cutanées n'étant pas encore
connues,hélas; il devait effectuer à minuit et à 6 heures les
injections IV d'héparine aux patients listés sur un cahier prévu à
cet effet: une vraie hantise que cette délicate mission,tant
l'accessibilité à leur capital veineux était en règle difficile.
Quant à l'Externe senior,il secondait ou bien l'Interne, ou bien son
jeune collègue dans ses difficultés à trouver une veine.
Pour clore
ce sujet,il me revient avoir joué l'Ancien avec le futur
député-maire de Nancy,A. Rossinot,en situation de junior bien qu'il
fut par l'âge nettement plus ancien que moi...Me trouvant à sa
table beaucoup plus tard à la faveur d'une grand messe
médico-administrative en son Hôtel de Ville,il sut m'en rappeler le
souvenir.
J'oubliais: pour le
service rendu, pour personne: pas un franc,pas un kopeck.
Gardes à
Maringer
Sur la base du
volontariat,et contre rémunération cette fois,les Externes
étaient les bienvenus pour des gardes nocturnes au service des
Maladies Infectieuses du Pr Dureux,à Maringer. Il fut pionnier
dans le domaine de la Réanimation neuro-respiratoire,initiateur des
assistances respiratoires prolongées; tout commença lors de
l'épidémie de poliomyélite à la fin des années 1950: la réponse
face aux complications respiratoires de la maladie avait été donnée
dans l'urgence par le poumon d'acier,sorte de caisson où était
glissé le malade,et dont le thorax était censé bénéficier des
variations de pression externe pour susciter une ventilation
spontanée: on en imagine les limites. Au moment où j'y pris des
gardes, les patients à surveiller étaient atteints soit de maladie
de Guillain-Barré,soit de tétanos sédatés par des doses
phénoménales de Valium; trachéotomisés, ils étaient branchés à
un respirateur ancestral,le SF4,véritable prothèse respiratoire,
imposant son rythme et le volume insufflé,sans capacité véritable
à s'adapter à la respiration spontanée des patients; de ce
fait,ceux-ci étaient placés en quasi coma thérapeutique, obligeant
à une surveillance d'autant plus stricte. Qu'il est difficile de
rester éveillé toute une nuit à côté de personnes profondément
endormies!
Me remémorer les Services que
j'ai fréquentés en qualité d'Externe me conduit à revisiter des
lieux qui depuis,au mieux ont été profondément remaniés, au pire
ont disparu, à revoir par la pensée nombre de personnages qui ont
marqué aussi bien leur temps que ceux qui les ont côtoyés.
La Dermatologie fut
mon premier terrain de stage.
Elle occupait l'Hôpital
Fournier. Le Patron,le Pr. Beurey, était un petit bonhomme, au
collier soigneusement taillé, charmant, étonnant par son dynamisme,
irradiant d'une énergie communicative; il parcourait son service à
grandes enjambées, sa secrétaire sur les talons,bloc-notes en
mains,bien en peine pour le suivre -ou le poursuivre-,chargée en
chemin de noter ses rendez-vous, lui rappeler ceux qu'il pourrait
oublier, prendre ses courriers en sténo. Dans cette spécialité où
le visuel compte pour essentiel,véritable puits de science par
ailleurs, il savait au premier coup d'oeil et sans hésitation donner
le diagnostic sur la dermatose ou toute autre anomalie cutanée qui
lui était présentées; en cas de doute,il demandait qu'on lui
présentât sans tarder le « Degos »,véritable bible en
la matière,autant pour discuter ses propres hypothèses que donner
sa propre opinion sur la teneur du verset de la dite bible relatif au
problème posé. Il ne manquait pas d'autre part de faire référence
à sa formation d'interniste à qui voulait l'entendre.
Sa consultation tenait du
tribunal; assis au centre de la pièce,entouré d'un aréopage de
jeunes confrères,qu'ils fussent de son service ou extérieurs à
lui, on lui présentait à tour de rôle,les patients à voir; à
peine assis ou le pansement retiré,ils avaient connaissance du
diagnostic et ses causes comme d'un verdict,mentionnant au passage
les noms propres ou savants afférents;cela dit solennellement et
sans conteste par le Maître avait de quoi rassurer, quand bien même
les possibilités thérapeutiques ne dépasseraient pas le niveau du
symptomatique temporaire ou de la simple contemplation. En règle, la
consultation se concluait par une prescription magistrale,vraie
potion magique,dictée d'un souffle à la secrétaire, mélange
savant d'ingrédients multiples, quantifiées en grammes,milligrammes
et QSP; y revenaient assez régulièrement l'hydrocortisone,les
lanoline,vaseline et résorcine,sans oublier quelque savon liquide ou
colorant à appliquer au préalable ou en alternance avec la pommade
à composer par l'apothicaire. Quand il m'arrive de parcourir le
carnet où j'avais retranscrit une série de
prescriptions-types,c'est comme tourner les pages d'un livre de
cuisine de grand-mère,avec ses recettes éprouvées au parfum du
temps jadis.
Il arriva même
qu'il fit venir un dimanche matin,dans le cadre de rencontres
médicales organisées par ses soins,un certain nombre de ses
patients porteurs de pathologies cutanées démonstratives ou
inédites; et ses invités de passer de chambre en chambre pour
regarder, détailler,ce qu'avaient à montrer de leur affection les
dits patients; si ces derniers avaient accédé à sa demande pour se
prêter à ce qui peut apparaître comme une forme d'exposition
choquante, même réservée à un public limité et averti, c'est
dire l'aura et le charisme que ce patron exerçait sur sa patientèle.
Bénéficiaient des
secteurs d'hospitalisation d'une part des patients dont l'état
exigeait des recherches diagnostiques particulières, mais tout
autant ceux pour lesquels les traitements s'avéraient impossibles à
domicile,souvent par le fait de pathologies chroniques, telles les
plaies dites variqueuses. Ces malades voyaient de larges surfaces de
leur corps mises en peinture; la variété des couleurs n'avait rien
à envier à la palette impressionniste: figuraient entre autres le
bleu de méthylène, le vert de méthyl, le rouge éosine,le jaune
fluoresceine,le noir goudron; le blanc des pâtes à l'oxyde de zinc
pouvait couronner l'ouvrage comme la crème chantilly vient parfaire
une coupe de myrtilles ou de fruits rouges...
Outre que ce service
fut logiquement pionnier en Allergologie,on ne saurait conclure ce
chapitre sans rappeler que l'associée traditionnelle de la
Dermatologie s'appelle la Vénéréologie. Le BW systématique alors
dans tout bilan sanguin permettait parfois des découvertes
imprévues. Dépendait de ce service le Pavillon Ricord réservé aux
prostituées porteuses de maladies vénériennes actives, alors
placées en milieu fermé sur décision préfectorale pour obligation
de se traiter: des femmes victimes du tréponème, un vibrion dans le
nom duquel résonnent étrangement les sonorités « aime »
ou n'aime »...
La Dermatologie, pour
un début, j'ai bien aimé.
La
Rhumatologie m'eut ensuite à son service.
Lui était réservée
une partie de l' Hôpital St Julien,sur deux niveaux.
Le Pr. Louyot tenait de
l'archétype du patron-médecin; la calvitie bordée de tempes aussi
grisonnantes que sa moustache, on le dira d'un certain âge, ce qui
ne lui interdisait pas un maintien strict, une allure docte et
austère; au-delà du savoir encyclopédique qu'il possédait dans
son domaine, il connaissait tout de l'intimité et de perversité des
métabolismes phospho-calciques, uriques et autres; il n'ignorait
rien des mauvais tours joués par certains protéoglycans ou autres
prostaglandines au sein du conjonctif. Ses apparitions dans le
service étant relativement espacées, l'essentiel de la
responsabilité effective revenait à son agrégé et futur
successeur le Pr. Gaucher; élancé, peu disert, il vivait assez mal
son rôle de second et semblait comme en retirer un long ennui.
Le hasard voulut
que je retrouvai dans ce service l'ancien chef de troupe scoute de la
1ère Lunéville,chef Claude, où je figurais alors comme « cul
de pat »;il y terminait son externat avant de s'installer à
Vicherey; il sut m'aider dans mes débuts difficiles. Autant les
bilans sanguins demandés étaient souvent démesurés, autant au
plan radiologique il y avait abondance de production, par la
nécessité entre autres de multiplier les incidences pour déceler
ce qui de nos jours serait démontré par quelques coupes de scanner;
la contre-visite était précédée de la lecture commune des
radiographies du jour sous l'autorité des seniors présents:
l'occasion d'une première approche de l'imagerie ostéo-articulaire.
Entre autres personnages marquants, j'accorde une mention
particulière à l'Interne de la salle commune du rez-de-chaussée,
ne fille -rareté à l'époque- fort mignonne avec de grands yeux
sombres;arrivant tard et partant tôt, on suppose que la tolérance
démontrée par le Patron à son égard tenait au charme qu'elle
dégageait.
Les pathologies
rencontrées avaient, de mon point de vue, un côté assez
désespérant, d'autant que les ambitions curatrices des traitements
proposés apparaissaient bien souvent des plus modestes. Le type même
en était la Polyarthrite Rhumatoïde et autres affections
apparentées telle la Spondylarthrite Ankylosante;en rester aux sels
d'or,à la Phénylbutazone ou passer aux corticoïdes, tels étaient
les termes du débat. Les lombalgies chroniques et leur lot
d'incapacité professionnelle représentaient un autre gros
bataillon, sans solutions probantes hormis quelques infiltrations et
la recherche d'un reclassement improbable. Il n'était pas rare que
le bilan demandé fut l'occasion de découvrir des métastases
osseuses d'un cancer pour lequel la recherche du foyer primitif
tenait davantage d'un souci intellectuel que d'une finalité
réellement pratique. Me revient le souvenir d'une jeune femme d'une
grande beauté et au corps de princesse chez qui la cause de son mal
tenait à la diffusion métastatique d'une mastite carcinomateuse
jusqu'alors méconnue: tragique. Qui aurait pu dire à ce médecin
-et de quel droit-,allant à l'encontre de sa certitude exprimée,
que les algies rachidiennes qui lui brisaient la vie n'étaient pas
dues à des ostéophytes exubérants mais aux métastases d'un cancer
bronchique qui allait l'emporter sous peu?
On aurait pu s'étonner que
l'on ne cherchât guère de solutions thérapeutiques autres que
médicamenteuses face à des pathologies avant tout dégénératives
de l'appareil loco-moteur; il y avait bien un attaché qui proposait
son savoir-faire en manipulations vertébrales; mais à titre
d'exemple, bien qu'il y eût sur la place de Nancy un pionnier dans
la chirurgie de la main rhumatoïde, le Pr Michon,il n'était pas
d'usage de faire appel à ses compétences; de même,les possibilités
des appareillages et de la rééducation étaient sous-employées; il
fallait une sacco-radiculographie plus que démonstrative pour
confier une hernie discale an neurochirurgien. Les chirurgies
arhroplastiques n'en étant qu'à leurs prémices, l'arthrose était
vécue comme une fatalité où l'aspirine et l'usage d'une canne
figuraient comme les recommandations principales; l'hydrocortisone en
infiltrations pouvait apparaître comme une solution miraculeuse
temporaire au prix de quelques catastrophes infectieuses.
La
Rhumatologie, j'ai apprécié, mais sans en faire ma tasse de thé.
La Pneumologie fut
ma destination suivante.
Plus exactement la
Pneumo-Phtisiologie Hommes : d'abord parce qu'il existait un
service Femmes indépendant (Pr De Ren), ensuite parce que la
tuberculose -la Phtisie des Anciens- était toujours bien présente à
défaut d'être galopante. Pourquoi était elle encore une réalité
prégnante alors qu'on avait les moyens de la prévenir et le
traiter?; cette question me fut posée le Pr Lochard,chirurgien
thoracique réputé, à l'examen oral de 4ème année; la réponse
attendue était: la c...rie des gens; j'eus une bonne note.
L' Hôpital Villemin,aux
allures de sanatorium conventionnel avec ses salles communes et ses
hautes baies vitrées, abritait l'hospitalisation des services de
Pneumologie au premier étage, la Chirurgie Thoracique au
rez-de-chaussée. Les locaux de consultation et d'endoscopie avaient
été relégués dans les sous-sols,faute de mieux; si les salles
d'examen apparaissaient juste acceptables, la lumière du jour n'y
pénétrant que parcimonieusement à la faveur de rares soupiraux, la
salle d'attente tenait de la « coursive d'une péniche du port
de Dombasle » comme l'écrira un jour dans la presse régionale
le maître des lieux pour dénoncer publiquement l'incurie de
l'Administration hospitalière du moment ; quelques chaises
étaient disposées dans un
tunnel
aux murs blanchis à la chaux, parcourus par une série de
canalisations, câbles et autres gaines techniques: qui ne put se
croire égaré en fréquentant des lieux si ... inhospitaliers.
Le Pr Lamy pouvait être
rangé dans la catégorie des patrons peu présents et s'intéressant
de loin à leur service. La charge en revenait essentiellement au Pr
Anthoine. Personnage charismatique, il avait le contact simple et
rassurant pour les malades, direct et courtois avec les personnels, y
compris les plus petits. La clarté de son esprit et de sa parole, la
précision et le pragmatisme de ses analyses rendaient ses visites et
les staffs qu'il animait fort recherchés; très apprécié des
médecins installés par sa pédagogie et sa connaissance des sujets
traités, les E.P.U. pour lesquels on le sollicitait étaient assurés
de faire salle comble; il était de plus un puissant soutien et ami
de l' Internat, ce qui ne gâchait rien!
Un secteur annexe de
ce service était hébergé à Maringer en situation de quasi
autonomie; se trouvait à sa tête le Dr Briquel, plus typique du
phtisiologue classique que du pneumologue moderne; cet homme de
grande qualité avait un problème d'élocution, mais il ne serait
venu à l'esprit de personne d'en sourire tant il était affable et
disponible.
Les problèmes liés à
l'insuffisance respiratoire chronique étant gérés indépendamment
dans le service du Pr Sadoul à Maringer, l'essentiel de l'activité
tournait autour des affections pleuro-pulmonaires inflammatoires et
infectieuses d'une part, des pathologies tumorales d'autre part ;
l'embolie pulmonaire,l'asthme et autre poumon évanescent figuraient
en comparaison comme des domaines relativement contingents.
S'agissant des premières, la tuberculose était encore abondamment
représentée; le diagnostic porté, le patient ne coupait pas à un
séjour hospitalier de plusieurs semaines pour bénéficier de la
trithérapie d'usage: la Streptomycine dans les fesses, le P.A.S dans
les veines, le Rimifon par la bouche; ensuite, direction un
sanatorium plutôt qu'un retour à domicile, d'autant que le repos et
le bon air étaient jugés aussi salutaires que les antibiotiques;
pour l'ambulatoire,on verra plus tard...S'ajoutait un lot de
chroniques revenant périodiquement, aux poumons détruits, crachant
du B.K quoi qu'on fasse : désespérant. Des indications à la
collapsothérapie étaient encore posées, plus par pneumothorax que
par pneumopéritoine; pour ce faire, on utilisait un système de deux
vases communicants, permettant, le liquide allant de l'un à l'autre
par gravité, d'insuffler un volume d'air ambiant déterminé vers
la cavité à laquelle il était relié; j'eus l'occasion de
pratiquer à maintes reprises cette thérapie,aujourd'hui rangée
dans les placards de l'histoire.
Face aux cancers
broncho-pulmonaires, les principes thérapeutiques connus
actuellement étaient déjà établis: la chirurgie d'exérèse là
où on espérait être curateur, la radiothérapie(par cobalt) et la
chimiothérapie là où il était plutôt question de prendre sur le
temps; même si dans ces derniers domaines on ne peut nier de vrais
progrès, et au prix de plus d'agressivité, quel a été le
véritable gain en capacité de guérison en 50 ans?
La Lorraine d'alors
était riche de ses mines et sa sidérurgie; en contrepoint
sévissaient les fléaux de la silicose et la sidérose; l'asbestose
-merci l'amiante- n'avait rien non plus d'exceptionnel: ou quand pour
vivre le travail tue..
La
Pneumologie, je m'y suis bien intéressé; mais je n'en ferai pas mon
métier.
La Médecine A me
prit alors à son service.
Premier séjour à l'
Hôpital Central. Rappelez-vous: le bâtiment sur la gauche de
la
cour en contrebas de la chapelle,avec quatre salles communes: 9 et 11
pour les Hommes,13 et 15 pour les Femmes.
Le Patron de ce grand
service,le Pr Herbeuval, était un homme régulièrement pressé,
très occupé, mais assez peu par son service à ce qu'il m'a semblé.
Président alors de la C.M.C (Commission Médicale Consultative) du
C.H.R, cette responsabilité médico-administrative importante lui
consommait l'essentiel de son temps et de son énergie qu'il avait
pourtant grande. Ses avis et messages étaient délivrés
principalement lors des staffs hebdomadaires où les Externes étaient
vivement incités à présenter les dossiers,exercice redouté mais ô
combien formateur.
Le service tournait
grâce à ses collaborateurs,mais il tournait tranquille,cool.
En salle 9,le futur Pr Guerci
se chargeait avant tout des questions d' Hématologie; se mettaient
en place les premiers protocoles chimiothérapiques face aux diverses
leucoses aiguës et chroniques, les maladies de Kahler et Hodgkin
pour ne citer qu'elles; obtenir une rémission, en freiner un temps
l'évolutivité apparaissaient déjà comme des succès, la modestie
primant en la matière. L'idée que l'on puisse en guérir un jour
définitivement tenait de l'espérance en la venue du Messie; les
greffes de moelle osseuse n'étaient pas encore d'actualité et le
plus grand empirisme régnait sur les chimiothérapies: quel chemin
parcouru depuis dans ces domaines, et quel chemin il reste encore à
parcourir...Le seul à « techniquer » au sein de ce
service était un autre futur professeur, le Dr Thibaut, en charge
des lymphographies, seule manière alors d'en savoir plus sur les
extensions ganglionnaires profondes de ces hémopathies; garçon
brillant et d'un humour incisif, il étonnait par son côté
dilettante; en tous cas, ses visites avaient l'agrément d'une
détente.
En salle 11, se
concentraient surtout les problèmes métaboliques, diabète en tête,
et les pathologies du foie, cirrhoses en tête aussi; y officiait
assez spécifiquement le jeune Pr Larcan; tantôt ses visites
valaient du cours savant et magistral,n'en finissant pas, tantôt
elles tenaient de l'inspection du chef de bataillon sur le front des
troupes, se faisant présenter chaque « cas » de manière
synthétique par l' Interne ou l' Externe présent et donnant son
avis de façon toute aussi succincte; à cet égard faut-il y voir
une préfiguration de sa promotion future au rang de général de
réserve?
Je ne puis faire
l'impasse sur un rite immanquable et fort apprécié qui se déroulait
vers 11 heures à l'issue du travail principal de la matinée, à
savoir la sacro-sainte visite; se retrouvaient en effet ensemble dans
la kitchenette attenante au service médecins et infirmières pour la
non moins sacro-sainte « glycémie »: une façon de
parler d'un bon casse-croûte à base de salamis et mortadelle dans
un contexte on ne peut plus convivial; la salle 9 était
particulièrement réputée pour l'excellence de sa glycémie.
La Médecine A : un
passage en tous points positifs,sans stress excessif; il y aura
matière à comparer avec la destination suivante.
La
Chirurgie B
(1966)
Pour
y accéder,impossible de me tromper: je n'avais qu'à traverser la
cour et emprunter la porte d'entrée du service ouvrant de plain-pied
sur la galerie couverte.
Découvrant les
lieux, le nouvel arrivant pouvait avoir le sentiment de plonger dans
une séquence du film « Monsieur Vincent » avec P.
Fresnay dans le rôle principal, sauf qu'on n'y rencontrait pas les
cornettes en fuseau et doublement ailées si caractéristiques des
Soeurs de St. Vincent de Paul ; en lieu et place les cornettes
plus sobres et strictes signant l'appartenance à la Congrégation
St. Charles des sœurs soignantes encore largement présentes alors
pouvaient porter à croire davantage à un changement de casting que
d'époque.
Le hall d'entrée
frappe d'abord par son allure froide et sinistre ; certes, le
vert pisseux le colorant de tous côtés compte pour beaucoup, mais
les deux médaillons de bronze insérés dans le mur face à
l'entrant comme pour l'accueillir et figurant le profil austère avec
barbiche et lorgnons de deux anciens maîtres ayant régné en ces
lieux n'en améliorent pas le côté peu sympathique de prime abord.
Quittant ce hall par la droite, on accède successivement aux salles
4 et 2, par la gauche aux salles 6 et 8 ; face à l'entrée se
trouve un autre couloir, bordé à droite par la salle de radio et un
petit local de soins, à gauche par la salle de plâtre, et qui
conduit à son extrémité au sas d'accès du bloc opératoire formé
de trois salles et de l'unité de stérilisation.
Hormis la salle 4
réservée à la Neurochirurgie, déjà cloisonnée en chambres à
deux et quatre lits, les autres salles d'hospitalisation sont restées
en l'état original, à savoir des salles communes comptant chacune
au bas mot 20 à 25 lits, placés côte à côte ; le sol est
fait de larges dalles de calcaire blanc, patinées et usées par les
allées et venues de générations de soignants sur un nombre de
lustres que j'ignore ; le centre est occupé par un long meuble
de chêne plus que séculaire, servant à la fois de table pour la
préparation des soins que d'espaces de rangement à la faveur d'une
série de tiroirs et placards bas exigeant une souplesse certaine de
la part de ceux devant y accéder ; les quatre coins ont été
transformés en autant de box pour isoler les patients devant l'être,
que ce soit dans un souci d'humanité pour eux ou de tranquillité
pour les autres. De hautes fenêtres donnaient bien de la lumière du
jour, mais se reflétant sur de grands murs gris, le soleil devait se
faire généreux pour rompre avec l'infinie tristesse des lieux ;
ajoutez une douce odeur d'éther flottant en permanence dans l'air et
vous avez une idée du décor.
La
promiscuité aidant, ce sont autant de souffrances et détresses qui
apparaissent comme exposées, nues et impudiques, au regard et la
perception d'autrui ; comment y cacher des vérités, si ce
n'est pour chaque alité celles renfermées dans leur intime le plus
profond ; pour autant et au même motif, comment ignorer ces
moments de chaleur bienfaisants et de bonne humeur communicative
traversant parfois tout ou partie de la salle commune, comment ne pas
imaginer, toute comparaison s'en trouvant facilitée, que certains
aient pu s'estimer moins mal lotis que d'autres. Bien sûr, cette
perception des choses était déjà manifeste dans les services de
Médecine précédemment rencontrés et connaissant une même
disposition architecturale ; elle se vit cependant avec une
acuité particulière dans cet univers chirurgical par l'exposition
de la manière la plus crue au regard de tous de l'état où se
trouve chaque malade, chaque opéré, sans pouvoir rien en cacher ;
ainsi de l'occlus ou de l'opéré abdominal perfusé et en aspiration
digestive côtoyant le traumatisé en traction continue sur attelle
de Braun et/ou porteur d'appareils plâtrés dont le design et
l'encombrement laissent augurer autant sur leur inconfort que
l'incertitude quant au devenir à terme du membre immobilisé ;
dans la même proximité et avec la même évidence, qui ne pouvait
éprouver au moins de la compassion à la vue du brûlé grave voisin
d'un amputé de membre ou d'un patient victime de plaies suppurées,
tous objets de pansements conséquents (d'autant que le pansement
cotonné compressif était alors très en vogue) et pour lesquels il
était facile d'imaginer à quelles sinécures devaient se plier à
la fois ceux qui en étaient porteurs et les soignants lorsqu'il
s'agissait de procéder à leur renouvellement au lit mais comme sur
la place publique.
Les façons d'être et
d'agir des praticiens officiant dans cet univers le rendaient pour
tout nouvel arrivant encore plus particulier, plus impressionnant,
voire déstabilisant ; en être le temps d'un semestre m'apparut
comme un choix indispensable mais hautement redouté.
Le patron du service
était le Pr. Bodart, un humaniste de la Chirurgie mais alors trop
âgé pour opérer encore ; il avait un côté paternel avec les
patients et les étudiants qui pouvait étonner.
Son équipe comprenait
deux jeunes professeurs agrégés qui avaient leur activité propre
et ne s'intéressaient que de loin à ce qu'il m'a semblé au
fonctionnement de l'ensemble du service.
Le Pr. Sommelet se
concentrait sur l'Orthopédie, une discipline encore balbutiante
surtout si on la juge à partir des critères actuels. A titre
d'exemple, les idées pionnières des premiers audacieux à croire
dans le remplacement articulaire prothétique n'avaient pas encore
reçu son assentiment, hormis la prothèse de Moore pour le
traitement de certaines fractures du col fémoral; en raison de la
nouveauté de celle-ci et l'originalité de sa pose, faire la
« Moore » en salle rouge restait du domaine exclusivement
professoral ; l'évolution sera telle que quelques années plus
tard cette intervention figurera parmi les premières confiées aux
Assistants puis aux Internes dans cette spécialité, plus par un
effet de banalisation que de démocratisation. Dans le même
registre, la chirurgie de la coxarthrose, là où elle était
indiquée, restait nécessairement conservatrice et toujours autant
professorale; elle se déclinait tantôt en ostéotomies de
recentrage de l'extrémité haute du fémur pour une meilleure
répartition des contraintes passant par la tête, tantôt en
opération de Voss,espérant un effet salvateur d'un effet
décompressif supposé par un section des petit et grand
trochanters ; trouvaient parfois une indication une arthrodèse
coxo-fémorale ou une résection tête col dans les cas trop
invalidants exclus des interventions précitées, apportant leur
handicap en termes de mobilité ou de stabilité en contrepartie de
la promesse d'un soulagement durable. Figurer comme aide-opératoire
du Pr. Sommelet tenait plus de la réquisition que du volontariat ;
ma modeste contribution à ses œuvres ne m'a pas laissé de
souvenirs grandioses, si ce n'est que trop éloigné pour y voir
grand chose et en incapacité d'y comprendre davantage, l'ambiance
sous tension donnée par l'opérateur n'incitait pas l'Externe
stressé sur ses écarteurs à se risquer à un questionnement
quelconque. J'aurai l'occasion d'approcher davantage l'homme et cette
spécialité quelques années plus tard au cours de mon internat.
Le Pr. Bessot était d'une
personnalité toute différente. Il avait opté pour une orientation
en chirurgie viscérale, et avant tout cancérologique; cela ne lui
interdit pas pour autant d'écrire un article dans l'Encyclopédie
Médico-Chirurgicale sur le syndrome du canal carpien qui fit
longtemps référence. Il était d'un tempérament plutôt
chaleureux, aisément accessible. Les chirurgies d'exérèse les plus
larges étaient de son ressort, les plus audacieuses et les plus
risquées aussi, sachant qu'elles n'étaient pas garanties par une
unité de réanimation appropriée en aval. Conscient que le
traitement des cancers digestifs ne pouvaient se résumer à ces
opérations mutilantes, il menait sur le sujet des travaux de
recherche fondamentale avec le Pr. Duprez, anatomo-pathologiste
distingué, dans le souci de trouver des solutions visant à réduire
suffisamment la tumeur dans ses volume et agressivité pour la rendre
alors plus facilement extirpable et donc véritablement curable. A
cet effet,le thème central de ses recherches consistait à démontrer
qu'il était possible par un premier protocole de chimiothérapie
loco-régionale de placer un maximum de cellules néoplasiques dans
une même phase mitotique, et les rendre alors spécifiquement
vulnérables à l'action d'une autre cure précisément active sur
cet état ; la mise en œuvre de ce traitement séquentiel le
conduisait à poser à la faveur d'un premier temps opératoire un
cathéter dans l'artère irriguant l'organe cible , le foie le plus
souvent (les techniques d'angiographie sélective et de radiologie
interventionnelle seront initiées à la faveur de telles indications
grâce au Dr. Fays, un passionné haut en couleurs) ; celui-ci
était branché sur un « chronofuseur », un système de
pompe breveté de son invention, pour délivrer en continu et au
débit voulu les drogues cytolytiques ; il ré-intervenait
quelques semaines plus tard pour en juger des effets et procéder aux
exérèses tumorales nécessaires et techniquement possibles. Se
chargeant de ce fait de patients jugés ailleurs incurables, il
s'était fait une réputation dépassant nos frontières, recevant
notamment une clientèle transalpine. Combattant acharné de la
maladie cancéreuse, il fut abattu par celle-ci sous la forme d'une
hémopathie qui l'emporta sept ans plus tard ; la valeur de ses
travaux fut largement reconnue mais il n'y eut personne pour les
poursuivre, sur Nancy tout au moins. A l'époque, trop novice pour
juger en connaissance de cause, m'avait surtout frappé son élégance
toute professorale, tant du fait d'un nœud papillon toujours bien
mis que par la qualité de son verbe ; aujourd'hui, au rappel
des conditions de la réalisation des actes chirurgicaux lourds dans
le contexte d'alors, et par comparaison avec les moyens actuels,
comment ne pas être profondément admiratif pour l'énergie et la
foi qu'il plaçait dans son entreprise : pas un combat, mais des
combats multiples, et quels combats !
L'essentiel
du fonctionnement du service au quotidien, à ce que j'ai pu observer
à partir de ma modeste place, reposait sur les épaules du seul Chef
de Clinique en titre secondé par quelques Internes, Francis Guibal ;
son père, lui-même
3 –
38
chirurgien,
compta parmi les nombreuses victimes de la catastrophe ferroviaire de
Vitry-le-François et mourut d'une rupture de rate opérée trop
tard. Sa personnalité s'imposait comme un modèle de chirurgien ;
je le ressens encore aujourd'hui comme tel. Il était la rigueur et
l'honnêteté intellectuelle mêmes, soucieux à l'extrême de ses
opérés avec lesquels il savait dialoguer simplement ; il était
la référence quasi exclusive pour tous les personnels, Internes en
tête bien sûr ; placé au cœur des décisions, personne ne se
serait estimé en droit de les contester, si ce n'est lui-même.
Paraissant sur tous les fronts, il était toujours accessible même
quand peu disponible ; face à un interlocuteur, il pouvait
passer de la bienveillance à l'attitude la plus sévère, voire à
une colère redoutable dès lors que l'exigence attendue n'était pas
au rendez-vous, tant dans la mise en œuvre en temps et en qualité
des soins que du travail effectué ou à produire. Combien de fois il
paraissait le teint pâle, les traits tirés, fatigué, mais sans
rien en dire et continuant comme si de rien n 'était. Il reste
sans conteste un des personnages les plus marquants de mon externat.
Au jour le jour, c'est
évidemment avec son Interne -et par extension l'ensemble des
Internes du service- que l'Externe noue une relation privilégiée.
Au souvenir que j'en garde, la majorité de ceux alors en fonction
dans le service avaient déjà une certaine ancienneté et venaient
de « traverser la cour »,signifiant qu'ils sortaient de
Chir. A, le service « d'en face » et avaient subi le Pr.
Chalnot. Pour en citer quelques-uns, je revois le « grand
Touati », un pied-noir tranquille, le « petit Favre »,
d'une famille d'industriels textiles de Cornimont et qui fera
carrière ensuite à Epinal à la Clinique St. P. Fourier , Ph.
Sommelet, neveu du Professeur, qui s'installera à Dole ; je
citerai aussi H. Heppner que j'entendis affirmer, suite à une
déconvenue opératoire, qu'en cas de nouvel échec de même nature,
il n'hésiterait pas à abandonner le bistouri : il prendra plus
tard les rênes de la Neurochirurgie nancéienne ; B.
Richaume,le plus jeune de la bande, vibrait de la passion de son
métier ; un soir, au moment de prendre place en vue d'opérer
un patient pour appendicite, il me dit sans prévenir : « c'est
toi qui opères, on change de côté », et il prit les
écarteurs ; ce fut ma première intervention, un événement
dont je sortis -j'en suis sûr- tremblant d'émotion ; mon aide
d'un instant à l'initiative de cette première en fut tout aussi
heureux-je le crois-. Plus tard, à maintes reprises, passant de
l'autre côté de la table, j'offrirai ce plaisir de leurs premières
interventions à nombre d'Internes placés sous mon autorité ;
dans l'action, il est vrai que le dit plaisir est assez relatif,
demandant patience et pédagogie ; cette forme de devoir que je
m'imposais se payait en fin de compte d'une satisfaction réciproque
bien sympathique.
Tenir
les écarteurs, tenir la position de réduction de la fracture tandis
que l'opérateur pose le plâtre, tenir les plaques tandis que
« Dédé » le manipulateur, ayant traîné l'appareil de
radio mobile en salle, prend les clichés face et profil pour
vérifier la qualité de la réduction ou la position de la
broche-guide annonciatrice du clou-plaque définitif dans les
fractures du col fémoral: tout cela faisait partie du quotidien de
l'Externe, rappelant au passage que la chirurgie par voie
endoscopique n'était pas encore née pas plus que l'ostéosynthèse
à foyer fermé faute d'ampli de brillance.
Assister,
participer aux consultations était aussi de ses attributions. Celle
du jeudi matin dédiée aux suites en traumatologie tenait de la cour
des miracles ; pas vraiment de bureau, une toute petite salle
d'attente pour les valides, rien pour les invalides si bien que
couchés sur leurs brancards, ils étaient alignés sur le sol du
hall d'entrée, au point que s'il vous prenait le besoin de le
traverser, il n'y avait d'autre ressource que d'enjamber les dits
brancards et leurs occupants. Il faut préciser que le traitement des
fractures étant très majoritairement à base de plâtre,
l'ostéosynthèse restant alors d'une pratique restreinte (hormis le
clou-plaque), l'embouteillage du lieu était garanti pour la
circonstance . Le parcours imposé consistait donc à la
réalisation première par « Dédé » des contrôles
radiologiques (le même était en mesure de réaliser les
angiographies cérébrales par ponction carotidienne...), puis à
solliciter l'avis d'un chirurgien disponible pour décider selon le
niveau de consolidation soit de l'ablation définitive du plâtre,
soit d'en changer, une dépose-repose en quelque sorte ; c'est
là que l'Externe pouvait tenir un rôle sous le contrôle et
l'autorité de Mr. Servillat, Paul pour les intimes, infirmier
spécialisé formé sur le tas, maître de la salle de plâtre ;
il savait tout de la fabrication des appareils plâtrés : la
botte parfaitement d'équerre, le cruro-pédieux genou fléchi à
15°, le thoraco-brachial bien campé, sans omettre le redoutable
pelvi-pédieux, les redoutés corsets et autres minerves... ;
une petite dose de talc au lissage ultime du plâtre, et le malade
repartait avec un carcan tenant de l'oeuvre d'art tant sa réalisation
tenait de la perfection ; à noter un détail qui lui était
propre, un rituel intangible, à savoir la pause de 10 h. pour un bol
de soupe tiré d'un pot de camp.
Il me faut
citer aussi deux chirurgiens qui ont marqué ma mémoire. Le Dr.
Coxam venait encore opérer parfois dans le service ; il
travaillait avec une précision, une rapidité, une adresse
exceptionnelles : de ce fait, un chirurgien très sûr. Bien
plus tard, dans sa clinique où il oeuvrait seul, bien qu'ayant
orienté son activité principalement vers l'orthopédie, il se
chargea des pathologies abdominales compliquées qui ont touché mes
deux parents, avec des suites des plus simples.
Les rapports avec
la Neurochirurgie ne manquaient pas, ne serait-ce que par le partage
des locaux pour partie avec la Chirurgie B. Le Dr. Montaut était la
cheville ouvrière principale de ce service avant d'en être le
patron, succédant alors au Pr. Lepoire qui en avait été le
créateur ; couvrant une spécialité à très haut risque,
désespérante à bien des points de vue, terriblement soumise à la
contrainte de l'urgence, il savait offrir la disponibilité, la
patience, la maîtrise de soi que requiert la pratique d'une
discipline aussi exigeante et dure à vivre.
Je sais
aujourd'hui avoir rencontré alors un ensemble de figures qui m'ont
laissé une empreinte plus conséquente que je n'ai pu l'imaginer
pendant longtemps. Je retrouve en eux comme premier point commun une
passion étonnante, dévorante chez certains, pour la Chirurgie, un
univers qu'ils semblaient idéaliser comme on peut le faire d'une
maîtresse exigeante ; est-ce par le sentiment, ou le besoin,
qui sait, d' agir, voire d'exercer une forme de pouvoir sur la Nature
humaine par celui de réparer
les effets du temps ou d'un
traumatisme, de corriger une anatomie ou une fonction défectueuses,
d'extirper un mal voué à tuer, ou encore, pourquoi pas, d'éprouver
du plaisir dans l'esthétique d'une dissection réussie, surtout si
la difficulté fut au rendez-vous ; curieusement, n'enlevaient
rien à cette idéalisation le fait que sa pratique consistât aussi
à manipuler du sang, de l'urine, du pus, des selles, à connaître
de la souffrance d 'autrui, prendre des risques qui sont aussi
pour soi, et un rapport à la mort qu'on ne peut ignorer même s'il
n'est pas toujours immédiat. Pour des ego souvent forts, on pouvait
s'étonner qu'en cas de succès le soulagement d'avoir surmonté une
difficulté, la satisfaction d'avoir conduit son patient au résultat
espéré, pussent l'emporter sur un triomphalisme mal placé. Le
contraste entre des temps d'émotions, de stress intense, pouvant
basculer instantanément en d'autres de saine récréation ou livrés
à des facéties ou plaisanteries douteuses, aurait pu surprendre ou
choquer le non-initié ; mais en être, c'était vivre des
moments de solidarité rassurants ou réconfortants ; cela
pouvait, et peut toujours être vu comme l'expression d'une forme de
bonne santé mentale collective bienvenue.
En
quête d'un choix futur, j'étais en mesure de juger des différences
profondes individualisant le monde de la Chirurgie de celui de la
Médecine. Qu'on ne se méprenne pas : mon ressenti sur ce
sujet, uniquement tiré de mon expérience commençante, ne faisait
aucunement référence aux temps lointains moyenâgeux au cours
desquels la tâche de soigner était dévolue aux Médecins d'abord,
des clercs oeuvrant sans toucher au corps, commentant les écrits
(déjà), et spéculant ; les Chirurgiens ensuite, considérés
comme des travailleurs manuels agissant selon les prescriptions des
premiers et réalisant les interventions dépassant le tabou du
sang ; les Barbiers enfin, méprisés, se contentant de la
petite chirurgie. Rien à voir, quoique... De quoi s'interroger sur
la pérennité de certains atavismes...Mais, qu'importe : de
cette première plongée dans l'univers chirurgical, j'ai pu
apprécier ce qui le rendait attractif et en quoi il pouvait être
difficile d'accès. Tenter le challenge d'en être me condamnait
-autant qu'il m'encourageait- à passer et réussir le concours de
l'Internat.
On l'aura compris ; la
Chirurgie B a eu pour moi valeur d'initiation, une initiation à
partir de laquelle mon imaginaire se mit à cheminer ; on devine
vers quelle direction.
La
Pédiatrie
Changement de
d'aile et de décor, mais aussi changement de dimensions.
« Le Petit
de l'Homme n'est pas un Homme en miniature, mais un individu à part
entière » : un thème rappelé à l'envi par le patron,
le Pr. Neimann. Au vu de la division du service en trois niveaux
selon les degrés d'âge des hospitalisés, on pouvait penser que le
dit Petit devait en fait former à lui seul trois individus distincts
et successifs. Au plus haut, en terme d'étage bien sûr, les
tous-petits : nouveaux-nés et
6
– 41
nourrissons,
le plus souvent placés au chaud de l'enclos d'une couveuse ; la
Réanimation néo-natale en était à ses débuts, s'ouvrant de plus
en plus largement sur la prématurité, pour rappeler au passage
qu'un prématuré est jugé d'autant plus grand qu'il ressemble
davantage à une crevette ; initiée par le Pr. Pierson, et
grâce au Dr. puis Pr. Vert, cette entité connaîtra un
développement qui en fera un service à part entière au sein de la
Maternité Régionale, reconnu comme des plus pointus et des plus
renommés. Aux étages plus inférieurs sont logés séparément les
petits et les plus grands, un enfant malade étant supposé grand à
partir de 7-8 ans.
A la tête de cet important
service, riche des diverses spécialités inhérentes à la
multiplicité des pathologies pouvant affecter l'Enfant jusqu'à ce
qu'il soit un jeune adulte, le Pr. Neimann donnait l'image du
Pédiatre clinicien par excellence, au savoir et à l'intuition tirés
d'une expérience exceptionnelle ; de sa personnalité, de sa
parole sans emphase, se dégageait une simplicité et une autorité
naturellement respectée. Il savait offrir de plus un côté paternel
apaisant pour l'enfant méfiant quand ce n'est pas terrorisé à la
vue d'une blouse blanche, rassurant ce qu'il faut pour les parents
pétris d'angoisse. Il se faisait un devoir d'inviter chaque année
tous ses collaborateurs, y compris les plus modestes, à son propre
domicile : un fait unique dans mon expérience.
Son adjoint, le Pr.
Manciaux, était de la même veine ; en plus de sa pratique
clinique dans le service, il développait des actions de Santé
Publique liées à l'Enfance dans le cadre de l'INSERM, ce qui le
conduira à des fonctions élevées à l'OMS.
Réputation
oblige, n'accédaient à ce service que des Internes en fin de
cursus,
« ayant
de la bouteille », et se destinant à cette spécialité ;
autant dire leur niveau élevé, et pour ceux admis aux fonctions de
Chef de Clinique, touchant à l' exceptionnel. Je me souviens en
particulier des deux frères Sapelier : le cadet, encore
Interne, rondelet et bonhomme, et son aîné, à la fois son
contraire et son supérieur hiérarchique, et on ne peut plus
brillant ; tout aussi remarquable était le Dr. Marchal, tout
aussi digne que son collègue précité d'une agrégation qui
n'échoua cependant à aucun d'eux : faute de poste ? Ils
émigrèrent, le premier dans le Nord, le second à Metz pour y
reprendre et développer la Néonatologie, ce qui valait en soi un
poste d'agrégé. Dans cette pépinière de talents, je me dois de
citer aussi la future Mme. le Pr. Olive qui se consacrera à
l'Oncologie pédiatrique, et le tout aussi futur Pr. Deschamps qui
dériva vers la chaire de Santé Publique sans renoncer à ses
attaches pédiatriques.
Des
domaines pédiatriques, j'avais tout à apprendre. Des pathologies
qui lui sont propres évidemment, d'autant qu'absentes des cours
reçus, et des traitements qui se mesurent en ml et mg par kg de
poids. Mais au préalable, j'avais tout à découvrir de l'Enfant
normal en commençant par ce qui fait et caractérise sa croissance
harmonieuse, aux plans physique, neuro-psychique, affectif, et
quelles étapes la jalonnent ; ou encore l'adaptation de sa
diététique au fil des mois et des années : quel type de lait
et en quelle quantité appréciée en mesurettes, le moment propice
pour introduire les petits pots ou les petits plats, la recette de la
soupe de carottes et la bonne dose de gélopectose en cas de
diarrhée ; et en guise de première leçon, ce qui tient
normalement à la conclusion de toute ingestion : être attentif
au rot ! Se familiariser à une bonne approche de l'enfant,
qu'il soit nourrisson ou adolescent, à l'art d' examiner son corps
et entendre son cœur, y mêler astucieusement au besoin un effet
ludique ou dérivatif, cela aussi ne s'invente pas ; l'idée de
« famille soignante » au sein de laquelle se font ces
apprentissages me paraît appropriée, pour souligner entre autres
le rôle essentiel des femmes gravitant dans ce milieu si
particulier, par ce qu'elles savent offrir de leur dévouement, leur
patience, leur tendresse. Mes quelques collègues déjà parents
avaient à l'évidence une sérieuse longueur d'avance sur les
jeunes célibataires encore un peu gamins comme moi ; de ce
fait, ils trouvaient leur place plus aisément au sein de cette
famille.
Dans
un service d'enfants,il y a une forme de vie qui n'inspire pas la
tristesse, et c'est heureux...A quelques exceptions près cependant,
alors ô combien dérangeantes. Ceci pour évoquer avant tout les
images gravées en ma mémoire de ces enfants atteints de leucoses ou
autres néoplasies que j'ai approchés, inexorablement condamnés
alors, soumis à des chimiothérapies éprouvantes ; comment
s'interdire un un regard compassionnel sachant qu'il sera
immédiatement perçu comme tel par l'enfant en découvrant sa
calvitie, en accrochant ses yeux qui disent tout, suffisamment en
tous cas pour ne pas savoir s'il est bienvenu de tenter rompre son
silence . Y porter la main pour trouver une voie veineuse, pour
une ponction sternale ou lombaire, pouvait donner le sentiment
d'ajouter à leur souffrance de manière injuste ; la matinée
de consultation hebdomadaire d'oncologie se vivait comme une
véritable hantise, en voyant défiler périodiquement ces enfants
qu'il nous revenait de gérer pour la réalisation des bilans
sanguins : une épreuve redoutée, d'autant que l'épuisement de
leur capital veineux rendait l'exercice souvent problématique
(recourir à la ponction jugulaire n'était pas exceptionnel de ce
fait).
La
Pédiatrie : j'y ai beaucoup appris ; j'y ai aussi sans
doute mûri. Je n'y ai pas vu cependant ma vocation.
L' O.R.L.
Trois lettres pour
dire en trois mots : Oto-Rhino-Laryngologie.
J'accédai à ce
service en qualité de F.F.I : Externe Faisant Fonction
d'Interne. J'en avais la possibilité car proche du terme de mon
temps d'Externat et autorisé par le Patron de ce service, le Pr.
Grimaud pour pallier à la vacance d'un de ses deux postes
d'Internes. C'était l'occasion de tester d'abord une spécialité
médico-chirurgicale originale à mes yeux, ensuite de gravir un
échelon intermédiaire et enfin toucher un salaire qui ne soit plus
une aumône.
Au
départ, ma curiosité était attirée avant tout par son versant
chirurgical ; c'était méconnaître que cette spécialité
désignée par trois initiales dépasse la simple prise en compte de
trois domaines différents : nez, gorge, oreilles ; c'est
en fait un domaine riche par l'addition et l'intrication des divers
pôles d'intérêt qu'il offre. Le carrefour pharyngo-laryngé, avec
les cavités buccale et nasales en gardes avancées, se présente
comme le sas d'entrée des voies aériennes et digestives, autorisant
trois fonctions capitales : respirer, avaler, parler ;
elles sont elles-mêmes liées à trois fonctions sensorielles sans
lesquelles il n'est point de plaisir à vivre : l'odorat juge
des parfums, le goût des saveurs, et l'ouïe pour s'entendre dire
autant qu'entendre dire. Chacune de ces fonctions est liée à une
anatomie et une physiologie propres, et pour leurs dysfonctionnements
une sémiologie singulière qui sort du cadre général enseigné :
autant d'apprentissages de base à appréhender avant de s'intéresser
à des investigations spécifiques telles l'audiométrie ou
l'électronystagmographie. L'endoscopie reste cependant le premier
mode d'exploration des différents conduits et cavités définissant
l'espace O.R.L. ; l'image la plus classique donnée par le
praticien qui en exerce la science, au cinéma comme en B.D.,
n'est-elle pas celle d'un visage mangé en son centre par un miroir
de Clar, conçu pour concentrer sa lumière sur le site à explorer ;
pour les tympans et les fosses nasales, la seule participation exigée
du patient tient à son immobilité; pour les amygdales et le fond du
pharynx, l'entendre prononcer un âââ... grave et prolongé donne
plus d'efficacité au jeu de l'abaisse-langue : c'est encore
assez simple ; pour les cordes vocales et le fond du larynx,
c'est un êêê... tenace qui est demandé tandis que l'examinateur
tracte la langue et plonge le regard sur le miroir judicieusement
manipulé au fond du gosier : un exercice plus compliqué qu'il
n'y paraît et qui, croyez-moi, demande de l'expérience avant
d'affirmer qu'on y voit et la nature de ce qu'on y voit.
On comprendra
qu'avant de faire preuve d'un minimum de fiabilité dans la pratique
de ces examens, un néophyte comme moi se trouvât dans le besoin
d'être étroitement cornaqué ; idem pour orienter les
conduites à tenir face aux pathologies spécifiques à cette sphère.
Ce rôle de mentor revint d'abord à B. Bleicher, l'autre Interne,
mais un vrai , titulaire, avec qui je me liai d'amitié pour un
temps ; depuis son entrée en Médecine il savait sa destinée
vouée à cette spécialité, d'autant qu'il y baignait déjà par
son père, O.R.L. reconnu sur la place de Nancy. En second, je me
tournais vers le Dr. Janin, unique Chef de Clinique du service,
charmant quand il était de « bon poil », ce qui arrivait
le plus souvent. Lors des consultations, j'avais aussi la possibilité
de quémander l'avis d'un collègue en C.E.S. (Certificat d'études
spéciales) simultanément présent ; j'eus ainsi l'occasion à
plusieurs reprises de solliciter les lumières du Dr. Rossinot, en
formation dans cette discipline avant d'obliquer vers la politique,
ma première rencontre avec lui ayant été contée par ailleurs. Les
rapports avec le Chef de Service, le Pr. Grimaud, étaient empreints
de distance, de celle qui pouvait le séparer de ses Internes du fait
de son âge, patron à l'ancienne et en fin d'activité, comme celle
d'éprouver réticence et difficulté pour tenter de l'aborder au
moment propice en raison de son côté bourru.
Il
pouvait arriver que le jeune Interne soit conduit à assumer seul et
dans l'urgence, c'est-à-dire la nuit ou le week-end de préférence,
des actes tout à fait inédits pour lui, faute d'un senior pour le
doubler systématiquement . Pour ma part, entre autres exemples, je
citerai le cas d'un jeune patient, plutôt frustre, qui se présenta
en fin de soirée pour avoir avalé, disait-il, un morceau de viande
crue qui se serait bloqué dans l'oesophage, interdisant toute
déglutition et source d'une salivation abondante . Je dus
d'abord obtenir de la veilleuse qu'elle veuille réveiller la Soeur
infirmière responsable du Bloc, puis plaider auprès de celle-ci
pour qu'elle accepte d'en apporter la clé avant que de préparer
les instruments nécessaires et m'assister pour l'extraction du corps
étranger ; il me fallut la convaincre ensuite de ce que, malgré
mon inexpérience personnelle en la matière, je saurai, pour avoir
déjà vu faire ce geste par le Patron , descendre l'oesophagoscope
rigide sans problème, ce qui nourrissait autant ses propres doutes
que mon propre stress ; ceci étant, ce n'est pas sans
soulagement ni le triomphe modeste que je retirai du même mouvement
l'endoscope et, collée à son extrémité, la pièce de steak
coupable solidement ferrée dans les mâchoires de la pince
préhensile : je marquai un point !
Dans le même ordre
d'idée, se posait le problème des épistaxis sévères ; si un
tamponnement antérieur bien tassé solutionnait en règle le
problème, il arrivait qu'il fût insuffisant ; la pratique du
tamponnement postérieur s'avère un sport, surtout quand on le
découvre, par la nécessité de pousser un drain dans chaque narine
et d'en récupérer au fond du pharynx les extrémités auxquelles on
noue un solide tampon vaseliné destiné à être bloqué dans les
fosses nasales postérieures ; au cours de ces manœuvres, le
malheureux patient assis sur son tabouret se trouve inévitablement
soumis à des épisodes de toux ou de vomissements éclaboussant
autant l'opérateur que ce qui l'entoure, murs et sols compris.
Parler Chirurgie en
O.R.L., à ce que j'en ai retenu, peut se résumer à un triptyque :
D'abord
les chirurgies de l'oreille moyenne, menées sous microscope ;
la tympanoplastie en figurait comme le prototype, domaine quasi
exclusif du Pr. Wayoff, un des maîtres en la matière ; pour le
reste, bien qu'étant l'adjoint et futur successeur du Pr. Grimaud,
sa présence au service était rare. En principe d'astreinte certains
week-ends, il n'était jamais joignable : aficionado du champ de
courses de Brabois, il avait mieux à faire..
Ensuite,
les rhinoplasties, à la frontière des chirurgies fonctionnelle et
plastique, plaçant le service d'O.R.L. en concurrence avec celui de
Chirurgie Maxillo-Faciale, logé à l'étage du-dessus.
Enfin,
et surtout, les cancers : pas tant ceux développés sur un bord
ou à la base de la langue, en règle traités par curiethérapie que
ceux touchant le carrefour laryngé ; face à ces derniers, le
choix oscille entre une radiothérapie palliative pour les cas trop
évolués
et une chirurgie d'exérèse quand elle paraît techniquement et
raisonnablement possible ; il faut donc considérer plutôt
comme une bonne nouvelle l'éventualité d'une laryngectomie, avec en
corollaires une trachéostomie définitive se doublant en règle de
la perte de la jugulaire interne et d'une partie des muscles
adjacents d'un côté du cou, sans oublier en complément habituel
une radiothérapie sur la zone opérée... : un non choix pour
au final devenir un mutilé du cou autant qu'un handicapé de la com-
munication par la perte de la parole ; ceci étant, par une
longue et pénible rééducation certains opérés sont en mesure
de retrouver une capacité de dire à nouveau, parfois jusqu'à
l'émerveillement : mais à quel prix ! Pour les cancers
non opérés ou récidivés guettent l'asphyxie progressive pour un
jour se faire aiguë et fatale si une trachéotomie en urgence n'est
pas pratiquée...à condition qu'elle soit encore réalisable.
Dans
ces mêmes affections l'hémorragie incontrôlable constitue une
autre terrible menace ; il faut des circonstances d'exception
pour retourner une situation qui s'annonce désespérée :
témoin cet exemple que j'eus à connaître au cours de mon clinicat.
Arrive en extrême urgence un patient, véhiculé depuis son village
vosgien, et qui assure par la pression de son propre index le
contrôle d'une hémorragie extériorisée d'une ulcération
cervicale gauche à l'aplomb du carrefour carotidien : cette
chance d'arriver vivant à l'hôpital, il ne la devait qu'à lui-même
grâce à sa présence d'esprit et sa foi qu'il en avait de s'en
sortir ; il nous raconte alors avoir été opéré il y a
quelques années d'une tumeur parotidienne avec radiothérapie dans
les suites ; une ulcération cutanée se fit de manière seconde
au centre de la zone irradiée ; le médecin qui le suivait
l'assurait qu'il était bien guéri de sa tumeur mais qu'il avait en
contrepartie toute chance -ou malchance- que survienne un jour, ou
une nuit, une hémorragie du fond de ce cratère : il suffisait
donc d'attendre ! Je pus en assurer l' hémostase par la
ligature de la carotide primitive et sans qu'il connût de
complication neurologique : là fut sa deuxième chance. Confié
ensuite aux collègues plasticiens de Chirurgie Maxillo-Faciale, ils
apportèrent une solution définitive en remplaçant la zone cutanée
pathologique par un lambeau de peau libre prélevé à proximité
d'une crête iliaque : une intervention d'exception qui le reste
encore de nos jours, mais qui l'était d'autant plus qu'elle
s'inscrivait alors dans l'innovation la plus récente et la plus
pointue, tirée des techniques micro-chirurgicales en pleine phase de
développement à cette époque ; le succès qui fut au
rendez-vous constitua sa troisième chance . Seulement alors on
put le considérer comme guéri de sa tumeur , une guérison où
la main de Dieu dans sa forme trinitaire guida peut-être celle des
hommes : pourquoi ou comment ne pas y croire.
Avec
ce séjour en O.R.L. prit fin mon Externat, le premier temps de mon
apprentissage hospitalo-universitaire ; une tranche de vie aussi
prise sur une bonne partie des années 60, mes sixties en quelque
sorte. La suivante a pour nom l'Internat.
Mais
au préalable, un impératif absolu : le Concours, et un peu
plus tard, un autre incontournable : le Service Militaire.
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